Trois visages viennent de temps en temps se coller sur un coin de mes pensées comme un timbre sur une enveloppe.
Trois beaux visages.
Trois visages de femmes.
De jeunes femmes.
De jeunes femmes mortes récemment à la guerre.
Ruqia Hassan, 30 ans
Adar Cohen, 19 ans
Hasna Aït Boulahcen, 26 ans
Ruqia, son combat me touche et je la sens proche. Journaliste syrienne, enfermée à Raqqa, sous la tutelle de Daech, elle rapportait sur les réseaux sociaux toutes les violences faites aux habitants de la ville, elle témoignait, avec un grand courage. Elle a été exécutée. Elle savait qu’elle allait mourir.
Adar, je la comprends aussi : jeune policière israélienne des frontières, elle a été blessée à mort dans l’attentat terroriste qui a eu lieu près de la porte de Damas à Jérusalem. Elle a eu le temps de sauver une amie. En Israël, les femmes font leur service militaire comme les hommes, cinq ans. Elle savait que la mort faisait partie des risques de son métier.
Hasna, je l’appellerai par son prénom, même si je suis farouchement étrangère aux choix qu’elle avait faits – l’alcool, la drogue, puis le djihad -, Hasna est morte explosée rue Saint Denis, auprès de ce cousin terroriste qu’elle avait accepté d’aider. Ce n’est pas elle qui a enclenché l’explosion. J’ai entendu son cri : « ce n’est pas mon copain », a-t-elle répondu aux policiers. Son cri était terrifié. Elle savait qu’elle allait mourir.
Trois femmes. Deux voilées, l’autre non. Trois croyantes sans doute. Trois femmes belles, qui aimaient la vie, mais se sont engagées sur le chemin de la mort.
Je n’ai pas envie ici de comparer leurs engagements. Ceci dit, il faudra bien réfléchir aussi à ce qui les rapproche ou les différencie.
Et je n’oublie pas un autre beau visage, celui de la photographe Leila Alaoui, blessée à Ouagadougou, et morte faute de soins. Elle savait que, comme tant de journalistes et reporters de par le monde, elle pouvait mourir en exerçant son métier.
Je n’oublie pas non plus les femmes, les jeunes filles, mortes pour rien, au Bataclan. Elles n’avaient rien choisi et elles ne savaient pas qu’elles allaient mourir.
Et je pense à ce beau livre que je suis en train de lire, de Svetlana Alexievitch, une de nos rares femmes à avoir eu le Prix Nobel : La guerre n’a pas un visage de femme.
Ce livre recueille les témoignages de femmes russes envoyées, très jeunes, au front pour combattre les nazis. C’est un livre magnifique, plein d’humanité, à offrir sans modération ! Ces femmes, ces jeunes filles, faisaient partie de l’Armée Rouge, d’une armée populaire. Elles savaient qu’elles risquaient la mort.
Et du coup je pense aussi aux femmes de la Résistance, Lucie Aubrac, Germaine Tillon, et à toutes celles dont le nom a disparu des livres d’histoire [1].
Oui, les femmes savent s’engager, résister, combattre.
Mais elles aiment donner la vie, et elles n’aiment pas donner la mort.
[1] cf. https://clio.revues.org/513 , « l’oubli des femmes dans la Résistance », article de R. Thalmann, 1995
François dit
Merci Michèle d’attirer l’attention sur le lourd fardeau porté par les femmes, principales victimes des violences.
Je te suis volontiers dans ce rapprochement entre ces 3 destins tragiques et cet élargissement à tant d’autres situations le plus souvent mal connues.
L’humanité a tant à gagner à une plus grande influence des femmes et d’une véritable codirection avec les hommes. Comme Ferrat le chantait « Je déclare avec Aragon, la femme est l’avenir de l’homme ».
Ces trois femmes sont victimes de la violence humaine et surtout masculine à des titres divers.
Ruqia, par son combat pleinement assumé contre Daech, nous montre comme tu le soulignes un courage immense. C’est une combattante choisissant son combat, qui est le nôtre.
Adar, se trouve entraînée comme très jeune policière à défendre une frontière disputée, celle qui passe entre la Palestine -malheureusement toujours pas reconnue- et Israël -reconnu et fort. Elle est victime tant du sabotage du processus de paix par la droite Israélienne que des actions de certains groupes palestiniens.
Hasna, exprime une révolte contre sa situation en France dans une grande confusion et sous l’influence de son cousin. Elle est victime mais aussi en partie responsable de ses choix de complicité avec des djihadistes totalitaires.
Elles ont en commun d’exposer leurs vies et de les perdre face à la violence de leurs contemporains masculins. Ce sont ces guerres, ces violences que je hais pour ma part.