Une militante du KOD, le Comité pour la Défense de la Démocratie, rencontrée à Lódz en juin, a accepté de répondre à mes questions pour notre blog. Ce qu’elle raconte en dit long sur les dangers d’une reprise en main de la société polonaise par un gouvernement de droite, populiste, qui n’hésite pas à recourir à des méthodes staliniennes.
Lors de mon dernier voyage en Pologne, en juin dernier, j’ai trouvé un pays moderne et dynamique sur le plan économique: enseignes familières (Renault, MacDo, Carrefour…), théâtres, cinémas, boutiques, concerts sur les places, immeubles rénovés ou en cours de rénovation, trains semblables à nos meilleurs TER, hôtels et restaurants à tous les coins de rue, nombreux équipements à l’intention des touristes. Qu’elle était loin la Pologne des années 70, triste et noire, où j’avais eu du mal à trouver où et comment acheter de la nourriture !
Je me suis en particulier promenée avec enthousiasme dans l’immense -et magnifique!- centre commercial et culturel de Lódz, tout en briques rouges, construit dans une ancienne fabrique textile. J’étais avec des amis, qui m’ont présenté une de leurs amies, jeune femme, universitaire, gaie et pleine d’entrain. Nous avons commencé à parler un peu de tout, autour de délicieuses coupes de glaces, et j’ai évoqué notre blog, et mes inquiétudes concernant le devenir de la démocratie en Europe. J’ai senti que je touchais là un point sensible chez mes amis polonais, et plus particulièrement chez « KOD-ette » , dont je tairai, à sa demande, le nom. Elle a bien voulu répondre à mes questions pour notre blog.
L’interview qui suit ne concerne que la situation intérieure de la Pologne. Il faudrait porter également le regard sur la politique internationale de ce pays, très actif au sein du groupe de Visegrad, une union nationaliste qui regroupe la Hongrie, la République Tchèque, la Slovaquie et la Pologne. Totalement hostiles à l’accueil de réfugiés, ces pays refusent d’appliquer la politique de quotas décidée par Bruxelles, et refusent de payer les amendes qu’ils risquent pour ce refus.
Interview
1. Quand je suis arrivée à Lódz, tu revenais d’une manifestation à Radom [1]. Peux-tu me raconter ?
C’était, ce 25 juin 2016, le 40ème anniversaire des manifestations ouvrières à Radom et dans neuf autres régions de Pologne. Ces manifestations étaient la réponse des ouvriers à l’annonce par le gouvernement communiste d’une augmentation conséquente des prix de l’alimentation. Les événements les plus graves avaient eu lieu à Radom, où les manifestants, déçus par l’échec des négociations avec le gouvernement, mirent le feu aux sièges du parti communiste. Suite à cela, plusieurs ouvriers furent tués, beaucoup furent arrêtés, et subirent un traitement très brutal en prison.
La marche « Radom, le Début de la Liberté » à laquelle j’ai pris part était organisée par le KOD (le Comité pour la Défense de la Démocratie) dans le but de rendre hommage à tous ces gens qui ont souffert et parfois ont même sacrifié leurs vies à Radom en 1976 dans leur combat pour la liberté. C’est là que la Liberté a commencé et nous ne l’abandonnerons pas.
2. Tu milites au KOD : peux-tu présenter ce mouvement ?
Le KOD est un mouvement civique qui est né en réponse aux problèmes politiques que nous rencontrons aujourd’hui en Pologne. Krzysztof Lozinski, qui au temps du communisme avait coopéré avec le KOR (Comité de Défense des travailleurs) a publié un article montrant la nécessité de créer ce qu’il a appelé KOD (Comité pour la Défense de la Démocratie). L’un des commentateurs de cet article fut Mateusz Kijowski, qui déclara qu’il serait prêt à rejoindre une telle organisation, et à mettre à son service ses qualités en matière de diffusion d’idées et d’information, ainsi que son expérience en matière de création d’associations. C’était le 18 novembre 2015, juste après que le PiS (Droit et justice) a accédé au pouvoir. Avant les élections présidentielles et législatives tous les gens raisonnables craignaient la victoire de ce parti, mais ce qu’ils ont montré une fois élus a dépassé toutes les craintes. C’est pourquoi, lorsque Mateusz Kijowski et ses amis ont décidé de fonder le groupe appelé KOD sur Facebook, 30 000 « Koders » ont rejoint ce groupe en un week-end, et Mateusz est devenu le leader et le représentant du mouvement. Notre but est de veiller à ce que la loi soit appliquée dans notre pays, et la Constitution respectée. Nous voulons promouvoir et protéger les droits humains, les libertés et les droits civiques. Plus encore, nous croyons que l’un de nos devoirs les plus importants est celui d’éduquer la société afin de renforcer la société civile. Nous nous sommes récemment organisés en association, et sommes en train de structurer notre association dans les différentes régions de Pologne. L’un de nos groupes, le « Jeune KOD », est organisé par de très jeunes gens. Nous sommes aussi très honorés du patronage de feu le Professeur Wladyslaw Bartoszewski .
3. Pourquoi as-tu décidé d’adhérer au KOD ?
Je n’ai jamais été indifférente à ce qui se passe sur la scène politique de mon pays. Cependant, c’était juste un engagement passif -j’étais une simple observatrice, même si c’était avec beaucoup d’émotion. Comme beaucoup, je craignais la houlette de Droit et Justice. Un de mes amis français, quand j’ai partagé mes peurs avec lui, m’a dit que je devrais rejoindre un parti politique et agir moi-même, mais je n’ai jamais voulu faire de la politique. Quand j’ai trouvé le KOD sur Facebook, la première semaine de son existence, comme beaucoup d’autres j’ai ressenti une sorte de soulagement, comme quand un ami longtemps attendu vient à votre secours. J’ai ensuite commencé à travailler pour le KOD et pour le bien de mon pays, et je continue pour deux raisons : j’y crois, et je crois que nous pouvons changer les choses dans notre pays. J’ai rencontré des gens qui ressentent la même chose, partagent les mêmes valeurs et les mêmes craintes, avec beaucoup d’enthousiasme et d’énergie pour mettre leurs idées en pratique. J’ai très souvent l’impression que pour la première fois dans ma vie, comme une petite pierre dans un mur, je peux avoir de l’influence sur les questions qui sont importantes pour moi.
4. Quelle est la position du KOD sur l’Europe ?
Le KOD croit fermement dans l’unité de l’Europe et pense que la Pologne est, et doit toujours rester, au sein de l’Union européenne, en partageant le même ensemble de valeurs. Seule l’Europe unie peut faire face aux défis du monde actuel. C’est pour cette raison que nos marches et nos manifestations se tiennent sous la double bannière de la Pologne et de l’Europe, et nous chantons de même les deux hymnes. Le 7 mai 2016, le KOD et d’autres organisations qui sont pour la démocratie et pour l’Europe ont co-organisé une marche intitulée « Nous sommes et nous resterons en Europe », marche qui a réuni environ 240 000 personnes. En faisant cela, nous voulons que l’Europe voie que la société polonaise veut réellement garder de bonnes relations avec l’UE, de même qu’avec les autres pays membres.
Le KOD a lancé le KOD International, branche dont le rôle est de diffuser les objectifs du KOD à une échelle pan-européenne. Les représentants du KOD ont établi de bonnes relations avec les représentants des différents corps de l’Union Européenne.
Les activités du KOD ont été reconnues par le Parlement Européen, qui a attribué à notre organisation son Prix du Citoyen Européen 2016.
5. Quelles sont les atteintes à la liberté aujourd’hui en Pologne ?
Elles sont très nombreuses, je vais juste en évoquer quelques unes.
Droit et Justice n’a pas de majorité constitutionnelle (c’est à dire la majorité qui leur permettrait de changer la Constitution), mais ils essaient de la changer quand même en faisant passer des lois contraires à la Constitution. Un bon exemple est la loi sur le Tribunal Constitutionnel. Son but était de paralyser le Tribunal Constitutionnel et elle a été adoptée par Droit et Justice sans vacatio legis [3]. Cependant, la Cour Constitutionnelle s’est fondée sur la précédente loi et a déclaré anticonstitutionnelle la nouvelle loi adoptée par Droit et Justice. La procédure normale est que le gouvernement publie ce verdict dans le journal d’annonces légales et alors le verdict de la Cour Constitutionnelle devient officiel. Or le gouvernement a décidé que ce n’était pas un verdict officiel et qu’il n’avait pas à être publié (sans considérer le fait que la Constitution ne donne aucun droit au gouvernement pour apprécier le travail de la Cour Constitutionnelle). Cela fait 145 jours que le verdict n’a pas été publié. Tu t’étonnes peut-être que je sois aussi précise dans mes calculs ? À Varsovie, il y a un compteur juste en face du siège du gouvernement polonais (KPRM, la chancellerie du Premier Ministre [4] ), qui compte les jours de non-publication du verdict. Il y a une tente, dans laquelle les membres du KOD sont en permanence à l’oeuvre pour protéger le compteur. J’y ai passé deux jours, ce fut une expérience inoubliable. Nous allons rester là aussi longtemps que nécessaire, jusqu’à ce que notre Premier Ministre publie le verdict. Pour moi, ce compteur et la présence du KOD face au KPRM sont symboliques.
Le KOD a rédigé sa propre proposition de loi, en accord avec les suggestions de la Commission Européenne, laquelle a critiqué la nouvelle loi. Nous avons réuni le nombre statutaire de signatures de citoyens polonais et les avons soumises au Parlement. Elles ont été ignorées, et traitées comme un appui à la nouvelle loi proposée par Droit et Justice, si bien que le KOD a dû retirer nos signatures.
Un autre problème lié au Tribunal Constitutionnel est celui de son panel de juges. Avant la fin du gouvernement de la Plateforme Civique, le PO [5], 5 juges étaient élus à la Cour Constitutionnelle. Ensuite, Droit et Justice a choisi les 5 juges et le Président leur a fait prêter serment très vite, pendant la nuit, juste avant la décision de la Cour Constitutionnelle. Celle-ci a déclaré que deux des juges élus par la Plateforme Civique avaient été désignés de manière illégale, mais que les trois autres étaient élus légalement et devaient prêter serment devant le Président. Normalement on aurait donc dû avoir trois juges élus par la Plateforme Civique et deux par Droit et Justice. Mais les trois juges élus légalement n’ont jamais prêté serment.
La Commission européenne a enquêté sur ces problèmes et encouragé le gouvernement polonais à les résoudre. Sa dernière décision a été d’enjoindre le gouvernement à publier le verdict de la Cour et à faire prêter serment aux trois juges légalement élus dans un délai de trois mois.
Un autre problème important est la hausse du prix des médicaments. Pendant la campagne présidentielle, il a été promis aux personnes âgées une baisse de ces prix. Comme on peut le deviner, non seulement ces promesses ont été oubliées, mais certains médicaments essentiels sont devenus beaucoup plus chers qu’avant -pas de 5 ou 10 zlotys [6], mais de centaines ! C’est le cas des médicaments contre le cancer, ou de médicaments nécessaires après une transplantation, autrement dit de médicaments qui peuvent sauver la vie.
Une autre question est celle de la propriété privée. Si quelqu’un possède un terrain agricole sans être fermier, il ne pourra pas le vendre sur le marché libre. La seule personne qui pourra l’acheter est un fermier, et il y a des conditions très strictes à remplir pour être considéré comme fermier : il faut avoir des qualifications dans le domaine agricole, avoir géré une ferme de moins de 300 hectares pendant au moins 5 ans, et habiter dans la même commune dont dépend le terrain. Ces conditions doivent être remplies toutes à la fois. De plus, l’Agence de la Propriété agricole a le droit de préemption pour acheter ces terres agricoles, à moins que l’acheteur soit de la même famille que le vendeur, et si le prix est trop élevé, c’est le tribunal qui décide du prix. C’est clairement une tentative de nationalisation de la terre. Cependant, la législation ne concerne pas l’Église polonaise, qui échappe à ces règles.
C’est un peu la même chose en matière de direction d’entreprise. Si vous êtes un entrepreneur soupçonné de crime, la direction temporaire de votre entreprise pourra être assurée par le procureur pendant la période de l’enquête et du procès, sans décision de la cour. Que se passera-t-il si le procureur n’a pas les qualifications nécessaires pour diriger une entreprise et si celle-ci fait faillite ? De plus, si au cours du procès la cour décide que l’entreprise était « un instrument criminel », elle peut être confisquée par l’État. En quoi ceci diffère-t-il d’une nationalisation ?
Michèle, penses-tu que si tu me contactes via Internet ce que nous nous écrivons sera lu par nous seules ? Pas vraiment ! La nouvelle loi du la Police introduit, entre autres, la possibilité de contrôler la correspondance d’une personne, même électronique, en plaçant des écoutes sur son téléphone, en l’espionnant. La décision du tribunal peut être obtenue après-coup, et est appliquée tous les six mois. Il faut savoir que la protection de la vie privée est garantie par la Constitution.
Ce que je veux aborder ensuite, est que les gens dans mon pays sont en train de perdre leurs emplois. Le groupe le plus visiblement affecté est celui des journalistes dans les médias officiels. C’est valable aussi pour tous les autres domaines, des professionnels sont remplacés par des gens qui ne sont pas des spécialistes, mais sont recommandés par le parti au pouvoir. C’est le cas de l’un de nos fameux élevages d’étalons, dont le directeur, qui le dirigeait avec succès, a été licencié. Nous avons ensuite pu être témoins, à la télévision, du festival de mauvaises décisions prises par le nouveau directeur. En conséquence plusieurs chevaux sont morts, et l’élevage a perdu la bonne réputation dont il jouissait de longue date.
La dernière chose que je veux mentionner est qu’ils sont en train de changer la structure de notre système éducatif, et je crois qu’à travers ces changements ce sont les programmes éducatifs d’histoire et d’éducation civique qui vont être altérés. Quand on écoute nos politiciens de droite, on entend une histoire totalement nouvelle, ils transforment les faits, par exemple sur le leadership du mouvement Solidarnosc, et dans leur histoire, Lech Walesa n’a pas été aussi important que les frères Kaczynski. La catastrophe aérienne à Smolensk n’a pas été un accident mais un assassinat. C’est comme cela que nos enfants vont être éduqués.
Comme tu peux le voir la liste est longue, voilà ce que je sais, et qui me paraît important.
Le KOD en tant qu’organisation respecte le résultat des élections démocratiques, mais n’est pas d’accord avec le fait que le nouveau parti au pouvoir introduise de nouvelles lois qui violent la Constitution.
6. Penses-tu que le nationalisme augmente en Pologne ?
Je ne dirais pas qu’il augmente en Pologne ou parmi les Polonais en général. Comme dans le reste de l’Europe, il y a des groupes de nationalistes, et ils deviennent plus actifs parce qu’ils pensent qu’ils peuvent agir impunément. Il n’y a pas de désaveu franc et fort de la part des gens qui sont au pouvoir. Et ces mêmes communautés xénophobes sont très hostiles au KOD et à ses activités.
7. Quel est aujourd’hui le rapport de force entre les populistes et les démocrates ? Que faites-vous pour l’améliorer ?
Droit et Justice (PiS), le parti qui a gagné les élections, l’a emporté avec 38% des votants. Mais beaucoup de gens n’ont pas voté du tout parce qu’ils étaient déçus des politiques menées depuis les huit dernières années. Ces années ont certes vu un développement rapide du pays, mais les besoins des gens ont été négligés. C’est pourquoi il y a eu autant d’abstentions, et donc seulement 19% des citoyens ont voté en fait pour le PiS. Une partie de ceux qui ont voté ainsi sont les soutiens permanents de ce parti. En plus ils ont « acheté » des votes avec des promesses populistes, dont la plupart étaient très irréalistes. Ils n’ont gardé que quelques unes de ces promesses, et encore certaines n’ont été réalisées que jusqu’à un certain point. Par exemple, ils ont promis de donner aux familles 500 PLN (=zlotys) par enfant, mais après les élections, ils ont décidé de ne donner d’argent qu’aux familles qui ont plusieurs enfants. Et ceux qui n’ont qu’un enfant n’ont droit à cet argent que si leur salaire est très faible (800 PLN par personne dans la famille), et beaucoup de familles ne correspondent pas à ce critère. Les gens commencent à réaliser qu’ils sont victimes de fausses promesses, mais je crois que c’est encore une minorité. Certains peuvent avoir peur d’admettre : « Oui, je me suis trompé-e et j’ai gâché mon vote pour le mauvais parti ».
Comme je te l’ai dit précédemment, le but du KOD est d’éduquer les gens pour renforcer la société civile. Nous entreprenons pour cela différentes actions. Nous avons mis en place le LUD (l’Université Démocratique du Peuple) et nous y organisons des rencontres éducatives, des clubs de discussion, des débats et des lectures. Nous faisons des happenings et des flashmobs dans le but d’éveiller les consciences. Nous produisons des posters d’éveil des consciences, des dépliants, des films sur YouTube et d’autres matériels éducatifs. Nous avons notre propre website, notre propre portail (http://koduj24.pl/) et notre propre organe de presse. Nous organisons des PIKODs (points d’information du KOD) dans les tentes sous lesquelles nous rencontrons les gens, répondons à leurs questions et distribuons notre matériel. Nous organisons des picnics, avec des activités pour les communautés locales. Nous avons initié un projet intitulé « ESPACE de LIBERTÉ ou QUELLE POLOGNE NOUS VOULONS » où des experts, des membres du KOD et des citoyens polonais vont coopérer afin d’élaborer un programme positif pour la Pologne.
8. Tu habites à Lódz : cette ville est candidate pour être le siège de l’Exposition universelle 2022 consacrée à la régénération urbaine. Le KOD y est, je crois, très actif. Peux-tu m’en parler ?
Oui, le KOD de Lódz est une branche bien organisée, qui regroupe la ville de Lódz et d’autres branches de villes plus petites de la région. La plupart de ses dirigeants se sont rencontrés en décembre, juste avant la première manifestation locale -ils ne se connaissaient pratiquement pas, n’avaient aucune expérience de ce type d’actions et cependant ils y sont parvenus avec succès, guidés par leur énergie, leur enthousiasme et leur générosité. Maintenant, nous sommes beaucoup plus nombreux avec ces caractéristiques, et nous sommes un groupe d’amis qui partageons le même ensemble de valeurs, qui aiment être ensemble et faire des choses ensemble. C’est très important selon moi, parce que nous en faisons beaucoup, et nous passons beaucoup de temps ensemble. Nous disons parfois que nous devons ces nouvelles amitiés à Droit et Justice !
Comme je le disais, nous sommes engagés dans de nombreuses actions. Nous sommes très fiers de notre club de discussion, qui porte le nom du Professeur Wladyslaw Bartoszewski [7]. Nous publions notre journal, le DeKODer. À Lódz, nous sommes connus pour nos PIKODs de quartier, que nous nous arrangeons pour organiser dans de nombreux quartiers de la ville, et pour nos flashmobs, qui font prendre conscience de l’importance de la Constitution. Nous nous engageons localement dans toutes les actions et activités éducatives du KOD.
Si tu regardes à la télévision les marches et les manifestations du KOD dans tout le pays, nous sommes très faciles à reconnaître : nous avons choisi des bateaux jaunes comme symboles du KOD de Lódz (Lódz en polonais signifie « bateau »). Nous collons des bateaux jaunes en papier sur nos drapeaux. Nous portons aussi des casques jaunes.
Jusqu’à présent nous avons tenu nos réunions dans différents pubs et cafés de la ville qui sont «amis du KOD », mais c’est plutôt compliqué. Il y a plus d’un mois, nous avons réussi à nous procurer notre propre local, mais il était en très mauvais état. Nous avons décidé de le rénover nous-mêmes, et la rénovation avance bien. Beaucoup de gens ont décidé de nous aider soit de leurs propres mains soit en nous donnant des matériaux. D’autres ont apporté de la nourriture à ceux qui travaillaient. C’est une expérience merveilleuse d’intégrer ce groupe.
…. Nous continuons à bavarder et à aborder de nombreux sujets librement. Reprise de l’interview !
9. Les lois sur l’avortement vont-elles évoluer ?
J’en ai bien peur. Nous avons déjà une législation anti-avortement très stricte, il y a seulement trois exceptions dans lesquelles l’avortement est autorisé. D’abord, quand la grossesse menace la santé ou la vie de la mère, ceci sans limite d’âge du foétus. Ensuite, quand le foétus est sévèrement handicapé, ou en phase terminale, mais là il y a limitation de l’âge du foétus. Enfin, l’avortement est légal quand la grossesse est le résultat d’un viol, mais seulement si le foétus est âgé de 12 semaines.
Il y a une initiative civique législative, menée par les communautés catholiques, qui se désignent elles-mêmes « pour la vie ». Elles veulent se débarrasser des exceptions contenues dans l’actuelle loi anti-avortement. Le résultat serait que le bien-être de l’enfant compte davantage que celui de la femme. Par exemple, si elle apprend qu’elle a un cancer pendant sa grossesse, elle peut ne pas avoir droit à une chimiothérapie, parce que cela pourrait endommager le foétus. Quand une fillette de 10 ans est violée et tombe enceinte, elle devrait donner naissance à l’enfant même si son corps n’est pas préparé pour ça et peut souffrir de graves dommages. Les examens pré-nataux deviendraient illégaux parce qu’il y a un risque qu’ils endommagent le foétus. Tu vois que ce nom, « pour la vie » est juste un label qui ne veut rien dire !
Nous voulons donner naissance à nos enfants, mais nous ne voulons pas mourir pour cela ! Nous voulons être capables d’aider nos enfants encore à l’état de foétus, et dans certains cas, nous ne pouvons le faire que grâce à des examens et des traitements pendant la grossesse.
Quand certaines femmes polonaises ont appris l’initiative des «pour la vie », elles ont organisé un autre mouvement sur Facebook. Tout à coup, en un week-end, il y avait davantage de femmes (et aussi d’hommes ) dans le groupe « Dziewuchy dziewuchom » (« Des filles pour les filles ») qu’au sein du KOD. Les citoyens polonais ont appris à s’organiser. Ils ont organisé des manifestations en Pologne. À Lódz, ce regroupement, avec les filles et garçons du KOD, a organisé en avril une grande marche en faveur des droits des femmes.
Il y a une autre initiative législative pour laquelle on recueille les signatures des citoyens. Elle a pour nom « Ratujmy kobiety » (« Sauvons les femmes »), et est soutenue par de nombreuses organisations qui travaillent pour la cause des femmes. C’est une initiative « de compteur » qui vise à rendre possible pour les femmes le droit légal à l’avortement, le droit à des soins complets, à la contraception et à l’éducation sexuelle. Au moment où nous réalisons cette interview je ne sais pas avec certitude si nous avons recueilli le chiffre statutaire de 100 000 signatures. Mes amis et moi-même avons recueilli des signatures, parce que nous avons l’expérience pour en avoir recueilli pour le KOD, et parce que nous savons que personne ne le fera à notre place. J’espère que nous y arriverons, même si j’ai peur, compte tenu des positions idéologiques du parti au pouvoir, que nous perdions.
10. Quel est le rôle des médias ?
C’est très compliqué en Pologne. Nous vivons une époque où il n’y a pas de place pour un journalisme neutre dans mon pays. La télévision d’État est dirigée par l’un des plus importants hommes politiques de Droit et Justice. Comme je te l’ai dit, les journalistes dont les opinions différaient de ce qu’on attendait d’eux soit ont perdu leurs postes, soit ont démissionné d’eux-mêmes. Curieusement, quand on compare les informations à la télévision « du régime » , comme nous l’appelons, et sur des chaînes privées, on se retrouve face à deux Polognes. Mais il faut bien se rendre compte que beaucoup de gens ne regardent que la télévision officielle ! Si on rajoute à cela les portails de droite qui déforment tout autant la réalité (et c’est un euphémisme!) on voit que l’accès à la vérité est très souvent très limité. J’en ai fait l’expérience au cours de PIKOD’s quand nous avons rencontré des gens qui nous soutiennent, mais aussi des gens qui disent du mal de nous, et tu serais étonnée de voir à quel point leurs mots sont des citations de ces médias de droite. Heureusement ce n’est qu’une minorité parmi ceux que nous rencontrons.
C’est pourquoi on ne peut pas blâmer les journalistes qui travaillent dans des médias privés (beaucoup d’entre eux ont quitté les médias officiels) pour leur manque d’objectivité, parce que leur rôle est de montrer l’envers du décor.
11. Es-tu inquiète pour l’avenir ?
Oui et non. Oui, parce que je vois que les choses vont dans la mauvaise direction. Nous sommes en train de perdre nos libertés et avons l’impression que c’est une évolution sans fin. Quand je vois sur le net un article sur les propositions de lois qui pourraient être votées à l’automne, je me demande si c’est une blague, de la psychose, ou une technique publicitaire pour dire « Regardez, les choses pourraient être encore pires ». Par exemple, la semaine dernière, certains articles disaient qu’on allait nous enlever nos passeports et ne nous les donner que sur demande, ce qui m’a rappelé mon enfance, et je ne voudrais plus jamais vivre cela. Alors oui, je suis angoissée sur ce que le futur nous prépare. D’un autre côté, je vois autour de moi beaucoup de personnes pleines d’énergie et d’enthousiasme, qui vont se lever pour défendre leurs droits . Et nous sommes bien décidés à ne pas abandonner nos libertés.
Traduction Michèle Narvaez
Notes
[1] Lódz est la troisième ville du pays, (700 000 ha.) située au sud-ouest de Varsovie. Radom est une ville de 220 000 ha. située au sud de Varsovie.
[2] Droit et justice (en polonais: Prawo i Sprawiedliwość), parti polonais fondé en 2001 par les frères Jaroslaw et Lech Kaczynski. C’est un parti d’idéologie conservatrice et eurosceptique. Lech Kaczynski a été président de la République de 2005 à 2010 et Andrzej Duda a été élu en 2015.
[3] Terme technique qui se réfère à la période entre la promulgation d’une loi et le moment où elle prend effet légalement.
[4] KPRM : Secrétariat général du gouvernement polonais qui dépend du Premier Ministre.
[5] Parti politique conservateur, démocrate-chrétien, pro-européen, qui a été au pouvoir de 2007 à 2015 mais a été battu par le PiS en 2015.
[6] Le zloty est la monnaie polonaise. 100 euros équivalent à 426 zlotys.
[7] Né en 1922 et décédé en avril 2015, Wladyslaw Bartoszewski est un historien et homme politique polonais, résistant pendant la seconde guerre mondiale, Juste parmi les nations, sénateur et ministre polonais des Affaires étrangères.
Liens
https://www.facebook.com/KODInternational
KOD-ette (en polonais, KOD-erka, le nom de toute militante du KOD)
l'oeil des chats dit
Intéressant. Des évolutions parallèles, et pas seulement en Europe de l’ex-Est. Je me suis permis de mettre en lien cet article.
Michèle Narvaez dit
je suis allée voir votre site: magnifique! L’art n’est jamais très loin de nos préoccupations!
Sylvie Alphandéry dit
Merci Michèle pour cet article intéressant. Est-ce possible de mesurer l’impact des actions du KOD sur la population ? L’article évoque l’implication de militants historiques dans la fondation du KOD ainsi que la participation de jeunes générations, pourrions-nous en savoir un peu plus sur qui sont les militants du KOD ?
Merci à toi !
Sylvie
Michèle Narvaez dit
Mon prochain séjour en Pologne (octobre) me permettra peut-être de creuser la question. Ce que j’ai pu constater en juin et aussi à la lecture du facebook du KOD, c’est le nombre impressionnant de manifestations, d’initiatives, dans tout le pays, et aussi la présence de très nombreux jeunes, parfois très jeunes (lycéens). Un article sur le site de France Info, de Marie Violette Bérard, me paraît bien informé. On peut aussi suivre le site en français de l’ADDP (Association de défense de la démocratie en Pologne).
Ce qui semble aussi avéré, c’est que le rapport de force entre le PiS et l’opposition démocratique est en train d’évoluer, en défaveur du PiS.
Autre chose : ce mouvement, parti de l’initiative de deux personnes, et qui a fait boule de neige, ou tache d’huile, est fortement marqué par la présence charismatique de Kijovski. On pense un peu à la situation de Podemos en Espagne. C’est très différent par exemple de « Nuit Debout ». J’ai pu mesure une sorte de ferveur populaire vis à vis de Kijovski. Se pose alors la question du rôle d’un leader… A suivre!
Johnk631 dit
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