L’été 2015 a été pour les grecs, la Grèce et l’Europe un moment douloureux de vérité. Voici un témoignage sur les semaines qui suivent le référendum du 5 juillet jusqu’à l’élection du 20 septembre 2015, l’un et l’autre gagnés par Alexis Tsipras.
Mercredi 29 juillet
Un pays sous le choc
En dehors des quartiers touristiques, le centre d’Athènes paraît sinistré. Tant de magasins fermés. Le contrôle des changes ralentit ou paralyse une partie de l’économie. Plus nombreux qu’à l’accoutumée, des hommes et même des femmes errent dans les rues, quémandant une pièce, une aide. La société grecque va mal. La situation sanitaire s’est beaucoup dégradée. Des hôpitaux ont été forcés de fermer ; une proportion importante de médecins, jeunes pour la plupart, a quitté le pays. 1.
Dans ce contexte de récession générale, seul un domaine s’est développé avec ingéniosité et créativité, celui des graffiti, des fresques murales exprimant la désespérance sociale et l’humiliation du pays sur le moindre mur, sur la moindre devanture.
Même si des terrasses de café affichent leur air habituel, mélange d’insouciance, de sociabilité et parfois, pour les privilégiés, les contrastes sont présents si l’on veut bien les voir.
Le touriste peut passer rapidement, visiter des musées magnifiques et filer rapidement vers ses îles favorites.
Pourtant il faut bien se poser des questions et elles viennent nombreuses.
Comment la Grèce en est – elle arrivée là ? Les Grecs se sont-ils mis eux-mêmes dans cette situation ? Comment les autorités européennes ont-elles agi en apprentis sorciers ? Ont-elles transformé les faiblesses grecques en naufrage ? Quelles ont été les responsabilités respectives de la droite conservatrice – Nea Dimokratia – et du PASOK – mouvement socialiste pan – hellénique – ? Le gouvernement d’Alexis Tsipras, arrivé en janvier 2015, peut-il redresser la barre ? La composante la plus radicale de Syriza qui a tenu meeting à Athènes ce 27 juillet va- -t – elle le lâcher ?
La situation grecque semble concentrer les causalités les plus diverses en une accumulation de tous les égoïsmes, de toutes les veuleries, de tous les aveuglements. Les simplismes prévalent de tous les côtés. Chacun, selon sa boussole idéologique, retiendra une explication plutôt qu’une autre. Elles se cumulent toutes.
Nos amis grecs blessés se vivent comme les boucs émissaires, les victimes sacrificielles d’une Europe perverse.
Les témoignages de nos amis, la vue de certains quartiers et nos lectures nous montrent la terrible dégradation sociale de ce pays.
Depuis 2009, le pays est en récession, au total le PIB est redescendu de 28 % entre 2009 et 2014 (soit sa progression de 2000 à 2009).
Les effets d’entraînement sont multiples, le chômage a explosé ( actuellement 27 %) , les recettes de l’État – déjà mal assurées en temps « normal » – se sont effondrées alors que les besoins, notamment dans le secteur de la santé, sont plus grands que jamais.
Les retraites – 2,6 millions de retraités pour 3,5 millions de population active et 1,2 million de chômeurs – représentent l’un des derniers filets de sécurité pour de nombreux foyers. Près de la moitié des ménages grecs vivent de la retraite d’un membre de leur famille.
La Grèce est l’un des pays les plus âgés d’Europe : 20,5% de la population a plus de 65 ans.
Cette solidarité intergénérationnelle est mise à mal par la récession. Le système de retraite est déficitaire.
Malgré l’augmentation du nombre des suicides, des maladies mentales ou des infections par le VIH, treize hôpitaux, psychiatriques ou autres, ont fermé à Athènes en 2013.
Les jeunes – 58% de chômage – doivent différer leur départ de la famille, les projets de mariage ou de bébé. Pour les plus éduqués, la seule voie possible semble être de quitter leur pays. Le taux de fécondité des femmes y est de 1.41, l’un des plus bas d’Europe.
Face à cette dégradation, une partie de la société grecque répond par des mobilisations et des actions de solidarité exemplaires, en particulier dans le domaine de la santé avec la mise en place de plusieurs dizaines de dispensaires sociaux de solidarité animés par des bénévoles médecins, salariés de la santé ou non. Des médicaments sont collectés et redistribués. De même, la production de cultures vivrières est relancée dans les îles et les campagnes avec des pratiques d’échange de semences.
Ces pratiques de solidarité pour tous, y compris les réfugiés orientaux nombreux en Grèce, se différencient des réseaux mis en place par l’extrême – droite de l’Aube dorée qui entendent en exclure les non – Grecs.
Elles s’accompagnent d’une action politique et culturelle autour de valeurs de partage. « Quand une personne tombe, les autres la font tenir debout » témoigne un participant.
Cette mobilisation des profondeurs de la société grecque explique que le peuple grec ait choisi de donner en janvier, puis à nouveau en septembre 2015, une majorité (même relative : 36 %) à Alexis Tsipras pour sortir le pays de cette régression terrible. Alors que la montée des populistes et de l’extrême-droite s’affirme en Amérique du Nord et en Europe, les Grecs ont donc, quant à eux, donné mandat contre l’austérité et la corruption à la gauche radicale, à une équipe peu expérimentée, à une coalition composite et surtout à un homme intègre et courageux.
La situation grecque a ses responsables multiples au sein du pays et en dehors. Cela n’est pas toujours reconnu par les Grecs eux-mêmes qui préfèrent considérer que toutes les difficultés proviennent de l’extérieur ou qui concentrent leurs critiques seulement sur les politiques. Toutefois ce qui la rend spécifique c’est que l’attitude des institutions européennes ces quinze dernières années a contribué à transformer les faiblesses grecques en point de focalisation et par là en naufrage.
Il n’est pas nouveau que la Grèce soit régentée de l’extérieur, dépendante d’intérêts lointains qui jouent la carte géopolitique de ce pays de la périphérie contre d’autres puissances.
En réalité, avant même l’euro, les contraintes de la convergence monétaire et le choix de laisser les États rechercher leur financement sur les marchés musellent fortement les pays européens du Sud et les mettent en situation de faiblesse face à des créanciers privés.
Lors de la création de l’euro, à une époque de volontarisme politique et de solidarité substantielle à travers les fonds structurels, la Grèce rejoint la monnaie commune dans des conditions très opaques. Elle perd du même coup toute possibilité d’ajustement de la parité de la drachme, alors que celle – ci avait été dévaluée à répétition tout au long du 20ème siècle.
L’euro – et surtout l’euro fort – et la politique anti-inflationniste sont deux contraintes extérieures mal adaptées à la Grèce, comme à l’ensemble des économies de l’Europe du Sud.
Avec le choc de 2008 et des emprunts hasardeux accordés par les banques grecques et européennes, les dettes privées et publiques explosent.
Les médecines aggravantes des institutions européennes ou internationales
En 2009, face à la situation de faillite de la Grèce après la révélation des truquages des comptes publics ( aidés par Goldman Sachs ) et d’un déficit important, et face à une dette grecque de 129% de son PIB, les décisions prises par les pays les plus importants d’Europe vont précipiter le naufrage.
Au lieu de soustraire l’État grec à la spéculation, les autorités européennes laissent la Grèce dans un premier temps négocier des prêts à taux d’intérêt élevés avec des créanciers privés. Et elles demandent de faire appel au FMI, marquant ainsi les limites de leurs propres responsabilités.
En 2011, pour éviter une déstabilisation des États de la zone Euro, les États européens reprennent à leur charge les dettes, ils les reportent des créanciers vers les États. Une partie de la dette grecque est effacée dans ce mouvement, mais les gouvernants ont laissé les créanciers diviser les Européens, attaquer les pays les plus faibles.
Au lieu de traiter le problème grec :
- comme un problème de développement différencié de la zone Euro, mal pensé pour une zone aussi contrastée entre Europe du Sud et Europe du Nord
- comme un enjeu de transfert d’investissements vers le sud pour ré-équilibrer le développement, le déficit commercial – déjà important, la Grèce important presque deux fois plus qu’elle n’exporte – est combattu par l’austérité qui restreint la consommation et donc le besoin de devises..
… le déficit public est combattu, quant à lui, par la démolition des services publics.
Ces mauvaises médecines imposées par Merkel et Sarkozy précipitent la Grèce dans la récession, ce qui démultiplie mécaniquement le ratio de la dette / PIB et le chômage.
Les plans de sauvetage et les mémorandums ont davantage pour but de protéger le reste de l’Europe d’une réaction en chaîne de défiance et de spéculation contre l’Euro que d’aider les Grecs à se maintenir hors de l’eau.
Ils ont le mérite d’éviter l’accident, la sortie brutale de l’euro par la Grèce et les conséquences en chaîne de cette éventualité, mais les dirigeants d’Europe imposent leurs termes. Ils le font dans une approche, un cadre dogmatique, un aveuglement à court terme qui ne permettent pas d’inverser la tendance. Ils aident la Grèce à se maintenir la tête hors de l’eau, mais celle-ci s’épuise à colmater les fuites sans se développer et mettre fin à ses déséquilibres profonds. Les gouvernements successifs du PASOK, puis de Nea Dimokratia, puis de ces deux partis alliés ensemble ne s’attaquent ni à la corruption, ni à l’impunité des classes dirigeantes grecques domiciliées en parallèle en Suisse, au Luxembourg, à Londres ou aux États-Unis.
Face au gouvernement Tsipras en 2015, les plus intransigeants en Europe du Nord sont de plus en plus hostiles à tout geste de solidarité. Ils ne redoutent plus le Grexit mais l’appellent de leurs vœux, sourds à toute autre logique que monétariste et à court terme.
En juin, après le choix de Tsipras, par surprise, d’un recours au référendum, ces derniers n’ont plus aucun scrupule à aggraver l’accord déjà douloureux qui se dessinait le 29 juin. Ils imposent à nouveau une mise sous tutelle de la Grèce, en humiliant celle-ci via des députés sommés d’adopter un document de 900 pages dans les 48 heures : restrictions des compétences de l’État grec, privatisations sous contrôle de l’Eurogroupe, TVA augmentée, gel de décisions anti-austérité … bref l’agenda néo-libéral et non un véritable projet de codéveloppement Européen. Le débat entre États membres de l’Eurogroupe est réduit à une confrontation créanciers-débiteurs. Il se double d’une intervention croissante sur les modalités d’un retour à l’équilibre des finances grecques.
« L’accord » du 13 juillet
Le 13 juillet, Tsipras n’a plus aucune marge de manœuvre et doit accepter le nouveau plan d’aide de 86 milliards d’euros pour éviter l’effondrement. Il rend possible également un futur rééchelonnement de la dette.
Ces 86 milliards s’ajoutent aux 35 milliards que la Grèce doit recevoir au titre des fonds structurels sur la période 2014-2020.
L’accord adoucit aussi légèrement l’échéancier, contraignant au retour à l’équilibre du budget sur la période 2015-2017.
Mais à quel prix ? Un ensemble de mesures récessives comme la hausse de la TVA à 23%, une réforme des retraites –et surtout des pré-retraites-, une imposition nouvelle des agriculteurs. Certaines mesures remettent en cause la loi à peine votée sur les conventions collectives et peuvent ouvrir la voie à des saisies de maisons pour crédit non payé. Enfin l’obligation de privatisation de la compagnie de transport de l’électricité et d’un certain nombre de biens grecs relève ouvertement de l’idéologie néolibérale. Le tout est associé à un dispositif de surveillance vexatoire.
Voilà pourquoi Tsipras est amené à la fois à dénoncer cet « accord » et à l’accepter, il n’a pas le choix. Était-il possible et responsable de faire autrement ?
A-t-il les moyens, même avec le soutien temporaire des couches populaires grecques, de faire face au sabotage de son économie par ceux qui disposent des leviers en Grèce, à la fragilité de sa majorité relative au parlement et dans l’opinion, à la mobilisation biaisée des médias, à l’absence de toute alliance véritable ? Pouvait-il aller à la rupture tant en Grèce qu’au sein de l’Europe ?
Les dirigeants européens se sont éloignés de toute recherche de consensus. Ils mélangent une exigence de retour à l’équilibre des finances grecques avec des ingérences permettant d’imposer des réformes néo-libérales et une mise sous tutelle. Ils considèrent qu’il faut au moins passer par un moment douloureux pour le peuple sans s’attaquer à l’impunité des élites grecques. C’est une vision thatchérienne et tant pis pour la casse.
Les présidents de la Commission Européenne (Baroso puis Junker) ne tirent pas les mêmes leçons que Jacques Delors et d’autres qui disent après cette crise qu’il faut rééquilibrer l’euro. Il est urgent de prendre en compte des rythmes de développement différenciés, de procéder à des investissements massifs en particulier vers l’Europe du Sud [2].
« Quand elle se penchera sur l’Europe des années 2010-2015, l’histoire portera un regard très sévère sur cette Union économique et monétaire tellement mal conçue qu’il a été question qu’un de ses membres la quitte », écrivait Jacques Delors en juillet [3].
Il se peut que les inconvénients de l’Euro neutralisent peu à peu pour un certain nombre de pays ses avantages. Il se peut que la Grèce, volontairement ou par contrainte, sorte de la zone euro, mais pouvons-nous rendre le projet politique plus viable ? Comment évaluer et étayer cet hypothétique plan B envisagé par Varoufakis – sortie de l’Euro et rupture avec les mécanismes de soutien européens – qui pour l’instant reste surtout un thème tribunicien à base d’euroscepticisme ?
Cette vision du plan B s’appuie sur deux hypothèses que l’on peut discuter à mon avis.
- La première concerne l’Union Européenne qui ne serait par nature qu’un projet néo-colonisateur dont les peuples n’ont rien à attendre.
- La seconde concerne des pays du Sud comme la Grèce qui gagneraient à se soustraire à la mondialisation et à se replier sur eux-mêmes.
Ces deux conceptions s’appuient dans le vécu grec sur de nombreux précédents de déception, voire de trahison, tout au long de leur histoire, elles donnent donc de la crédibilité à cette alternative de repli, surtout après 6 mois de tactique de Tsipras qui ont donné un bilan mitigé.
L’Union Européenne, espace démocratique ou instrument de domination ?
Sur la caractérisation de l’Union Européenne, je dirais que ce projet profondément progressiste à l’origine, basé sur la solidarité qui contraste tant avec l’ALENA signé entre les USA, le Canada et le Mexique, est en effet à la croisée des chemins. Tout comme la République française par exemple. Des phases de progrès alternent avec des régressions. Mais les modalités d’une construction à 15, 25, 27 ou 28 sont par essence plus complexes et moins lisibles que celle d’un espace national. Des espaces démocratiques s’y affirment, des contournements par les puissants sont aussi fréquents. Depuis 15 ans la Commission et le pilotage intergouvernemental sont dans les mains de dirigeants de droite et le dessein Européen d’un véritable espace social partagé s’est éloigné.
Tsipras s’explique après l’accord :
« Ils voulaient que la Grèce, donc, prenne, une fois ses engagements tenus, ce qui restait du programme précédent en termes de financements. C’est à dire à peu près 10 milliards d’euros – 7 existants et 3,6 du FMI – et 2 milliards d’augmentation des bons du Trésor grec que la BCE, juste après notre élection, a mis comme limite – extrêmement basse – pour ne laisser aucune marge de respiration pour l’économie grecque. Essentiellement ils nous donnaient à peu près 12,6 milliards pour cinq mois d’extension, durant lesquels nous devions être soumis à quatre « revues » successives. Nous aurions dû appliquer le programme en cinq mois, au lieu de trois ans désormais, et l’argent que nous aurions obtenu aurait été issu des restes du programme précédent, sans un euro en plus, parce que telle était l’exigence des Néerlandais, des Finlandais, des Allemands. Le problème politique principal des gouvernements du Nord était qu’ils ne voulaient absolument pas devoir aller devant leurs Parlements pour donner ne serait-ce qu’un euro d’argent « frais » à la Grèce, car ils s’étaient eux-mêmes enfermés dans un climat populiste selon lequel leurs peuples payaient pour ces paresseux de Grecs. Un climat qu’ils ont eux-mêmes fabriqué…4 ».
« … Le résultat, bien sûr, est très difficile mais d’un autre côté la zone euro est arrivée aux limites de sa résistance et de sa cohésion. Le chemin de la zone euro et de l’Europe au lendemain de cet accord sera différent. Les six mois prochains seront critiques et les rapports de forces qui vont se construire durant cette période seront tout aussi cruciaux. En ce moment le destin et la stratégie de la zone euro sont remis en question. Il y a plusieurs versions. Ceux qui disaient « pas un euro d’argent frais » ont finalement décidé non pas seulement un euro mais 83 milliards. Donc de 13 milliards sur cinq mois on est passé à 83 milliards sur trois ans, en plus du point crucial qu’est l’engagement sur la dépréciation de la dette, à discuter en novembre. C’est un point-clé pour que la Grèce puisse, ou non, entrer dans une trajectoire de sortie de la crise. Il faut cesser avec les contes de Messieurs Samaras et Venizelos, qui prétendaient sortir des mémorandums. La réalité est que ce conte avait un loup, ce loup c’est la dette. Avec une dette à 180-200% du PIB, on ne peut pas retourner sur les marchés. On ne peut pas avoir une économie stable. Le seul chemin que nous pouvons suivre est celui de la dépréciation, de l’annulation, de l’allégement de la dette. La condition pour que le pays puisse retrouver une marge financière, c’est qu’il ne soit plus obligé de dégager des excédents budgétaires monstrueux, destinés au remboursement d’une dette impossible à rembourser ».
Tsipras a donc accepté des conditions très dures pour gagner du temps et se donner une chance de réaménager la dette. L’alternative était sa démission –souhaitée par ses adversaires au sein de l’Eurogroupe- et le retour au pouvoir des dirigeants précédents.
Néanmoins, le renversement des rapports de force au sein de l’Europe nécessite plus de temps et plus d’alliés qu’il n’en a été accordé jusqu’à présent à Tsipras. Il réclame aussi un autre courage politique et une clairvoyance chez les dirigeants européens. La montée en puissance de Podemos aux élections espagnoles de novembre 2015 peut contribuer à une évolution, mais celle-ci se ferait plus probablement dans un partenariat avec le PSOE sur des objectifs plus limités (expulsion des corrompus, mécanismes d’urgence sociale) en charriant beaucoup moins d’illusions.
Sans pouvoir attendre, les Grecs ont à choisir leurs propres voies au jour le jour dans la gestion d’une situation détestable. Syriza est traversée par ces choix stratégiques : composer, durer ou bien se retirer. Nos amis sont déchirés et la situation est révoltante. Une recomposition politique semble inévitable.
Tous les choix possibles sont sur la table. Il faut vraiment explorer toutes les options. Mais l’équation est bien plus complexe que les principes.
Et la situation est calamiteuse dans bien des cas. Il s’agit de réformer l’euro, mais avant que le malade n’en meure. Pour les Grecs, un accord « toxique » comme dit le penseur allemand Jürgen Habermas ou une indépendance empoisonnée ? Pour Tsipras, la tentative d’un maintien aux responsabilités pour une nouvelle législature ou bien la perte rapide du pouvoir ?
Vendredi 21 août
Un premier ministre …. non-démissionnaire
Alexis Tsipras a annoncé hier au pays qu’il … démissionnait de sa fonction. Des élections doivent suivre, sans doute dès le 20 septembre. La course de vitesse se poursuit avec son aile gauche qui préférait avoir le temps de la confrontation interne (Cf. plus haut). Celle-ci imaginait un congrès de Syriza, une bataille au niveau des principes et soit la mise en minorité de la ligne Tsipras, soit une scission. Et puis, ensuite, des élections, par exemple le 8 novembre. Tsipras a un autre agenda. Il est en charge du pays et il entend le rester. Sur le fond il n’est pas démissionnaire du tout. Mais c’est un pari. Un de plus.
Pour l’instant, les sondages semblent lui donner raison. Il a la perspective de gagner les élections tant les partis traditionnels sont déconsidérés. Pas d’opposition crédible. La prime au parti qui arrive en tête le confortera de 50 députés de plus par rapport aux 250 élus à la proportionnelle. En revanche, Tsipras tire les conclusions de la situation interne de Syriza. Il n’a plus de majorité depuis que l’une des composantes de Syriza, « la plate-forme de gauche » avec 30 députés, n’a pas voulu approuver le nouveau plan de sauvetage.
Pour Tsipras : les travaux d’Hercule
Pourtant, l’agenda de Syriza reste pertinent pour la construction d’un État débarrassé de la corruption et du clientélisme.
Tryphon Alexiadis, ministre adjoint des finances chargé de la fiscalité au sein du gouvernement grec, énumère les choses à faire contre l’évasion fiscale et la corruption. L’ancien président de la fédération des contrôleurs des impôts de l’Attique, en poste depuis le 17 juillet, détaille les défis de son pays en la matière.
« Notre administration fiscale doit être entièrement réorganisée – c’est d’ailleurs ce que prévoit le nouveau plan d’aide au pays adopté le 14 août. Elle est à des années-lumière du niveau européen. Contrairement à une idée reçue, elle est moins bien dotée en personnel. Selon l’OCDE, la Grèce dispose d’un agent du fisc pour 1 196 habitants, contre 938 en France et 740 en Allemagne.
En outre, une grande partie des archives sont encore sur papier. Notre équipement est archaïque. Un nombre considérable de procédures ne sont pas encore informatisées. En cas de transaction immobilière, c’est à l’acheteur lui-même d’aller déposer au fisc le dossier validé par le notaire !
De même, alors que la Grèce est la porte d’entrée européenne des produits importés de Turquie, nos douanes n’ont pas de camions scanners permettant de vérifier les marchandises. Même les douanes albanaises et bulgares sont mieux équipées.
Nous avons besoin d’un soutien technique et financier. Tout le monde y gagnera. « En améliorant la lutte contre la fraude fiscale, nous pourrions récupérer 7 milliards d’euros supplémentaires chaque année, soit 70 milliards sur dix ans : presque l’équivalent du nouveau programme d’aide [5]».
Bref la Grèce est à un tournant décisif. Un État efficient peut-il être mis en place ? Face aux élites grecques qui l’ont refusé et qui ont freiné sa mise en place ? Face aux conservateurs européens qui étranglent les services publics et menacent la viabilité d’une administration ?
Pourtant des choses changent : jamais nous n’avons vu autant de tickets de caisse dans les magasins et les restaurants. La télévision publique existe à nouveau. S’agissant des personnes handicapées, des règles du jeu sont mises en place pour les allocations multiples
Le peuple grec dispose d’un homme considéré pour son honnêteté, capable de reconnaître ses erreurs et de prendre des décisions douloureuses pour éviter la catastrophe. Il a annoncé qu’il ne souhaite pas un gouvernement d’Union Nationale avec ceux qui ont entraîné le pays dans cette situation.
L’histoire Grecque et Européenne n’est pas finie.
Le bilan des sept mois est mince, mais il parle tout de même : cartes alimentaires aux plus atteints par l’austérité, arrêts des expulsions des logements et des coupures d’électricité, relance de la télévision publique, rationalisation des allocations pour les handicapés là où l’arbitraire et le détournement étaient courants. Il indique une direction, il tranche avec Nea Dimokratia qui relaie docilement tant la classe dominante grecque peu patriote dans ses investissements que la majorité conservatrice européenne avec ses médecines de choc.
Alexis Tsipras apparaît malgré tout plus crédible pour défendre les classes populaires grecques, les salariés, les retraités dans un contexte très difficile. Un gouvernement stable pour quatre ans dans cette phase complexe est un élément crucial pour les confrontations qui se préparent en Grèce et en Europe grâce à une majorité parlementaire obtenue par l’alliance avec ANEL (les Grecs indépendants autour de Pános Kamménos, ministre de la Défense Nationale).
Tsipras a évité au peuple grec un nouveau gouvernement conservateur et à l’Europe la fin prématurée d’une expérience de lutte contre sa régression actuelle. Le peuple grec a montré qu’il se situait résolument dans l’Europe même si sa place y était difficile.
À nous Européens de soutenir les Grecs autant dans les réformes nécessaires de modernisation de l’État grec et de sa fiscalité que contre les mesures d’austérité destructrice.
Texte extrait d’un journal rédigé tout au long de l’été. Document complet (15 pages) sur demande.
Notes de lecture
- En 2013, ce nombre était déjà estimé à 7500 médecins. Cf. La Grande Régression. La Grèce Et L’avenir De L’Europe – Noëlle Burgi (sous la direction) – 2013
- Jacques Delors le 24 Juillet : Cesser les bricolages de dernière minute
http://www.sauvonsleurope.eu/cesser-les-bricolages-de-derniere-minute/ - http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/09/20/syriza-notre-but-changer-le-paradigme-d-exercice-du-pouvoir_4764591_3214.html
- Alexis Tsipras : « Le peuple grec a tenté de s’échapper de la prison de l’austérité. Rattrapé, il a été placé à l’isolement » . Entretien Réalisé Par Kostas Arvanitis (Sto Kokkino) L’Humanité. Vendredi, 31 juillet, 2015
- Le Monde du 16 Août 2015
Lire aussi
- Série de Malou Combes : Voyage dans les solidarités grecques (4 articles)
Laisser un commentaire