En Grèce antique, l’hospitalité est un devoir, récompensé par les dieux, la refuser une marque d’impiété, punie par les dieux. Les exemples abondent dans la mythologie. L’étranger a beau être un « barbare », il a droit au respect : le mot « philoxenia » désigne cet « amour de l’étranger ». Curieusement, nous usons et abusons de la « xénophobie », et avons oublié la « philoxénie »…
Me revient en mémoire ce chant VI de l’Odyssée, où Ulysse, ballotté par les flots, accroché à une poutre de son radeau, finit par s’effondrer à l’embouchure d’un fleuve, et par s’endormir, nu, épuisé, sous deux oliviers.
Ulysse arrive de Troie, où il a combattu.
Troie, dans l’actuelle Turquie. Pas très loin de la Syrie.
Il se réveille au moment où Nausicaa, la fille du roi des Phéaciens, accompagnée de ses suivantes, va laver son linge aux lavoirs situés sur le bord du fleuve. Ulysse, qui a couvert sa nudité de quelques branchages, entendant les voix des jeunes filles, s’approche d’elles. Les suivantes s’enfuient, mais Nausicaa reste et écoute ce migrant la supplier de lui donner des vêtements et de lui indiquer le chemin de la ville la plus proche.
Je suis allée chercher le texte.
« Étranger, répondit la belle Nausicaa, vous qui ne me semblez point un homme criminel ni privé de raison, Zeus, roi de l’Olympe, lui-même distribue la fortune aux mortels, soit aux bons, soit aux pervers, à chacun comme il lui plaît : ce qu’il vous envoie, il vous faut le supporter ; mais aujourd’hui, puisque vous abordez dans notre patrie, vous ne manquerez point de vêtements ni de tous les secours que l’on doit au suppliant qui se présente à nous. Je vous enseignerai le chemin de la ville, et vous dirai le nom de ces peuples. Ce sont les Phéaciens qui possèdent cette ville et ce pays ; moi, je suis la fille du magnanime Alcinoos ; il reçut d’eux la puissance et la force. »
Ainsi parle Nausicaa ; puis elle donne cet ordre aux femmes qui l’ont suivie :
« Arrêtez, ô mes compagnes ; pourquoi fuyez-vous à la vue de cet étranger ? Le prendriez-vous pour l’un de nos ennemis ? Non, il n’est aucun mortel, il n’en sera jamais qui vienne dans le pays des Phéaciens pour y porter la guerre, car nous sommes chéris des dieux. Nous habitons, séparés de tous, au milieu de la mer ténébreuse, et nul autre peuple n’a des relations avec nous. Après avoir erré longtemps sur les flots, cet infortuné touche enfin à ce rivage, et maintenant nous devons en prendre soin : c’est de Zeus que nous viennent tous les étrangers et les pauvres ; le plus léger don leur est cher. Mes compagnes, offrez à l’étranger la nourriture et le breuvage ; ensuite baignez-le dans le fleuve, en un lieu qui soit à l’abri du vent. » 1
On connaît la suite : généreusement accueilli par le roi Alcinoos, Ulysse révélera son identité.
Pendant des siècles, dans toutes les cultures de la Méditerranée, prévaudront ces règles de l’hospitalité : nourrir, loger, soigner celui qui demande asile.
Et voilà qu’un petit village de Calabre, déjà célèbre pour deux bronzes antiques (datant du Vème siècle avant Jésus-Christ, deux siècles après Homère..), vient de colorer la grisaille de l’information télévisée : Riace, « village de l’accueil » comme l’indique le panneau d’entrée. Depuis 1998, sous l’impulsion d’un maire aussi intelligent que généreux, le village a accueilli plus de 400 migrants venus de la mer, kurdes, afghans, érythréens, ghanéens. Bilan : le village, qui se désertifiait, s’est repeuplé, les maisons ont été réhabilitées, l’école a ouvert des classes, l’artisanat s’est développé, et les habitants, pour la plupart, les anciens comme les nouveaux, affirment leur satisfaction.
On imagine bien qu’il faut, pour des opérations de cette sorte, des aides, en l’occurrence celle de l’État italien. On imagine bien qu’il y a des écueils, des difficultés, celle, par exemple, comme le dit un réfugié, de l’apprentissage de la langue. Rien n’empêche de se montrer inventif : à Riace, les nouveaux venus reçoivent chaque mois pour subvenir à leurs besoins en attendant de trouver du travail 250 euros, dont 175 en … une monnaie locale, qu’ils ne peuvent donc dépenser que sur place, ce qui dynamise le petit commerce. Ces « bons » sont ensuite échangés en banque contre des euros par les commerçants, à la fin du mois !
Peut-être est-ce un exemple à suivre. Peut-être serions-nous récompensés, de mille manières, en suivant l’exemple de Riace …
Note
- Traduction Jean-Baptiste Dugas-Montbel, sur kulturica.com/k/
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