Pour la fin de l’année et loin de l’attention des médias et des citoyens, le gouvernement a cédé une fois de plus aux pressions de lobbys industriels en différant des décisions de transition écologique.
L’exemple le plus récent : l’exécutif attend les fêtes de fin d’année avant de s’agenouiller devant le pétrolier Total.
Comme souvent, il s’agit au moins de gagner du temps, de retarder des mesures considérées par tous comme nécessaires et bien plus conformes aux résolutions de la COP 21.
Ce recul fait suite à celui opéré devant la FNSEA sur les conditions d’utilisation des pesticides de synthèse imposées aux riverains malgré les arrêtés des « Maires Courage » de Langouet à Gennevilliers, en passant par Paris, Grenoble et Nantes.
La palme revient à Total
Ce cas a fait la une des médias dans un épisode précédent de la confrontation entre Total et les députés mais pour finir piteusement camouflé dans des projets d’arrêtés du ministère de l’Écologie jouant sur les classifications des carburants relevant d’une niche fiscale.
Pourtant en juillet 2017 Nicolas Hulot, dans son plan Climat, avait annoncé la « fin de l’importation en France de produits contribuant à la déforestation » comme l’huile de palme…
Sous sa forme d’agrocarburant, l’huile de palme est revenue au menu du Parlement européen en janvier 2018 qui – après l’avoir encouragé depuis 2009 comme alternative aux énergies fossiles – a décidé « l’élimination progressive » de son usage sur le territoire de l’Union d’ici à 2021.
Cela n’a pas empêché Total d’obtenir le 16 mai 2018, le feu vert du préfet des Bouches-du-Rhône, pour sa raffinerie, euh pardon sa bioraffinerie située à La Mède, Châteauneuf-les-Martigues dans les Bouches-du-Rhône au sud de l’étang de Berre. En octobre 2019, le conseil constitutionnel a d’ailleurs rejeté le recours de Total contre la décision des députés qui allait dans le sens de cette élimination.
Mais en novembre 2019, presque en catimini et à une heure avancée de la nuit, des députés en commission (3 Modem, 3 LREM et 2 LR) ont voté un régime fiscal dérogatoire pour l’huile de palme carburant comme Total l’avait demandé. Un laborieux deuxième vote a été organisé et le parlement a décidé d’abolir cet avantage fiscal dès 2020, contre le souhait du gouvernement Philippe d’un report en 2026.
L’huile de palme est utilisée massivement dans l’industrie alimentaire et 60 % sont destinés aux carburants en Europe. Maintenir cette taxation dérogatoire crée une niche fiscale qui rapporte 80 millions par an à Total. Pourtant le ministère de l’Écologie en relation avec le ministère des Finances responsable des douanes a travaillé au contournement de cette décision.
La raffinerie de la Mède, en service depuis juillet 2019, pourrait importer chaque année jusqu’à 500.000 tonnes d’huile de palme, soit une hausse de plus de 60 % de l’huile de palme consommée en France. Même à 300.000 tonnes, comme s’y engage Total, les dégâts sont immenses.
Pour contourner le verrou des députés, une note technique des douanes a prévu de modifier un arrêté de 2011 relatif à la durabilité des biocarburants ; il permettrait de classifier en « résidu » l’un des principaux produits à base d’huile de palme que Total prévoit d’utiliser pour sa « bioraffinerie » de La Mède.
Ainsi un avantage fiscal encore plus considérable serait accordé à Total ! L’association Canopée[1] qui « défend la vision de forêts vivantes, en harmonie avec les sociétés humaines, où les droits de celles et ceux qui les protègent sont reconnus » a déposé un recours devant le Conseil d’État pour « faire annuler une note des douanes permettant au groupe Total de contourner partiellement la loi excluant les produits à base d’huile de palme de la liste des biocarburants ».Elle dénonce une note technique qui n’a aucune assise juridique ou politique.
Le couple irrésistible : consommation / déforestation
Le cas de cette huile de palme résume bien la course accélérée au dérèglement climatique. La culture du palmier à huile, implique l’abattage de forêts tropicales ou le brûlage de tourbières. Elle a joué un rôle majeur dans les niveaux élevés de déforestation en Asie du Sud-Est, et notamment en Indonésie et en Malaisie, qui représentent 85% de la production mondiale d’huile de palme. Certaines populations trouvent dans le défrichage, puis l’exploitation et l’exportation de nouveaux emploi. De grosses sociétés occidentales ou de gouvernement encouragent cette nouvelle demande d’exportation. D’après le ministère indonésien de l’Environnement, entre 2012 et 2015, « l’équivalent de 146 terrains de football de forêt tropicale ont été perdus chaque heure, soit un terrain toutes les 25 secondes… ».
Des forêts primaires, véritables conservatoires de la biodiversité, sont détruites impitoyablement en même temps disparaissent de la faune des espèces de plus en plus menacées comme celle des orang-outangs.
Par rapport à d’autres huiles végétales, l’huile de palme est un produit « rentable » qui nécessite environ la moitié de la surface de terrain nécessaire à une autre production. Le marché de l’huile de palme est donc en pleine expansion et risque de se développer plus encore en Asie, au Brésil et également en Afrique de l’Ouest et du Centre où les critères environnementaux restent moins surveillés. Les compagnies occidentales ou chinoises mettent en coupe réglée les populations locales qui ne touchent qu’une toute petite partie des richesses produites. Il arrive que se lèvent des opposants indigènes tel le chef papou Mundiya Kepanga présent et si humain dans le documentaire de Marc Dozier « Frères des arbres ».
Sa voix porte loin « si la forêt disparaît, nous disparaîtrons avec elle », il nous alerte sur la situation de sa forêt primaire en Papouasie Nouvelle-Guinée et le drame de la déforestation.
Faire le lien entre notre mode de vie et la destruction en cours
À l’autre bout de la planète des consommateurs de biscuits ou de plats industriels consomment de l’huile de palme sans faire le lien avec ni la déforestation ni la disparition des orang-outangs.
Des automobilistes croient ou veulent croire bien faire en utilisant le carburant incorporant l’huile de palme.
En France Total manœuvre pour imposer ses vues, en « bonne logique économique » pour rentabiliser ses investissements déraisonnables. Le gouvernement soit par servilité, soit par conformisme pro-marché est prêt à contourner le parlement tout en contribuant à l’augmentation du réchauffement climatique.
Ce détournement-là n’a fait l’objet d’aucune communication ministérielle.
[1] L’association Canopée est membre des Amis de la Terre. https://www.canopee-asso.org/ et plus précisément https://www.canopee-asso.org/huile-de-palme-dans-les-carburants-recours-au-conseil-detat-pour-faire-annuler-lexception-demandee-par-total/
Pour aller plus loin
La liste rouge de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature ; en anglais IUCN Red List), créée en 1964, est l’inventaire mondial le plus complet de l’état de conservation global des espèces végétales et animales. Plus de 105 732 espèces (version 2019) sur les 1,8 million d’espèces connues.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_rouge_de_l%27UICN
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