Le discours des classes dirigeantes utilise à foison ce qu’il est convenu d’appeler d’un vocable générique : novlangue. La novlangue s’appuie en particulier sur des mots et expressions détournés, dénaturés, camoufleurs, euphémisés, etc., des « arguments » ou figures de rhétorique piégés et piégeants. La plupart des médias le reprennent et le diffusent allègrement, par conviction, paresse, routine ou facilité. Ces derniers jours, les crimes de guerre et contre l’humanité commis à Alep ont ainsi, paraît-il, révélé ou illustré « l’impuissance » de « la communauté internationale ».
Éviter de : engager le « débat » sur, par exemple, qui a commencé ; renvoyer dos à dos les barbares – en oubliant les civils et la population – ; évoquer les enjeux économico-stratégiques, les autres situations horribles de par le vaste monde, voire le relativisme, sic ! des preuves, etc. Hélas, ces « arguments » font partie de la pratique novlanguienne ici également. Car la question au fond, la question fondamentale, essentielle n’est pas là. Elle gît, et je ne joue pas hélas! sur le mot, dans « l’impuissance » de « la communauté internationale ». Impuissance à faire respecter, en vrac et dans le désordre, si j’ose écrire cela : les conventions internationales sur la conduite de la guerre – et l’utilisation des armes chimiques n’est qu’un aspect -, sur la protection des personnes civiles en temps de guerre, sur l’interdiction de la punition collective, sur l’interdiction de bombardements dits indifférenciés sur des quartiers et des zones, des hôpitaux, écoles et marchés, sur… Ah ! À cela s’ajoute la destruction de convois humanitaires de l’ONU et du Croissant rouge avec la mort de nombre de leurs participants.
C’est tout ? Ce n’est pas rien. C’est déjà très beaucoup, n’est-ce pas. Mais pas encore assez pour redonner le goût, le désir et l’énergie de la puissance ? P’têt bien qu’il s’agit alors d’autre chose, et l’utilisation du vocable « impuissance » est une chose répugnante
L’impuissance des puissances a toujours du sens
Remarquer que la dictature Assad, la Russie, l’Iran, l’Arabie saoudite affirment leur puissance sans vergogne et sans peur de punitions ou – et représailles. Car en face il y a la puissance des postures, des déclarations vertueuses (l’étymologie latine renvoie à l’excellence de l’homme, dans sa force morale, dans sa capacité à résister, son courage…) et des protestations – toujours faire suivre de solennelles, vigoureuses, définitives, unanimes ( ? ), enfin c’est comme vous le voulez, le registre des « clichés littéraires » est riche.
Penser à l’impuissance masculine, et observer que l’extrême majorité des dirigeants politiques sont des hommes, des z’hommes. Observer que s’il peut y avoir éjaculation précoce et donc en quelque sorte « puissance rapide » ou en mode accéléré, on parle ici d’une impuissance prolongée, de plus de 5 ans déjà. Une impuissance sacrément puissante, non ?
S’amuser à chercher les synonymes et surtout les antonymes de « Impuissance », pratique toujours éclairante, par exemple sur lexilogos.fr.
Savoir que l’impuissance peut-être physique, morale ou de la volonté, et se dire que l’impuissance morale ou le défaut de volonté produisent ici l’impuissance physique.
Paraphraser divers penseurs ou politiques, sans aller nécessairement du côté de la psychanalyse, en affirmant que l’on est toujours l’impuissant de l’autre, que l’on est impuissant du fait ne pas s’opposer à la puissance de l’autre, que l’impuissance est souvent dans la tête.
Rapprocher aussi du célèbre concept de la « servitude volontaire » en s’exclamant : « impuissance volontaire », en ajoutant : « des dirigeants et des organisations mondiaux ».
S’étonner de l’impuissance de « la plus grande puissance mondiale » et de quelques autres puissances dans le top 5 ou 6 mondial, surtout si elles marient, si j’ose écrire cela, leur puissance. Il y aurait donc la puissance des impuissants puissants.
Éviter de plaisanter en arguant que : trop de puissance, ou de puissances, tue-nt, parce que c’est parfois vrai, mais là pas, à part « les méchants » comme de bien entendu, qui sont même pas dans le top 5 ou 6 des puissants, et donc la morale reste au final la solution, si j’ose ce rapprochement de termes, la puissance des impuissants. Ouf !
Faire un lapsus, et s’écrier : « impotence » !, vocable qui renferme cet autre : « potence », ce qui donne à réfléchir, et ouvre aussi sur la locution : « Roué comme une potence ». Car s’il y a un tribunal contre les criminels de guerre et d’humanité, il n’y a pas de tribunal contre les impuissants à leur non insu et de plein gré face à ces crimes.
S’interroger, benoîtement : Pour quelle-s raison-s mettre en avant le vocable impuissance, et non : inaction, tolérance, passivité, – raisonnable, raisonnée, qu’importe -, laisser-faire … Voire accommodement, ajustement, flexibilité, et même : pragmatisme, ces vocables si beaucoup appréciés par le discours novlanguien ? Les mots ne manquent pas.
Faire une connexion avec l’un des célèbres slogans orwelliens, dans 1984 : « La guerre c’est la paix », se rappeler ses humanités (si j’ose écrire cela ici) et réciter : « Si tu veux la paix prépare la guerre ». Puis frémir à l’idée que de-ci de-là il est dit que « la guerre au terrorisme », et c’en est une à Alep, n’est-ce pas, comme ce fut à Grozny, ou encore à…, donc la guerre au terrorisme prépare la paix. Frémir un peu, « malgré tout », après avoir repris cette, ce, enfin, ce truc.
Entendre un petit voix, timide, hésitante, avancer que la « guerre au terrorisme », expression et pratique piégée et piégeante, enrichit la guerre et qu’il vaudrait mieux envisager… ( la petite voix est submergée, non par l’émotion mais par le choeur des z’experts en tout genre et le débat est clos).
Philosopher sur cette impuissance à géométrie variable, très variable, forcément, décidément, vraiment.
Chanter, comme Gavroche : « Si je suis dans l’impuissance, c’est la faute aux circonstances ; si je manque de puissance, c’est la faute à la discordance ».
S’amuser, toute honte bue, des z’excuses dignes du divan et nécessitant un coaching énergique : c’est compliqué, on n’y arrive pas, nous sommes hantés par des précédents malheureux, et si cela ne marche pas ?, je vais me prendre une veste, etc.
Se mettre en colère, parce que. D’un côté il y a de l’impuissance, ah! ben oui. De l’autre quelque 500 000 personnes, femmes hommes et enfants, tuées, d’innombrables traumatisés et blessés, combien de « disparitions forcées », emprisonnées, torturées, assassinées? Et aussi : 13,5 millions de personnes déplacées dont la moitié à l’extérieur de la Syrie sur une population d’environ 22 millions d’habitants, la destruction de sites millénaires (ne reparlons pas des hôpitaux, des écoles, des maisons, etc.). ETC. ETC.
Et les droits humains, bordel ? !
Se dire que, quand même, imposer des zones d’exclusion aérienne, oser des bombardements d’aérodromes, des largages de vivres, vêtements, matériel médical, médicaments, groupes électrogènes, imposer la présence d’ambassadeurs, ne serait-ce que ceux de l’ONU et de la Croix-Rouge, dans les villes assiégées et bombardées ainsi que dans les zones de guerre en refusant l’interdiction assado-poutinienne, se donner les moyens de faire circuler les convois humanitaires et les protéger. Ne serait-ce que cela. Et si l’ONU se déclare impuissante z’àcausedudroitdeveto, eh bien !, une coalition ! Ce ne serait pas la première fois, si ? Mais cette fois-ci pour imposer le respect des droits humains et des conventions internationales. L’impuissance donc, tartufferie qui espère permettre le dédouanement du fait de laisser « buter jusque dans les chiottes », pour reprendre une expression poutinienne, les principes et règles dont se réclament les puissants et dont ils s’affirment les promoteurs (imposer la démocratie en Irak, en Lybie…) et les protecteurs. Quant aux convictions, oublions, par charité.
Si les mots et les choses ont un sens, l’exclamation de Winston Churchill contre les mous, les frileux, les accommodants : « Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre » est une référence plus que jamais actuelle et puissante. En Syrie et ailleurs de par le vaste monde modernement mondialisé.
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