Une réaction « à chaud », un billet d’humeur, à la lecture d’un extrait du Dauphiné et au visionnage d’une émission de I-télé. Depuis, Laurent Joffrin et beaucoup d’autres se sont exprimés mieux que moi, dans le même sens, sur les prises de position «abracadabrantesques» de ce philosophe.
L’État islamique a diffusé vendredi une nouvelle vidéo, intitulée «Faites exploser la France», elle adresse notamment des félicitations aux auteurs des tueries, responsables d’ «avoir semé le carnage dans les rues de la capitale». Elle appelle par ailleurs les djihadistes «à s’élancer, avec toute sorte de moyens, pour tuer l’ennemi […]. Les attaques ne cesseront pas tant que les avions survoleront le ciel», référence aux frappes françaises menées contre le groupe terroriste depuis le 27 septembre.
Plus insolite, cette vidéo se termine par des images de l’essayiste français Michel Onfray, qui avait appelé lors d’une interview télévisée, mais aussi dans les colonnes ou sur les ondes d’autres médias, à cesser de combattre les djihadistes. Le philosophe estime même qu’il faut «entamer des relations diplomatiques» avec Daech.
Extrait du Dauphiné libéré du 22 novembre 2015
Michel Onfray, immédiatement interrogé sur I-télé, a répondu. Il l’a pris de très haut. En gros, il sait ce qu »il a dit, il sait qu’on peut l’instrumentaliser, il n’en a cure, il continue son travail de philosophe « sur le long terme », la morale c’est très bien mais ce n’est pas sa tasse de thé, le court terme ne l’intéresse pas. On ne compte plus les « moi je » dans ses réponses : moi-je , le narcissisme porté en étendard…
Mais sait-il le mal qu’il peut faire ? Dans les médias, parmi ses admirateurs, parmi ceux qui suivent ses cours à l’Université populaire ? Et, s’il le sait, ce mal qu’il peut faire, l’accepte -il froidement ? Sa froideur hautaine, lors de l’émission, est-elle une posture ? Est-elle sincère? A aucun moment, précédemment, il n’a manifesté de compassion pour les victimes, de révolte face à la barbarie des attentats ?
Indifférence, narcissisme encore
Quant à l’idée qu’il défend («tout faire pour arrêter les bombardements, pour instaurer la paix en négociant» avec l’EI et les États comme le Qatar et l’Arabie Soudite), elle est d’une naïveté désolante. Elle révèle une incompréhension totale des réalités géopolitiques, de la guerre entre sunnites et chiites, des rapports de force dans le monde arabe. Elle révèle une incompréhension des dangers du pacifisme à un moment donné de l’histoire. Elle fait hélas penser aux pacifistes qui conseillaient de négocier avec Hitler en 1939, et qui ont ouvert la brèche par laquelle le nazisme et le génocide des juifs en France se sont engouffrés…
Pour en revenir à Onfray, on connaît l’enfance et la formation -chaotiques, malheureuses- d’un enfant très doué qui a grandi entre refus et révoltes. Une formation en partie autodidacte, une carrière d’enseignant dans un lycée technique privé catholique, la révolte contre l’enseignement de la philosophie en France, la révolte contre les religions (toutes : islam, judaïsme et christianisme), la profession de foi athée et hédoniste, et la naissance de l’Université populaire, avec un succès, par ailleurs mérité, qui lui a valu la reconnaissance de beaucoup d’entre nous.
On connaît aussi le personnage, son immense orgueil, son besoin de revanche (contre la société, contre les intellectuels des grandes écoles, etc.), son goût de la provocation, sa difficulté à dialoguer avec ses pairs.
Mais peut-on l’excuser ? Peut-on continuer à le lire comme si de rien n’était ? Peut-on mettre ses textes entre les mains de jeunes à l’esprit encore vulnérable , qui risquent de se saisir de certains de ses propos pour justifier leur dérive ?
Et surtout, de quoi est donc faite sa philosophie ? Je viens de lire chez une amie le premier tome de Cosmos. Ouvrage clair, puisqu’il s’agit de vulgariser et de porter loin, avec des passages intéressants. Mais enfin, ce qu’il écrit sur la nature, c’est du copié collé de ce que d’innombrables penseurs ont déjà écrit, je pense à des auteurs latino-américains, comme l’écologiste brésilien José Lutzenberger –Gaia-, ou encore à des textes et même à des pratiques des Indiens d’Amérique. N’y aurait-il pas là beaucoup d’amateurisme ?
S’inspirer comme il le revendique, en vrac, d’Aristippe de Cyrène (et des cyniques), de La Mettrie et de Nietzsche, c’est encore une tactique de copié-collé, qui ne tient pas compte de la mise en perspective historique de ces penseurs. Confusion des genres, erreurs factuelles, et surtout une grande inconséquence caractérisent de plus en plus les prises de position de ce gourou médiatisé, dont la crédibilité vient d’être très lourdement entamée.
Je pense aux sophistes et au combat que Socrate n’a cessé de leur livrer. Il y a -comment n’y aurait-il pas ? – de très belles choses à ce sujet chez Platon. La bonne rhétorique, la rhétorique dangereuse. Elles peuvent parfois se ressembler, si on n’y prend pas garde. Mais l’une est un remède, l’autre un poison : pharmakon, le même mot.
Alors, pour moi, la rhétorique de Michel Onfray est devenue vénéneuse.
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