Dans les années 70, et dans deux arrondissements de Paris, le 13ème et le 19ème, ont fleuri deux initiatives flamboyantes de culture populaire. Habitants de ces quartiers, artistes, associations, professionnels, militants politiques se sont organisés pour créer deux lieux alternatifs permanents, autogérés, dédiés à la liberté d’expression et de création . Ces deux lieux ont eu pour nom le 28 rue Dunois et Place des Fêtes Avenir. Aujourd’hui disparus, ils ont néanmoins laissé une trace dans les mémoires et leur expérience a donné lieu à de nombreux prolongements. Nous avons retrouvé un article décrivant la fin de PFA.
Rappel historique
La Maison de Quartier PFA a vu le jour en 1971, à l’initiative d’un collectif d’habitants en lutte contre la rénovation de la Place des Fêtes : celle-ci, autrefois une place de campagne plantée d’arbres avec ses maisonnettes et ses guinguettes, où on allait faire la fête les fins de semaine, est devenue en un an une forêt de béton, sans aucun espace pour la culture ou la fête.
Un couvent occupait la rue du Pré Saint Gervais, à l’angle de la rue de Belleville et de la Place des Fêtes, bâtiment délaissé par des religieuses qui avaient choisi un autre lieu de retraite. Elles acceptèrent de le prêter gracieusement à l’association.
De 1971 à 1981 la Maison de Quartier fut un haut lieu de culture populaire. Elle abrita un théâtre, le Bonhomme Rouge (dirigé par Jean Gabriel Carasso, futur directeur de l’ANRAT, Association Nationale de Recherche Action Théâtre), des cours de danse africaine ou d’alphabétisation, des éducateurs de rue, des architectes, des comités de soutien (Chili, Portugal), un groupe MLAC (Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception), une boutique de droit et bien d’autres initiatives. L’association bénéficiait en tout et pour tout d’un demi-poste de permanente, occupé à temps plus que plein par Nicole Jaumier.
La demande de l’association était simple : que la Ville de Paris rachète le couvent -les religieuses souhaitaient vendre- pour assurer la continuité d’activités qui avaient gagné l’adhésion de très nombreux habitants du quartier, de tous âges , de toutes conditions.
Le Maire de l’époque, Jacques Chirac, n’a jamais voulu d’un tel projet. Au cours de sa campagne, François Mitterrand avait visité PFA et promis de le soutenir. Les promoteurs -avec la complicité de la Mairie- ont été plus rapides, qui ont racheté le couvent et l’ont démoli la veille de l’élection de François Mitterrand à la Présidence de la République, pour édifier un immeuble en béton.
Parmi les activités liées à PFA, un journal était né, « Quartiers Libres ». Ce journal n’est pas mort avec la maison, il a continué à être publié et une association, « La Ville des Gens », a pris la relève pour se faire le « passeur de la richesse du XIXème et des quartiers de l’Est parisien » (cf. les liens ci-dessous).
Voici l’article de 1981 relatant la démolition de la Maison de Quartier : il a été écrit par Michèle, l’une des animatrices bénévoles de la Maison de Quartier et co-directrice de publication du Journal Quartier Libres jusqu’en 1982. Il relate les derniers jours de la Maison de Quartier, sa démolition, le grand vide dans le cœur de ceux qui jusqu’au bout avaient cru en la possibilité de pérenniser l’aventure.
Du 9 ils ont fait table rase… PFA est toujours debout !
Petite histoire d’une grande démolition
Elle était là, fenêtres et portes condamnées, toujours debout, tout cet hiver. Avec encore sur le mur de façade la longue pancarte verte : « Ici nous voulons une Maison de Quartier ». Basse, trapue, grise, coincée entre l’immeuble Cacharel et l’immeuble ancien (tiens, il n’est pas encore menacé, celui-là ? ) dont nous incommodions parfois les habitants lors de nos fêtes, parce que nous n’avions pas assez d’argent pour insonoriser nos locaux. Vide, mais toujours là, comme, un rappel de tout un passé de lutte, d’animations, de fêtes, d’expériences. Vide, mais quand on passait devant, on avait des images soudaines dans la tête, images de braderies, quand les portes s’ouvraient pour laisser passer les cartons de vieux habits encore bons à porter, images de fanfare, de scènes de théâtre, visages familiers, réunions … Un rappel, et aussi un appel : et si on continuait ?
10 ans après, les mêmes, toujours en plein air !
La dernière fois que la Maison s’est un peu animée, c’était pour son anniversaire : le dimanche 29 mars, c’étaient ses 10 ans : 10 ans de lutte pour obtenir un local, le droit d’y être, de le gérer, d’en faire un lieu de rencontre, de culture. On avait fait un petit tract ironique, déjà un peu triste : « Vous tous qui avez, à un moment ou à un autre connu… participé à… espéré en… été passionné par… la Maison de Quartier et la bataille héroïque (et provisoirement perdue) des habitants du quartier pour que la Place des Fêtes ne soit pas un désert de béton (air connu !… ), venez fêter avec nous l’anniversaire d’une Association têtue, sur le thème : 10 ans après, les mêmes, toujours en plein air ! ».
Et puis on s’était retrouvés devant la maison fermée, avec les deux fanfares (Piston Circus et Rateau Bavoir), du vin, des pizzas et des gâteaux. Tous les fidèles étaient là, même certains qui n’habitent plus le quartier. Et la même question, sur les lèvres ou dans les têtes : alors, vraiment, on va la perdre, cette Maison ? Est-ce qu’on peut encore la sauver ?… Et puis on mesurait la part de la lassitude, du découragement, de la désillusion. Une partie de l’équipe avait pris d’autres chemins. Une partie continuait, vainement, à chercher un autre local susceptible de remplir les mêmes fonctions dans le quartier… Un petit espoir, vite déçu, du côté de la rue des Solitaires. Mais on en revenait toujours là : le seul local vraiment approprié, c’était celui du 9.
Et puis, le soir du premier tour des élections, de nouveau, nous étions tous réunis, devant la télévision, chez Nicole. Nicole, c’est la plus ancienne, celle qui a connu toutes les étapes de la lutte pour la Maison de Quartier, celle qui a le plus longtemps été permanente et animatrice, celle sans doute dont la vie quotidienne s’est le plus confondue avec la vie de PFA. Chez Nicole, c’était un peu « l’annexe » de PFA. Ce dimanche-là, on a su que la victoire de la gauche était possible. On s’est souvenus des élections précédentes, quand Mitterrand en personne est venu visiter les locaux, s’informer sur notre lutte, nous apporter son soutien. On s’est remis à espérer, un tantinet. On s’est fait des reproches aussi : peut-être avions-nous baissé les bras trop tôt ? Peut-être aurions- nous pu continuer à occuper le local, cet hiver, malgré son délabrement, malgré les difficultés financières, malgré le découragement ? Cela nous semblait tellement absurde, de perdre ce local juste au moment où les conditions politiques nous devenaient plus favorables, où nous pouvions espérer que notre combat soit reconnu !
Comme un gros insecte vorace
Mais les promoteurs sont rapides, quand il s’agit de sauver les meubles… et leurs intérêts. Nous n’étions pas les seuls à prévoir la victoire du 10 mai. Alors, ça n’a pas traîné. Le mercredi 29 avril, je suis passée Place des Fêtes, et tout à coup j’ai senti quelque chose d’anormal. Je suis allée voir du côté de la Maison : le bulldozer était là, en action, comme un gros insecte vorace. L’arrière des locaux, la partie qui donne sur la rue des Fêtes, était déjà en miettes. Ça faisait un bruit de moteur et de pierres arrachées. Sur le tas de pierraille déjà effondrée, deux hommes, H. Pérez et un inconnu, en train de surveiller les « travaux ». J’ai couru chez Nicole. Nicole et moi, on a couru chez Monique, l’autre animatrice de PFA. En passant devant la maison, Nicole était toute pâle, elle m’a dit « j’ai l’impression que je ne vais pas tenir sur mes jambes », elle tremblait un peu. De chez Monique, on a téléphoné à la Ville de Paris pour savoir si Pérez avait le permis de démolir. On nous a répondu qu’il ne l’avait pas encore, que c’était bien sûr une question de jours, mais quand même… Bien pressé, Pérez… D’autant qu’on lui avait demandé de nous prévenir lorsqu’il démolirait les locaux afin qu’on puisse sauver au moins quelques meubles (tables, panneaux, chaises) de la destruction. Il s’était bien gardé de nous prévenir, malgré sa promesse.
Monique s’est mise à téléphoner à tous les copains, pour les prévenir. Aussi je crois parce qu’elle avait besoin de faire quelque chose, de ne pas rester inactive pour accuser le coup. Ensuite on est allées sur le terrain. On a interpelé les deux hommes là-haut, sur leur tas de gravats. Au début, ils ont fait semblant de ne pas nous entendre, ils ne sont pas descendus. Nous d’en bas, on disait qu’on savait qu’ils n’avaient pas encore le permis de démolir en mains, et on leur demandait pourquoi ils ne nous avaient pas prévenus. On a demandé à l’ouvrier du bulldozer quand sa société avait été prévenue : « lundi », il nous a dit… Il avait l’air un peu gêné, « moi de toute façon, il faut que je fasse mon travail ». Pérez aussi avait l’air gêné, il a commencé à se confondre en explications. Et puis l’autre est descendu aussi, un type en costume bleu de mauvais goût, la caricature de l’homme d’affaires minable et véreux, et il a commencé à nous dire de « dégager », de « foutre le camp », qu’on n’avait rien à faire ici, que tout ce qu’on risquait c’était de recevoir des pierres sur la figure… (précisons que dans leur précipitation à démolir, ils n’avaient même pas mis les panneaux habituels indiquant qu’il y a un chantier, alors, la sécurité, il pouvait en parler… ). Nicole lui tenait tête comme elle pouvait, un peu abasourdie par le flot de vulgarités, par l’attitude du personnage. Moi je répétais machinalement « vous n’êtes qu’un goujat » parce que c’était le seul mot qui me venait à l’esprit. Pérez, visiblement davantage gêné, essayait d’entraîner son acolyte. Finalement on s’est dit que ce n’était même pas la peine de continuer, on était trop dégoûtées, c’était comme de se retrouver devant tout ce qu’on déteste le plus, le phallocratisme (parce que bien sûr il y avait dans cette attitude tout le mépris des « hommes qui savent faire des affaires » en face de « pauvres petites bonnes femmes de rien du tout »), la lâcheté, la magouille , le fric, tout un monde qui n’est pas le nôtre, qui ne le sera jamais. Et on se sentait complètement impuissantes.
On est rentrées. Il n’y avait plus grand chose à faire, de toute façon. Les jours suivants, la démolition a continué. Nicole de chez elle entendait le bruit du bulldozer, sans arrêt. Elle en est presque tombée malade. On a récupéré un peu ce qu’on a pu, la grande table, des panneaux. Quand on rencontrait les gens du quartier, c’était la même remarque, un peu comme des condoléances : « alors, ça y est, ils vous l’ont démolie, la maison ! ». Chaque fois que je passais dans la rue, j’avais l’impression d’une dent arrachée dans une bouche. Marc, le fils de Nicole, qui a à peu près l’âge de la lutte pour la Maison, passait son temps à faire des expéditions sur le chantier, il fouillait les décombres, rapportait à Nicole des verrous, des objets hétéroclites : « Tiens, maman, un petit bout de PFA ! »…
Après il y a eu le 10 mai…
Après il y a eu le 10 mai. De nouveau, on était tous réunis, tous les anciens, même ceux qui ne sont plus dans l’équipe de PFA depuis longtemps. Avec un mélange de rage, et quand même d’immense espoir. Quand on a su la victoire de Mitterrand, on s’est tous mis à rire, à pleurer, à chanter. Et puis on est sortis, avec la fanfare de PFA sur la Place des Fêtes, la fanfare a joué. Certains se sont mis à danser. Du haut de la tour D5, des gens nous ont lancé des petites étoiles lumineuses que les enfants ramassaient par terre, tout contents. Les gens sont descendus nous rejoindre, tous ensemble, fanfare en tête, on s’est dirigés vers la rue de Belleville, en prenant la rue du Pré Saint-Gervais.
On s’est arrêtés devant le 9 : il n’y avait plus que les barreaux des fenêtres, un petit peu de mur encore debout. Les enfants ont escaladé, sont passés sur le chantier, ont esquissé une sorte de danse d’indiens. J’ai entendu une voix : « on les a bien élevés, nos gosses, ils ont compris », et je me suis dit que sans doute, devenus grands, ils se souviendraient de la Maison, de leurs jeux, de ce dernier jeu sur les décombres. On avait un peu envie de pleurer, beaucoup d’entre nous, je crois. Et puis on est repartis, Rue de Belleville, pour rejoindre la Bastille, pour faire la fête…
Nous non plus, nous n’oublierons pas. Dix ans de lutte. Dix ans de confrontation, d’expériences, dix ans où petit à petit aussi nous avons compris quels étaient nos amis et nos ennemis. Pour beaucoup, la lutte de la Maison de Quartier a aussi été un lieu de politisation, de prise de conscience. Nous n’oublierons pas, et nous ne pardonnerons pas à tous ceux qui du fond d’un fauteuil de cuir, du haut de leur morgue, ou la main sur leur compte en banque. ont tout fait pour nous empêcher d’exister.
Michèle (Vegliante à l’époque aujourd’hui Narvaez), « Quartiers Libres », ÉTÉ 1981
Rue du Pré St Gervais (va sous la photo) ?
Exercice de style
Ce petit exercice a été mis en ligne en 2013 comme introduction à l’article de Michèle par M. Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens, et actualisés en septembre 2013.
BMO : 23 avril 1981
19ème arr. (n° 37484).- 9-11 rue du Pré Saint-Gervais et 6 rue des Fêtes. Pét., société à responsabilité limitée « Sopagidex », M.Pérez, 170, rue de Grenelle (7°). Construction de deux bâtiments de quatre et six étages à usage d’habitation (25 logements) (1708 m2) et de commerce (95 m2) sur un et trois niveaux de sous-sol à usage de parc de stationnement (34 places) (1100m2) et de caves.
BMO : 23 mai 1981 n° D 5591.- 9-11 rue du Pré Saint-Gervais et 6 rue des Fê tes. Société « Sopagidex », M.Pérez Claude 170 rue de Grenelle (7ème). Démolition de 8 bâtiments, à Rez de Chaussée plus 2 étages comportant des locaux culturels et 15 chambres (! … ).
Quelques formules administratives, pour résumer la fin d’une belle histoire… Mais la fin de la belle histoire, on peut aussi la raconter, d’une autre manière …
Informations :
Quartiers Libres, le canard de Belleville et du 19ème (1978-2006) numérisé sur le site internet La Ville des Gens depuis 2009.
Consultez les archives et les nouveaux articles jamais parus dans la version papier de Quartiers Libres numérique
Quartiers Libres – Contact et renseignements :
Michel Fabreguet et Richard Denis : quartierslibr1@gmail.com
La Ville des Gens – Salvatore Ursini
Rédacteur – Chargé des relations avec les publics
Téléphone 01 77 35 80 88 / Fax 01 40 36 81 57
Tournié dit
Bonjour,
Je m’appelle Aurélie Tournié, j’ai 41 ans et j’ai grandit proche de la place des fêtes (métro Botzaris). J’habite aujourd’hui le 12e ardt.
Mon grand père, Bernard Benoist (93 ans) habite dans l’une des tours de la place des fête depuis 1967, 114-116 rue des Lilas.
A chaque fois je lui rend visite, il me parle de sa vie, ses souvenirs et cet après midi j’ai appris qu’il faisait partie de l’association PFA et qu’il avait crée le journal PFA avec des amis. Il était maquettiste chez Hachette, il s’est donc occupé de la mise en page. Il y avait aussi 3-4 autres personnes, dont un dessinateur et une personne de chez libération. Il le vendait à 1 franc place des fêtes.
Je voulais juste partager ses quelques souvenirs avec vous.
Si par hasard vous aviez quelques numéros de ce journal je serais curieuse de les voir. Mon grand père m’a montré 2 numéros, les 6 et 7 je crois.
Merci à vous
Bien cordialement,
Aurélie Tournié