Saint-Julien-Molin-Molette, un petit village de 1270 habitants, situé dans la Loire, sur le versant sud du mont Pilat, et au cœur du Parc naturel régional (PNR) du mont Pilat, au sud-ouest de Vienne. Depuis deux ans un collectif d’habitants de ce village mène une lutte têtue contre la présence et le projet d’extension d’une carrière qui provoque de graves nuisances à la population, génère pollution et insécurité dans les rues et fait perdre au village son attractivité et son label Parc naturel.
Tout récemment, les habitants se sont enveloppés de suaires et couchés dans la rue principale du village pour « stopper DD » (Delmonico-Dorel, nom de l’entreprise responsable de la carrière) et protester contre la décision du Préfet de déclarer la carrière d’intérêt général. Qu’importe le vote négatif du Conseil municipal ! Qu’importe le cahier de doléances rédigées par les habitants et présentées au commissaire lors de l’enquête publique ! Qu’importe la démocratie locale ! Le cas de Saint-Julien-Molin-Molette est hélas emblématique du mépris dans lequel les groupes industriels et les autorités publiques tiennent les villageois dans les zones rurales.
Les habitants et les riverains, unis dans un collectif qui publie le bulletin « Piraillon Mag », se battent pour empêcher l’exploitant de prolonger l’extraction de matériaux dans la carrière de pierre qui devait normalement cesser son activité, dont l’autorisation prend fin en 2020. Or le projet de l’entreprise est de développer l’activité pour passer de 150 000 tonnes à 500 000 tonnes annuelles, pour les trente ans à venir, au mépris de l’accord initial.
Quand on se promène dans le village, il n’est pas rare de devoir se coller contre le mur d’une maison et de se boucher les oreilles et le nez : les camions du carrier et de ses sous-traitants foncent à toute allure dans des rues inadaptées, au risque d’écraser un passant, et en soulevant une poussière irrespirable. Le spectacle de la montagne alentour a de quoi ôter aux touristes l’envie de séjourner à Saint-Julien. Sans parler de la rivière, fréquemment polluée par les boues de la carrière. L’entreprise DD n’a pas tenu ses promesses, et a souvent donné des informations fausses pour justifier son projet, sur la nature par exemple des matériaux extraits. Les chiffres d’emplois annoncés par le carrier sont à contester, il y a en réalité peu d’emplois vraiment locaux qui ont été créés. La population du village diminue, des commerces ferment, les parcelles à bâtir ne se vendent pas. Les activités culturelles et touristiques se réduisent également.
Saint-Julien-Molin-Molette n’est guère connu en France, et il est peu probable que la mobilisation de ses habitants touche beaucoup de chaumières hors de son territoire. Son appartenance au Parc naturel régional du Pilat devrait pourtant mobiliser les défenseurs de l’environnement, mais on les entend peu.
L’Association « Bien vivre à Saint-Julien » a adressé le 20 octobre dernier un courrier au Commissaire enquêteur : longue lettre très informée et contestant la procédure initiée par le préfet pour justifier « l’intérêt général » de la carrière. En voici quelques extraits :
« Dans les deux documents fournis à la réunion des personnes publiques associées, le 5 juillet à la préfecture, il n’est question que d’extension de carrière, sans aucune précision sur le projet industriel d’exploitation, c’est-à-dire son ampleur et sa durée. C’est pourtant l’importance de l’extraction projetée et son horizon c’est-à-dire la consistance réelle de la demande du carrier que devrait indiquer la DP -Direction du personnel- (pièce n°1), et non pas de savoir quelles parcelles sont concernées (rôle de la mise en compatibilité pièce n°2). Mieux, dans son historique, la DP ne mentionne ni l’autorisation d’extraction actuelle, ni même la demande du carrier du 10 septembre 2014, pourtant indiquée, de tripler le tonnage extrait (500000 tonnes) et de doubler sa durée (30 ans). Il y a dans ces omissions délibérées de la déclaration de projet, une volonté de cacher aux élus la consistance du projet ».
« Le même argument s’applique à l’enquête publique. Les habitants n’ont pas l’information nécessaire pour comprendre la consistance du projet. Quand on sait la sensibilité de la population de Saint Julien aux nuisances importantes de l’installation et en particulier au passage des camions depuis 20 ans, cette omission fausse complètement l’information des citoyens et constitue donc un vice de forme. »
« Sur le déficit de la Loire en granulat : l’estimation du déficit du département de la Loire n’est pas prouvée puisque p15, la DP met en regard des besoins estimés et une production réalisée (année 2014). Par ailleurs, avec un taux de valorisation des déchets de 64%, le département est un mauvais élève de la région Rhône Alpes Auvergne (Rhône 74%, Isère 89%, Ain 84%, Savoie 83% : voir note sur recyclage pièce n°7). Au lieu de favoriser le recyclage, c’est à dire, l’économie de matériaux et la limitation des impacts environnementaux, objectif de toutes les politiques environnementales nationales et régionales (COP 21, Grenelle de l’environnement, etc.), le préfet préfère signer des arrêtés d’extension de carrière qui rendent cet objectif de recyclage plus difficile.
« Sur l’intérêt technique du matériau : on peut voir sur place que le granit gris dont la DP vante les mérites et que le carrier a cherché pendant l’exploitation des 10 dernières années ne commence à affleurer en partie basse qu’aujourd’hui. Il a donc surtout produit du sable depuis la dernière autorisation. Ce matériau ne constituerait qu’une partie du volume d’extraction, en cas de poursuite de l’exploitation. »
« Sur la défense de l’emploi et des impôts locaux : toute entreprise française invoque pour peser sur les collectivités locales la création ou la défense de l’emploi et les impôts locaux. Ces deux arguments ne sauraient donc justifier l’intérêt général, ou alors, toute entreprise est d’intérêt général et la planification de l’urbanisme n’a plus aucun sens.
Par ailleurs, le nombre d’emplois indiqué est exagérément gonflé. Il est impossible de se fier aux données du carrier que la préfecture a retranscrites sans les vérifier. Il n’y a pas plus de 5 personnes à plein temps sur le site et pas plus de 5 chauffeurs qui le desservent régulièrement. On peut compter aussi une personne sur le dépôt de Sablons. C’est la moitié de l’emploi cité. Si le carrier conteste ces chiffres, qu’il ouvre ses livres de compte, donne sa déclaration annuelle de salaires pour le site et la définition nominale des fiches de poste. En face de ces emplois, il faut mettre la douzaine d’emplois touristiques directement menacés par la carrière mais aussi la fragilité des commerces qui vivent pour partie de l’activité touristique et nourrissent la vitalité du village. »
« L’évaluation environnementale […] a surtout l’inconvénient d’avoir été réalisée par un service de l’État pour justifier une action de l’État. Sa partialité lui enlève toute crédibilité d’autant qu’elle reprend à son compte nombre de données fournies par le carrier qui n’ont pas été vérifiées […].
Mais surtout, [cette évaluation] fait totalement abstraction des oppositions des habitants de Saint-Julien à la carrière qui suscitent des débats et des manifestations dans le village depuis vingt ans, oppositions que la préfecture connaît bien. Rien n’est dit sur les procès intentés contre elle, portés par une association déboutée en appel sur une question de forme, sur la constitution d’un collectif de défense, sur la création d’une feuille d’information, « Piraillon mag », contre le projet, régulièrement distribuée depuis deux ans, sur les très nombreuses plaintes et lettres adressées au préfet, etc., tout ce que le PNR a appelé l’acceptation sociale du projet. Les Piraillons comptent-ils moins que les chiroptères et les chauves-souris dont il est longuement question dans l’évaluation ? Cette lacune importante et délibérée de l’EE la disqualifie et révèle sa partialité ».
« La déclaration de projet portée par la préfecture pour l’extension de la carrière présente de graves vices de forme en masquant délibérément l’essentiel, c’est-à-dire l’importance du projet. Sa justification de l’intérêt général est fallacieuse dans sa démonstration comme dans les données qu’elle manipule. Enfin, l’évaluation environnementale qui l’accompagne cache les conséquences de la DP sur une espèce en voie de disparition, un millier de Piraillons : elle est trop partiale pour être crédible.
Ce dossier démontre le peu d’écoute et de considération de l’administration préfectorale pour les élus du Pilat et du PNR comme de la population. Le fait de reprendre à son compte les données du carrier sans les vérifier met en lumière sa faiblesse voire sa complaisance face au lobbying d’un groupe industriel de niveau régional (200 emplois). Ce n’est pas le moindre des défauts de cette déclaration de projet. »
L’avenir dira qui, du pot de fer ou du pot de terre, aura le dernier mot…
Crédit photos et remerciements à Claudine Tardy
François dit
Un aspect qui semble bien discutable dans notre système démocratique français est bien cette pré-éminence du préfet, c’est à dire de l’État contre les instances territoriales.
Je veux bien croire que certaines installations requièrent au nom d’un intérêt général défendable cette capacité de l’État d’intervenir, mais dans un conflit plus classique entre intérêt des populations pour un équipement local, je ne vois pas pourquoi. Une entreprise (ici Delmonico-Dorel), une ferme de 300 porcins, ou une éolienne, ce sont d’abord des enjeux de démocratie locale. Alors vivent les habitants de Saint-Julien-Molin-Molette, porteurs d’une lutte qui les dépasse largement.
Sébastien dit
Un préfet n’est effectivement pas obligé de suivre les différents avis suite aux consultations liées aux ICPE. Et heureusement, car les avis sont souvent donnés « à chaud » et sans vision globale et parfois découlant d’une mauvaise information.
Dans votre cas, ce qui me dérange, c’est que certains mettent en avant les questions environnementales pour refuser l’extension de carrière. Alors que justement, une carrière est un lieu où la biodiversité est parmi les plus riches.
Les camions dans St Julien: oui, un problème de nuisance sonore, mais encore une fois rien à voir avec l’environnement. Une carrière permet aux chantiers BTP d’utiliser les matériaux locaux, donc moins de transport et moins de mélange de sol. Idem dans l’autre sens, une carrière est rebouchée avec les matériaux des chantiers voisins.
Alors sans donner d’avis sur l’intérêt d’agrandir cette carrière ou pas, je dis juste ceci: des articles comme celui-ci ne font qu’une chose, convaincre un peu plus le préfet que les opposants au projet le sont pour des mauvaises raisons.
J’espère juste que le préfet aura la même approche avec des « petites » entreprises ayant besoin de son aval pour travailler.
Narvaez Michèle dit
Bonjour, merci pour ce commentaire critique, il ouvre un débat.
Ces questions suscitent toujours la contradiction: habitants contre entreprises par exemple. Ou évaluation des conséquences environnementales à court ou moyen terme.
Dans le cas de Saint Julien, je n’ai pas pensé uniquement à l’environnement. J’ai pensé à des habitants, stressés par les nuisances sonores des camions, empoisonnés par les vapeurs de carburant, inquiets de laisser leurs enfants sortir dans la rue, parce que -j’en ai fait l’expérience!- ces camions traversent le village à toute vitesse, bien au-delà de celle autorisée. J’ai pensé à la dégradation du paysage, et à la crainte de voir baisser la fréquentation touristique…
Bref j’ai pensé à l’humain.
Sans doute l’argument « environnemental » est-il repris parce que le village est dans un parc naturel régional, mais ce n’est pas le seul problème. Le problème c’est aussi le mépris de la Préfecture, de l’entreprise, vis à vis d’habitants qu’on ne reçoit pas, avec qui on ne discute pas… Et la démocratie, dans tout ça? Et le respect des gens?
C’est pour cela qu’il m’a semblé utile de reprendre leurs arguments dans ce petit papier.