Dans cette période où des mouvements politiques s’affirment en s’appuyant sur des religions ou des croyances virulentes, il est bon d’écouter deux hommes comme Edgar Morin et Régis Debray qui sont passés l’un et l’autre par des engagements militants forts qu’ils ont délaissés depuis.
Mais quelle est la part de la croyance dans des engagements, en particulier lorsque ceux-ci sont radicaux ? C’est ce débat qui a été organisé par l’Institut du Monde Arabe ce 16 février 2016.
Ce que dit Edgar Morin sur la croyance
Pour Edgar Morin, il y a un terrain commun entre religion et politique. On trouve dans une expérience révolutionnaire profonde de la croyance, de la foi, de la ferveur. Celle-ci suppose une adhésion entière intellectuelle, affective et morale à tel parti, telle cause ou tel personnage politique.
Cela comporte une confiance ingrédient fort de la croyance. On voit d’ailleurs dans des meetings, « des phénomènes de ferveur, de communion, le sentiment de communautés, on est frères ».
De la ferveur on passe facilement à la foi. On la retrouve chez les révolutionnaires de 1789, de 1848 ou de la Commune de Paris. Cette foi était présente dans les mouvements socialistes et surtout dans les mouvements communistes au 20ème siècle.
Pour Edgar Morin qui s’en est détaché en 1959 dans un livre Autocritique, il y avait là une véritable « religion de salut terrestre, le démon capitaliste allait être terrassé par le messie prolétariat ».
« Ainsi la révolution, la Nation ou Dieu, sont capables de susciter une croyance, une ferveur pour laquelle on est capable de mourir, et parfois aussi capable de tuer ».
En évoquant l’actualité, Edgar Morin souligne le cas Daech. Cette organisation attire des jeunes considérant le monde comme immoral et dégradé. Ils peuvent être révolutionnaires contre les corrompus, leurs alliés, les impies en rejoignant Daech.
Ce que dit Régis Debray sur la croyance
Pour Régis Debray, le ressort de la croyance est aussi à surveiller avec toute la vigilance de son esprit critique. Pourtant on peut y trouver une force motrice indéniable.
- La croyance est tournée vers l’action. Une croyance est une promesse d’action. C’est une fertilité. Le sage reste dans son bureau mais le croyant lui descend dans la rue.
- J’aime la croyance car le croyant est tourné vers l’autre. On intègre une communauté. On fait ce que les autres font, on se prend à croire pour intégrer les autres. Croire c’est rentrer dans l’orchestre.
- La croyance est tournée vers l’avenir. La croyance est toujours annonciatrice d’un futur. C’est du différé. Cela arrache de l’étau du présent.
Sans être ni dévots, ni crédules, la croyance c’est la politique. C’est l’espoir, c’est le groupe, c’est l’annonce d’un futur.
La croyance est un facteur commun au religieux et au politique. Quand le politique déserte le champ de la croyance, on voit bien poindre le prophète. Le gourou revient dans le champ politique.
Je crois qu’il faut croire pour croître. C’est un remède contre la mort. Je ne crois pas qu’il y ait une coupure entre hier et aujourd’hui. Entre les peuples du Nord –pétris de rationnel- et ceux du Sud –emportés par la passion.
Prenons l’exemple des États-Unis avec l’image de la Cité sur la colline, et ce nouveau revival sidérant et inquiétant. De même en Israël, en Égypte, en Indonésie et avec les pentecôtistes qui s’en donnent à cœur joie an Amérique latine. Il n’y a pas de coupure entre messianisme religieux et progressisme politique.
On ne peut pas s’intéresser aux groupes humains si on ne déniche pas les croyances intérieures qui les structurent ».
Des pistes pour demain
Edgar Morin et Régis Debray peuvent affirmer dans cette convergence « la raison sans passion est glacée et presque folle, la passion sans raison peut être délire. Il faut le contrôle de la raison sur la passion mais aussi la force de la passion ».
Pour Edgar Morin « plus transformiste », on peut sortir de l’emprise du vide créé par la toute puissance du marché par deux voies.
- L’une s’illustre par un grouillement d’initiatives pour une autre vie. Les éco-quartiers, les pratiques de transformation sociale.
- La seconde c’est que l’humanisme, ce n’est pas seulement le respect, la reconnaissance de l’autre, c’est aussi faire partie de l’humanité, c’est une platitude, nous faisons partie de l’aventure de l’espère humaine, qui a commencé à la préhistoire, avec des désastres tout au long des siècles, mais la mondialisation met tout ceci en commun à une nouvelle échelle. « Périples multiples, inégalités, fanatismes, mais aussi contribution de toutes les cultures, dans cette aventure il y a des promesses
Ce à quoi Régis Debray répond en soulignant que « devant le danger, on peut avoir le sentiment d’une communauté de destins. Avoir un ennemi c’est souder. L’espèce humaine en péril peut trouver une raison commune. Mais tout ce qui fait science ne fait pas sens. Face à la montée inévitable des frictions identitaires le combat pour la laïcité est important compris comme moyen d’inclusion et de concorde et non facteur d’exclusion ». Il rappelle également ses propositions d’enseignement du fait religieux qui aiderait chacun-e à placer dans un contexte ses croyances ou celle de l’autre.
Ainsi, si croyance et politique se rencontrent, comment lier, dans la croyance politique comme dans toute croyance, la raison et la passion? C’est leur dialectique permanente qui évite une raison seule, glacée, insensible, et une passion qui sans contrôle rationnel devient délirante.
Pour terminer le débat en réponse aux questions du public, les deux intellectuels dénoncent l’idéologie portée par l’économie néo-libérale (une autre croyance) qui assèche les appartenances, menace les identités et dépolitise les sociétés en se présentant comme un état de nature inéluctable.
Une conversation de grande qualité qui nous invite à trouver les réponses par l’action! Merci l’Institut du Monde Arabe. Merci Edgar Morin et Régis Debray.
Plus
Comment passe-t-on de la croyance à la violence ? Article de Marcus Clams publié sur Agoravox
François dit
Depuis cette conférence, et sur le même thème Régis Debray a enregistré une série de 10 émissions de radio pendant le mois de juillet 2016 Allons aux faits.
https://www.franceculture.fr/emissions/allons-aux-faits
Deux séries de cinq conférences portant sur l’origine et l’histoire de quelques maîtres mots en forme de chausse-trappes. Croyances politiques et réalités religieuses sont passées en revue ces « fatidiques boîtes noires, souvent causes d’hystérie, pour en regarder l’intérieur d’un peu plus près et calmement ».
On peut les écouter sur le site France Culture ou les lire dans l’ouvrage qui vient d’être publié (Gallimard – France Culture thème : Histoire).