Les jeunes sont interdits dans les bars avant 21 ans mais autorisés à acheter des armes ou même à mourir à l’autre bout du monde pour l’armée américaine. Et bien sûr à mourir jusque dans les écoles. La jeunesse États-unienne est –elle en train de réveiller le pays et de menacer les républicains et Trump d’un mouvement d’opposition qui peut les faire trébucher aux élections de mid –term en novembre 2018 ?
17 morts au lycée de Parkland (Floride). La 19ème fusillade de masse [1] depuis le début de l’année. Est-ce la tuerie de trop, celle qui démontre une fois de plus l’anomalie états-unienne sur la circulation des armes à feu. Le meurtier Nikolas Cruz a pu acheter légalement à 19 ans un fusil semi-automatique AR-15. Les armes à feu ont causé la mort de 9600 personnes en 2015, 11000 en 2016. Parmi celles-ci chaque semaine une moyenne de 25 enfants de moins de 17 ans [2].
Le courage des jeunes entrainera-t-il un tournant de l’opinion ?
Le courage des lycéens rescapés de la tuerie – Emma Gonzales n’a que 17 ans – est de faire le lien entre la corruption des élus par la National Rifle Association (NRA) – et l’immense prix à payer par la jeunesse et la population.
En dénonçant l’arrosage des élus – à commencer par le président Trump qui a reçu 30 millions de dollars de la NRA, les jeunes dénoncent tout haut ce que les médias dominants et la majorité des élus considèrent comme une situation normale sur laquelle il n’y a rien à dire.
Le mot d’ordre #neveragain « plus jamais » marque un tournant comme si un seuil avait été dépassé.
Comment poursuivre ce jeu cynique face à la candeur de ces jeunes qui sont accablés et rompent avec la résignation de beaucoup d’adultes ? David Hogg, autre figure de cette jeunesse debout montre que les médias sociaux peuvent aussi résonner d’exigence simple de vérité, de responsabilité et affronter les campagnes de diffamation et de « fake news ».
Revenons en arrière sur cette « love story » singulière des États-Unis avec leurs armes à feu. Notons qu’une autre love story importante dans ce pays, celle de l’automobile s’est accompagnée de mesures sévères de sécurité (vitesses limitées autour de 100 km/h même sur autoroute, ceintures de sécurité, airbags, consommation d’alcool) qui ont diminué par huit entre 1946 et 2016 le nombre de victimes de la route [3]. Malgré le lobby particulièrement puissant de l’automobile et du pétrole.
Only in America !
Il y a donc des raisons spécifiques aux États-Unis qui touchent à la conception de la citoyenneté, au rôle de l’État, et à la force d’influence démesurée de certains lobbies. Or la question du contrôle des armes à feu a fait l’objet de centaines de tentatives d’encadrement ces dernières années chaque fois bloquées par les parlementaires républicains et certains démocrates. La NRA s’appuie sur le deuxième amendement de la Constitution des États-Unis qui garantit le droit des individus à détenir et utiliser des armes à feu. Ce droit pouvait avoir un sens dans une société ne disposant pas d’un état moderne, d’une police et d’une armée. Se défendre et se faire justice n’a pas le même sens dans le contexte actuel.
Les armes à feu sont pourtant inscrites dans l’ADN états-unien avec plus de 350 millions d’armes en circulation et 42% des américains censés en disposer à leur domicile. Même si ce chiffre est exagéré et se concentre dans un certain nombre d’états (en premier ceux de la Bible belt dans le sud), la NRA se présente comme profondément enraciné dans les « croyances » américaines.
Lors de sa création en 1871, la NRA était plus modérée, plus « technique ». Elle regroupait alors des chasseurs et des amateurs de tir, certes seulement des hommes blancs. Et tout au long de son histoire, elle s’assurait que les minorités, particulièrement les afro –américains ne puissent pas accéder aux mêmes droits.
La NRA avait appuyé tout de même la loi nationale sur les armes à feu de 1934, qui limitait l’usage des « armes de gangsters », comme les mitrailleuses ou les fusils de chasse à canon scié.
Dans les années 60 et 70, face à l’émergence des droits civiques, aux lois de Lyndon Johnson et au net recul de la peine de mort (abolie de fait entre 1963 et 1977), la NRA se mue en défenseure intransigeante du port d’arme chargée d’une symbolique anti-état et anti-régulation.
Historique de la NRA
Pour la première fois en 1980, elle intervient dans la présidentielle, elle soutient Ronald Reagan et constitue désormais avec les évangélistes l’un des noyaux durs du parti républicain.
Le parti républicain est lui devenu le relais de la NRA (4 à 5 millions de membres), empêchant tout contrôle et toute législation.
En 2005, le président Bush a promulgué une loi qui dédouane de toute responsabilité les fabricants et les négociants d’armes à feu lorsque des crimes ont été commis avec leurs produits.
Pendant la présidence Obama, la NRA aidé par les Républicains et même quelques élus démocrates a empêché l’instauration des lois restreignant le commerce des armes à feu, elle a fait campagne contre des nominations à des postes clés comme Chirurgien général ou juge à la Cour suprême : Vivek Murthy, Sonia Sotomayor et Elena Kagan.
88% des Républicains et 11% des Démocrates au Congrès avaient reçu une contribution de la NRA ou d’un PAC [4] à un moment donné de leur carrière.
En 2016, la NRA a recueilli un montant record de 366 millions de dollars et dépensé 412 millions de dollars pour des activités politiques (hors financement par PAC).
Un sondage Reuters/Ipsos réalisé en avril 2012 révèle que 82% des Républicains et 55% des Démocrates voient la NRA « sous un jour positif ». Dans sept des huit sondages Gallup réalisés entre 1993 et 2015, une majorité d’Américains a déclaré détenir un avis favorable de la NRA [5].
En octobre 2015, 58% des Américains avaient une opinion favorable de la NRA bien qu’il y ait une large dispersion entre les affiliations politiques : 77% des conservateurs, 56% des modérés et 30% des libéraux avaient cette opinion. Il sera intéressant de voir comment évoluent ces chiffres dans les semaines à venir.
On voit comment la NRA reste bien ancrée dans le paysage américain, relayant la mythologie du cow-boy solitaire, affranchi de toute obligation et de toute solidarité, réfractaire à toute règle venant d’un État. L’élection de Trump – qui est le seul président avec Reagan à avoir participé à la réunion annuelle de la NRA – libère les comportements transgressifs des petits blancs.
Des réponses dilatoires de Trump et du parti républicain
Quelle a été la réponse de Trump à cette nième tuerie alors que les appels s’étaient multipliés ces derniers temps pour mettre fin à la violence dans les écoles ?
D’une part, nier son caractère massif, s’en tenir à l’explication d’individus déréglés, que la psychiatrie aurait dû traiter. Et s’engager mollement à limiter la possibilité d’acheter des armes pour ceux-ci. Le Department of Health and Human Services affirme que de 3 à 5% des actes violents peuvent être attribués à des personnes ayant une maladie mentale sérieuse. On est loin du compte, cela s’appelle une diversion. S’y ajoutent les prières qui sonnent comme une acceptation fataliste de tant de violence.
D’autre part, proposer d’armer les enseignants, comme certaines écoles dans le Texas le font.
Il n’a fait que reprendre la demande faite en décembre 2012 après la fusillade de l’école primaire Sandy Hook par le président de la NRA, Wayne LaPierre, pour contrer les tentatives d’Obama de s’attaquer au fléau des tueries.
Toutes les personnes concernées contestent fortement cette approche. À commencer par Lily Eskelsen Garcia, présidente de la National Education Association (NEA), le plus grand syndicat d’enseignants américain qui a déclaré « Mettre plus de fusils dans nos écoles ne fera rien pour protéger nos élèves et nos éducateurs de la violence par armes à feu » [6]. On imagine les enseignants jouant aux cow-boys dans les écoles. Pas sûr que cela renforce la capacité d’être écoutés des élèves et d’avoir la moindre autorité sur la classe. On comprend le rejet massif de cette proposition chez les enseignants qui doivent faire face à une école paupérisée et en crise.
Enfin, les médias pro-républicains comme Fox news et les groupes militants agissant via les médias sociaux, avec ou sans l’aide des russes, ont pilonné contre les jeunes et les ont ciblés individuellement.
David Hogg est dénoncé comme un agent de CNN, les élèves auraient monté eux-mêmes la tuerie pour ensuite mettre en cause la NRA. Cela va jusqu’à des menaces de mort.
Une vague de révolte qui peut s’amplifier
Dans le grand désarroi politique et le climat d’intimidation du pouvoir actuel, la tuerie canalise des mouvements de refus et de sursaut de nombreuses familles. Le si-peu président a montré aucune compassion avec les familles. Même des électeurs républicains y sont sensibles acceptant des limitations à l’utilisation des armes à feu.
Les jeunes interpellent des candidats dans les réunions électorales et leur demandent de s’engager à ne pas recevoir d’argent, ni même à défendre les positions extrémistes de la NRA. Dans cette année électorale cette mobilisation peut causer beaucoup de tort à ses soutiens. Le vent semble tourner. La torpeur découragée après la tuerie de l’école primaire Sandy Hook en 2013 (26 morts), les tirs à Las Vegas en 2016 (58 morts) ne sont plus de mise.
La volte-face de certains responsables
Ainsi le gouverneur de Floride, Rick Scott, pourtant républicain et longtemps avocat des thèses de la NRA, s’est opposé à l’idée d’armer les enseignants (il propose qu’à partir d’une certaine taille, les écoles disposent d’un garde armé) et il propose de relever à 21 ans l’âge légal pour acheter une arme.
Il devient à son tour la cible de campagnes de Fox news et des extrémistes de la NRA.
De plus l’enquête du procureur Mueller progresse et s’intéresse à des financements de la NRA par des fonds russes en lien avec la campagne électorale de Trump et donc illégalement [7]. Une chaîne cohérente apparaît donc entre la corruption des parlementaires et Trump, le refus complice de faire face à ce qui est considéré comme un fléau et la violence répétée contre la jeunesse.
Un mouvement durable ?
Un pas décisif est en train de s’accomplir dans la jeunesse et dans l’opinion. Il rappelle les mobilisations contre la guerre du Vietnam et contre l’apartheid en Afrique du Sud.
Il semble en effet que sur le terrain émotionnel et médiatique, Trump soit battu. Son indifférence aux souffrances a choqué. Il est parti festoyer dans sa résidence de Floride sans s’attarder trop avec les familles des victimes disant très peu de mots d’empathie à celles-ci.
En peu de temps le compte twitter d’Emma Gonzales @Emma4Change a amassé plus de 1 190 000 abonnés (au moment de cette écriture). En revanche, @NRA qui est sur Twitter depuis plus de neuf ans n’en a eu que la moitié !
- Certains étudiants réclament un boycott de la Floride jusqu’à ce qu’elle prenne au sérieux une législation restreignant les armes à feu.
- David Hogg a recommandé d’aller plutôt à Porto Rico pour les vacances de printemps.
- Une « marche pour nos vies » est prévue le 24 mars à Washington DC.
- L’appel à s’inscrire sur les listes électorales est lancé également.
- Enfin d’autres dénoncent les liens entre la NRA et certaines entreprises qui se mettent à bouger.
Celles-ci n’étaient pas gênées de proposer des réductions aux membres de la NRA. Or il semble devenir plus « porteur » aujourd’hui de s’en démarquer. Ces mêmes entreprises annoncent donc leur retrait de ces accords préférentiels.
Elles sont de plus en plus nombreuses – Delta, United Airlines, Hertz, Avis, Budget, First National bank, Symantec, MetLife – [8]
Dans cette guerre des images, la NRA répond impassible « Que ce soit absolument clair. La perte d’un rabais n’effrayera ni ne distraira un seul membre de la NRA de notre mission de défendre les libertés individuelles qui ont toujours fait de l’Amérique la plus grande nation du monde [8] ».
Sa porte parole Dana Loesch est passée par le Tea party et a été soutenue par Andrew Breitbart, fondateur du site d’extrême droite l’alt-right Breitbart News. Elle s’est fait tatouer sur le bras un passage de la Bible, qui appelle les croyants à « revêtir l’armure complète de Dieu », afin de les protéger du diable. Dans la nouvelle annonce Tv de la NRA Dana Loesch menace ses opposants excédée « your time is running out » (votre temps est fini).
« Nous en avons assez des mensonges, de la bien-pensance, de l’arrogance, de la haine, de la mesquinerie, des fausses nouvelles », a-t-elle dit.
La présentatrice, qui a déjà joué dans des vidéos controversées pour la NRA et qui est connue pour critiquer les médias de gauche, a ajouté : « Nous en avons fini avec votre programme visant à saper la volonté des électeurs et la liberté individuelle en Amérique.
Donc, à tous les membres menteurs des médias, à tous les imposteurs d’Hollywood, aux athlètes modèles qui utilisent leur liberté d’expression pour altérer et miner ce que notre drapeau représente.
Aux politiciens qui préfèrent regarder brûler l’Amérique plutôt que de perdre une once de leur propre pouvoir personnel, aux paroles de fin de soirée qui pensent que leur opinion est la seule opinion qui compte.
À ceux qui apportent partialité et propagande à CNN, au Washington Post et au New York Times… votre temps est compté. Le compte à rebours commence maintenant. »
Dana Loesch in The independant du 5 mars.
“We have had enough of the lies, the sanctimony, the arrogance, the hatred, the pettiness, the fake news,” she said.
The presenter, who has previously starred in controversial videos for the NRA and is known for criticising left-wing media, added: “We are done with your agenda to undermine voters will and individual liberty in America.
So to every lying member of the media, to every Hollywood phony, to the role model athletes who use their free speech to alter and undermine what our flag represents.
To the politicians who would rather watch America burn than lose one ounce of their own personal power, to the late night posts that think their opinion is the only opinions that matter.
To those who bring bias and propaganda to CNN, The Washington Post and The New York Times… your time is running out. The clock starts now. »
Faisons le pari que de plus en plus d’américains vont enfin refuser le nombre disproportionné de victimes sacrificielles – enfants ou adultes, 49 fois plus que dans la moyenne des pays développés [10] – qui tombent chaque année aux États-Unis.
Notes
[1] On parle de fusillade de masse à partir de 4 victimes
[2] Journal Pediatrics numéro de Juin numero de Juin 2016
[3] New York Times / National Highway Traffic Safety Administration, 20 février 2018. Le nombre est passé en 70 ans de 9,35 morts à 1,18 morts par 100 million de miles parcouru
[4] Political Action Committee, moyen dérivé pour recueillir et distribuer des fonds (illimités comme ceux des entreprises depuis une décision de la cour suprême de 2010)
[5] Fiche Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/National_Rifle_Association
[6] https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/donald-trump/les-enseignants-americains-rejettent-l-idee-d-etre-armes_2624054.html
[7] De tels dons venant de l’étranger sont illégaux. https://www.theguardian.com/us-news/2018/jan/18/trump-nra-fbi-alexander-torshin-russia-investigation
[8] https://www.npr.org/sections/thetwo-way/2018/02/23/588233273/one-by-one-companies-cut-ties-with-nra
[9] La responsable de la NRA
[10] D’après la Health Affairs Study citée dans le NYT https://www.nytimes.com/2018/02/15/opinion/florida-school-shooting.html
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