Novembre 2015 – Voyage à Athènes avec le SMG et L’USP au cœur des solidarités grecques (suite)
Interrogé sur les migrants qui arrivent en Grèce au risque de leur vie, ce député rencontré à l’entrée du dispensaire autogéré d’Helliniko ne mâche pas ses mots.
« Quand on pense à la manière dont l’Europe si évoluée fait face à ce problème, ce qui est en train de se passer entre la Grèce et la Turquie est une chose incroyable ! C’est une honte pour la civilisation ! Il faut bien dire que sur les 218 000 réfugiés qui ont franchi les frontières de l’Europe, 210 000 sont passés par la Grèce. L’Europe ne fait rien pour arrêter la guerre. Nous savons qu’il s’agit de cinq sociétés de vente d’armes. Il est très tard. L’initiative de paix aurait dû être prise il y a bien longtemps. On n’a rien fait pour l’instant, on n’a pas mis en route de politique à ce sujet et on est là en train d’ergoter sur l’enfant qui est mort ici. Pas un seul passeur n’a été poursuivi. Tous les jours, tous ceux qui ne se noient pas sont reçus dans les quatre ou cinq îles qui font face à la Turquie. C’est un crime qu’on voit tous les jours se dérouler sur les écrans de télé comme un film. Pour moi, ce n’est pas un problème grec, c’est un problème qui concerne toute l’Europe, c’est un problème mondial. Excusez ma véhémence, mais je considère que c’est un crime. Cette indifférence des pays développés, je n’arrive pas à la comprendre. »
Georges F. : Dans les relations entre la Grèce et la Turquie, est-ce qu’il y a de nouvelles perspectives, compte tenu du fait que les Turcs accueillent déjà deux millions de Syriens, est-ce que ça doit inviter l’Europe à porter un regard différent sur la Turquie malgré l’islamisation en Turquie ?
Le député : « Je suis allé avec les médecins de la paix deux fois à Hatay en Turquie, il y a quatre ans au moment où dans les camps d’internement, il y avait 200 à 300 000 personnes qui s’entassaient déjà dans ces camps, je suis allé deux fois à Hatay, c’est à dire la partie la plus proche de la Grèce en Turquie. Nous sommes entrés dans les camps d’internement, mais nous sommes restés en Turquie, nous ne sommes pas entrés en Syrie. Deux ans après, on a ignoré le danger, on est entrés en Syrie. Toutes les personnes relativement jeunes, de 18 à 40 ans, sont, soit considérées comme proches d’Isis (c’est le terme grec pour désigner les islamistes de Daech), soit obligées de partir pour échapper au massacre. En ce moment, il y a 4 200 000 personnes en Turquie, en Jordanie et au Liban, mais il y a 7 millions de personnes déplacées en Syrie qui sont le long des frontières de la Syrie pour une population qui comptait au départ 23 millions de personnes. Il aurait fallu [(faudrait?)] que la guerre soit arrêtée, qu’il y ait une volonté politique parce que c’est possible de le faire si l’Europe engage un processus de paix. J’ai honte de ce qui est en train de se passer. Ça n’a rien à voir avec la civilisation, ça n’a rien à voir avec l’éducation, ça tourne le dos à tout ça. J’ai honte. Je vous assure que c’est une considération tout à fait personnelle je ne vois pas ça sous l’angle d’un parti.
On est des gens du canapé, on est dans notre salon, il y a notre jardin qui est ouvert et les gens commencent à entrer. On s’arrange au niveau de notre confort au niveau individuel, mais il n’y a pas de réponses politiques organisées. Je me suis même posé la question de savoir si je n’allais pas protester en donnant ma démission de député. »
Patrick D. : Pouvez-vous nous dire quel est votre métier et à quel parti vous appartenez ?
Le député : « Je travaille ici dans ce dispensaire social. Je suis médecin dermatologue et je travaille depuis très longtemps au dispensaire social, je continue à travailler. Je passe ici un mardi sur deux. C’est la moindre des choses qu’on puisse faire.
Nous sommes membres du parti des Grecs indépendants : Anel, allié à Syriza. Nous collaborons avec Syriza. Mais je ne parle pas au nom d’un parti. »
Georges F. : Quelle est la part du budget militaire de la Grèce ?
Le député : « Je ne parle pas au nom d’un parti. Je laisse de côté le parti. Je ne vois pas le rapport. Je ne suis pas un spécialiste de la question. »
Georges F. : Le rapport c’est qu’avant Syriza, les achats d’armement par la Grèce étaient prioritaires. Est-ce que vous parliez d’arrêter la guerre ?
Le député : « Les dépenses en matériel militaire en armement étaient parmi les plus importantes du monde par tête d’habitant, les premières peut-être après les USA. Nous avions un budget absolument énorme. Les questions d’armement furent le plus grand scandale qu’il y ait jamais eu dans ce pays. Yacounia et Cosea Fermos (?), qui étaient deux marchands d’armes, sont en ce moment en prison. Et en ce moment, il y a seize affaires de pots-de-vin, pour ces affaires d’armement chez le juge d’instruction. On achetait des armements cinq ou six fois le prix de l’armement pour qu’il y ait des pots-de-vin. »
Georges Z. : Je n’ai pas l’impression que le budget ait diminué.
Le député : « Il faut faire une très grande différence entre ce qui est le budget de l’armement, le matériel militaire et les budgets qui étaient liés aux pots-de-vin et à la corruption. Maintenant on a dévié, on est partis sur une autre discussion. Toutes ces questions sont télécommandées, si je puis dire, par les grandes puissances, elles nous mettent en opposition avec la Turquie, elles nous mettent en opposition avec l’Albanie, tout ça pour assurer des ventes d’armes. Avant, ils faisaient ça entre la France et l’Allemagne pour que les Français et les Allemands s’entre-tuent, maintenant c’est chez nous que ça se passe où on dresse les peuples les uns contre les autres. »
Philippe G. : Est ce que vous pensez que votre initiative va être suivie par d’autres initiatives pour aller sauver des enfants? Est-ce que vous pensez que d’autres vont faire la même chose ?
Le député : « Ça, c’est une position personnelle. Il se peut que je laisse tomber l’assemblée nationale et que je m’installe là-bas pour participer au sauvetage de tous ces migrants. C’est une façon de protester, de faire en sorte que quelqu’un entende cette protestation et se mobilise sur ce sujet. Il aurait fallu, il faudrait qu’il y ait une coopération. Je pense que fondamentalement il n’y en aura pas. Quand on pense que tant de passeurs sont responsables de noyades, et qu’aucun d’eux n’est poursuivi. Il ne faut pas oublier que tous les jours ce sont une trentaine de bateaux de condamnés qui traversent la mer, le bras de mer, et personne n’a jamais été puni pour les noyades. »
G.F. : N’y a-t-il pas un moyen au niveau de l’assemblée nationale grecque d’envisager une procédure juridique ?
Le député : « Qui irait au tribunal ? Quel tribunal ? La Haye ? Ça devrait se faire. Nous avons eu recours auprès de la Haye mais peu souvent. En fait, lorsque les Israéliens bombardaient des populations civiles dans le sud du Liban et que 900 000 personnes ont dû émigrer, partir vers Beyrouth, à l’époque nous avions fait des démarches pour que les gens interviennent et puis personne n’a bougé, rien ne s’est fait. On a fait une manifestation. Il y avait des bombardements qui tuaient des enfants, c’est nous qui transportions les enfants blessés.C’était en 2006 ou 2007 ».
Georges F : Créer un tribunal Russell , un tribunal populaire ?
Le député : « Je suis européen, je pense qu’à l’intérieur de l’UE on peut changer des choses. On voudrait que le parlement européen ait une voix décisionnelle et pas seulement ornementale. En ce moment il n’y a pas de mobilisation malgré tout et nous voyons le crime se dérouler sous nos yeux et nous ne faisons rien.
Le gouvernement grec a épuisé toutes les ressources pour faire face à ce problème, nous pensons à deux initiatives : mettre un bateau à disposition pour aller chercher les bateaux qui sont en train de couler. Ensuite, il y a une muraille construite sur l’Hèbre à la frontière entre la Grèce et la Turquie. Il faudrait briser ce mur pour que les gens puissent passer plus facilement. »
Propos traduits par Alexis Karakostas, recueillis par M.C. le 3 novembre 2015
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