Et si l’Euro 2016 était à l’image de l’Europe ? Et si l’Europe était à l’image de l’Euro ?
On se souvient de la Grèce antique, et des belles pages que l’historien Thucydide a consacrées à la trêve olympique dans son Histoire de la guerre du Péloponnèse, ouvrage écrit entre 430 et 411 avant J.C., c’est à dire au moment des faits. Il nous laisse imaginer le soldat de Sparte et le soldat d’Athènes, villes alors en guerre, tranquillement assis côte à côte sur les gradins pour assister au spectacle.
La trêve olympique durait un mois et était proclamée dans toute la Grèce dans le but d’assurer la sécurité des athlètes et des spectateurs. Tout contrevenant risquait une forte amende et l’exclusion des Jeux. Pendant un mois, le sport était sacré.
Depuis, les Jeux Olympiques sont l’occasion de célébrer la paix, l’amitié entre les peuples, la reconnaissance de la diversité. Et il en est ainsi des autres grands rassemblements sportifs.
Un rassemblement européen autour du foot, quelle belle idée, a priori ! Saine émulation, respect des équipes envers les équipes et envers les spectateurs, respect des valeurs du sport : contrôle de soi, dépassement de soi, tout en somme pour que la compétition soit aussi une belle et joyeuse fête collective.
En lieu de quoi, nous avons asssité à un bien triste début : matches sous contrôle policier, bagarres rangées entre supporters, blessés à l’hôpital, comparutions immédiates, craintes de débordements, menaces de suspension, risques d’incidents diplomatiques, rien de bien joyeux en somme.
Drôle de fête !
Et curieuse image de l’Europe que celle de ces castagnes dans les rues des villes ou aux abords des stades !
Le sport contient en lui cette ambiguïté : c’est le lieu de la fête pacifique entre nations, mais c’est aussi le lieu de l’affirmation de la volonté de puissance nationaliste. Ce que cet Euro 2016 révèle peut-être, c’est la fragilité de la construction européenne, à l’heure où renaissent les nationalismes exacerbés.
La crise des réfugiés et le refus des anciennes démocraties populaires ou de pays comme l’Autriche de leur venir en aide, les barbelés érigés aux frontières, le repli sur le pré carré national, telle est la toile de fond qui se dessine derrière les affrontements entre fans alcoolisés. Faisons le compte : la droite dure, voire fasciste, a gagné des points un peu partout, elle est aux commandes en Pologne et en Hongrie, a failli remporter la présidence en Autriche, est en expansion en Suède, en Belgique, aux Pays-Bas, participe au gouvernement en Belgique, en Finlande et au Danemark. Et le fond de commerce de cette droite dure, c’est le repli sur soi, la défense avant tout des intérêts nationaux, et le rejet de l’autre. Xénophobie et paranoïa en sont les tristes mamelles.
Dans ces conditions, comment l’Euro 2016 pourrait-il offrir le spectacle apaisé de la main tendue vers les autres, de l’accolade amicale et de la fête généreuse ?
Rien n’est encore perdu pour l’Euro : les mises en garde et les sanctions prévues permettront peut-être de pacifier les prochaines rencontres.
Mais pour l’Europe ? Rien n’est encore perdu ?
François Vesca dit
Cet article me fait penser au dernier édito de Guillaume Duval dans Alternatives Economiques qui lie la panne de l’Europe à celle de la sociale-démocratie qui ne se hisse pas au niveau des enjeux de la mondialisation. Quelle suite pouvons-nous imaginer ?
Je vous mets l’article de G.D. repris sur le site de Sauvons l’Europe également.
Naufrage de la sociale-démocratie
Même si elle s’est terminée par la victoire du candidat vert, l’élection présidentielle autrichienne du mois dernier a illustré l’inquiétante montée de l’extrême droite en Europe. Il y avait certes déjà Viktor Orban en Hongrie ou les frères Kaczynski en Pologne, mais il s’agissait de pays de l’Est, traumatisés par leur séjour sous la botte soviétique. Or, même si l’Autriche est le pays d’origine d’Adolf Hitler, elle est aussi le berceau d’une des social-démocraties les plus puissantes du monde : depuis 1945, le SPÖ a dirigé le pays durant quarante ans.
Le naufrage de la social-démocratie autrichienne illustre celui de toute la gauche de gouvernement en Europe. Durant les Trente Glorieuses, elle avait su répartir les fruits de la croissance. Mais aujourd’hui, elle n’est manifestement plus capable de concevoir un projet alliant soutenabilité écologique et solidarité, dans un contexte où l’économie est ouverte. Du coup, elle a choisi le consensus avec la droite sur les questions économiques et sociales, sous l’influence notamment de Tony Blair et de Gerhard Schröder. Et depuis, elle perd régulièrement son ancrage dans l’électorat populaire. Cette décomposition s’est accentuée avec la crise, la gauche étant incapable d’offrir une alternative à la politique prônée par la droite européenne sous l’impulsion d’Angela Merkel. Une paralysie qui est apparue criante au cours de la crise grecque. L’attitude de l’exécutif français depuis quatre ans illustre parfaitement cette faiblesse.
A l’exception de l’Espagne et de la Grèce, c’est partout la droite extrême qui profite du naufrage de la social-démocratie. Et quand celle-ci essaie de courir après les xénophobes sur la question des réfugiés, comme cela a été le cas en Autriche ces derniers mois, mais aussi précédemment au Danemark, les électeurs préfèrent l’original et le désastre s’accentue.
Le cas de la social-démocratie européenne est-il désespéré ? On peut le penser. D’autres forces émergeront très probablement pour reprendre le flambeau du progrès, comme le montrent la poussée de Podemos en Espagne ou des Verts autrichiens. Mais en attendant que celles-ci aient suffisamment mûri, la social-démocratie risque d’entraîner tout le projet européen dans son agonie. Et cela, il faut d’urgence réussir à l’éviter.
Guillaume Duval
Alternatives Economiques n° 358 – juin 2016
http://www.alternatives-economiques.fr/naufrage_fr_art_1439_76110.html
Carlos Ribeiro dit
L´article de Guillaume Duval dans Alternatives Economiques et repris dans Sauvons l’Europe est tout au moins étonnant. Précisément parce que les questions qu´il aborde dans son article sont pertinentes sur la social-démocratie et son rôle historique en Europe. Mais je ne peux comprendre qu´au milieu de ce naufrage qu’il décrit, il ne se soit pas aperçu qu´il y avait une bouée apparemment bien plus solide que l´on pourrait imaginer et qui s´appelle « Bidule ».
Bidule est le nom qui est devenu populaire pour désigner la majorité parlementaire qui existe au Portugal et qui soutient au gouvernement socialiste d´Antonio Costa sur un contrat démocratique bien précis.
Il y a donc un scénario alternatif à une social-démocratie de troisième voie, blairo-schroderienne, ainsi qu’à des mouvements tels Podemos en Espagne qui doivent encore démontrer leur capacité à se différencier des partis conventionnels, dans l’accès comme dans l’exercice du pouvoir.
« Bidule » est un donc accord de gouvernement entre le Parti Socialiste, le Parti Communiste Portugais et le Bloc de Gauche. Sur des questions fondamentales de gouvernement il y a entre ces trois forces un contrat de coopération et de soutien au gouvernement au Parlement. Sur toutes les autres questions chaque parti est libre de défendre ses positions et de voter comme il le souhaite. C´est du pragmatisme, allié à une négociation permanente. Cela signifie qu’une approche progressive prévaut plutôt que l´affirmation de positions de principes qui dominait dans le passé.
C´est donc une nouvelle dynamique qui a déjà permis au gouvernement socialiste de mettre à l´avant des mesures et de politique sociale très importantes qui ont redonné l´espoir à des millions de portugais, surtout aux victimes des politiques de droite des dernières années.
Faudrait peut-être se poser la question pourquoi certains affirment avec conviction qu´une solution de ce type est impensable en France. Que fait-on pour poser la question et pour mettre en évidence cette alternative? Peut-être que la séduction produite par des nouveaux mouvements est compréhensible face à la désillusion provoquée par le gouvernement Hollande-Valls. Mais il faudrait, comme Shell affirmait dans une campagne publicitaire dans le temps « mettre un tigre dans votre moteur », « mettre du Bidule dans votre vie politique » pour contribuer à sauver la démocratie et même l´Europe.
Michèle dit
Le billet de Carlos, tonique et réjouissant, laisse entrevoir des pistes possibles. Nous souhaitons en savoir davantage sur cette expérience innovante au Portugal.
Carlos imagine que là puisse être une solution pour éviter la déconstruction de l’Europe. Mais combien d’écueils, combien d’ornières sur ce chemin !
Le « Bidule » de Carlos me fait penser au « jeitinho » brésilien. Le « jeitinho », c’est intraduisible, c’est la débrouille, c’est l’art de trouver des solutions hors des systèmes,
hors des sentiers battus. C’est « ce qui marche »… C’est un peu latino. Et très pragmatique. Et malheureusement pas très français !
J’ai bien peur en effet que notre pays, rouillé par des siècles pendant lesquels l’État fut fort et parfois providentiel, structuré par l’ossature d’une administration toute puissante, ne sache pas, précisément, être pragmatique.
Quand je suis rentrée de Bogota, après avoir participé à une expérience de politique urbaine totalement inédite, totalement hors système, hors accords de partis, et qui a « marché » au delà de toutes les espérances, je suis arrivée à Lyon, et forte de mon innocence, j’ai proposé à la nouvelle mairie (de gauche, PS, Verts: j’étais sur la list électorale) de tenter une expérience de démocratie directe autour de la culture. Une adjointe à la culture avait envie de se lancer mais le PS a vite mis le hola, et ladite adjointe d’ailleurs a été plus tard remerciée. Pour d’autres raisons certes mais quand même.
Un peu plus tard, avec un groupe d’amis, nous avons proposé à la ville de Roanne (mairie PS) un expérience de Ville en transition, sur le modèle de Totnes que nous avions découvert, et qui nous avait fascinés. Là encore le PS a tout fait pour étouffer dans l’oeuf cette proposition.
Et puis, PS ou pas PS , il est très difficile de transposer ailleurs une expérience qui marche dans un pays, ou une ville. Surtout quand on a affaire à des partis sclérosés, enracinés dans leurs habitudes politiciennes, comme en France. Et qui ont en plus l’expérience d’une Union de la Gauche (Parti socialiste, Mouvement des radicaux de gauche et Parti communiste).
Cette Union de la Gauche, alliance électorale conclue sur la base d’un Programme commun de gouvernement élaboré dans les années soixante-dix, a donné sa marque au premier mandat présidentiel de François Mitterrand, élu en 1981, et aux gouvernements successifs de Pierre Mauroy. Mais les communistes se sont retirés, et les Verts n’existaient pas encore en tant que Parti. Une autre alliance (« Gauche plurielle ») a vu le jour entre 1997 et 2002, sous le gouvernement de Lionel Jospin, avec cette fois les Verts.
Le bilan de cette période est intéressant et de nombreuses avancées réelles en matière sociale ont été possibles : instauration des emplois jeunes, réduction du temps de travail à 35 heures, création de la couverture maladie universelle (CMU), augmentation légale des logements sociaux entre autres et aussi la parité, le pacs et la loi Voynet de protection du littoral. Nous en bénéficions encore aujourd’hui. Cette période a aussi pu, dans un certain nombre de municipalités, insuffler un dynamisme nouveau et permettre la mise en oeuvre de projets plus progressistes. Mais l’alliance n’a pas tenu, parce qu’elle n’était, au fond, qu’électorale, si bien qu’ensuite chaque parti s’est replié sur son identité et ses revendications propres. Aujourd’hui les désaccords se sont creusés encore davantage, si bien qu’il apparaît tout à fait improbable de reconstituer une union de la gauche pour les élections de 2017.
Pour en revenir au texte de Duval, il interroge la situation européenne, et là, imaginer une alliance entre partis de gauche tient un peu du voeu pieux, il faudrait déjà que les citoyens votent à gauche et pas à droite! Je reviens de Pologne, l’évolution à droite est assez instructive !
Mais Carlos a raison de poser la question : faut-il espérer en l’émergence de mouvements nouveaux, encore embryonnaires, ou tenter malgré tout de pousser les partis de gauche à se transformer, à changer de politique ? En contrepoint de son exemple du Portugal, il y a les succès récents du Mouvement Cinq étoiles en Italie : mouvements neufs, mouvements innovants, mais non dépourvus d’ambiguité ! Et l’échec de Podemos en Espagne doit aussi nous faire réfléchir.
La discussion reste ouverte !
Michèle Narvaez