– Le 22 mars 1968 une révolte étudiante se muait en mouvement politique et annonçait Mai 68.
– Le 22 mars 1973 des lycéens (et plusieurs des auteurs de ce blog collectif) redescendaient dans la rue contre la réforme du service militaire par la loi Debré aux cris de « 5 ans, coucou nous revoilà ! »
– Le 22 mars 2016 les tueries de Bruxelles viennent après celles de Paris de cette terrible année 2015. Beaucoup de jeunes sont touchés ou sont parmi les assassins.
En 1968, comme en 1973, la révolte et la contestation de la jeunesse, s’inscrivaient dans une mise en cause libertaire du monde. Elles étaient des appels à la vie.
En 2016, c’est l’asservissement d’une partie de la jeunesse pour un projet mortifère qui frappe : doublement.
Face au déchaînement d’une violence que notre génération n’avait pas connue, nous hésitons sur notre propre compréhension du monde des humains. L’actualité tragique nous interpelle sur « nos fondamentaux ».
En toile de fond nous voyons la puissance hors sol des forces financières déborder les frontières, miner les valeurs et le fonctionnement des démocraties.
Or de mauvais vents soufflent sur l’Europe et l’Amérique. Les inégalités sociales, les urgences écologiques, l’appel au secours des migrants fuyant les guerres ne trouvent bien souvent qu’indifférence, calculs à court terme ou réponses peu effectives des gouvernants.
Nous assistons ces dernières décennies au renforcement mutuel de ces ennemis qui se ressemblent — les extrêmes-droites populistes et les islamo-fascistes — dans une dynamique destructrice dont nous ne percevons pas le terme. Ni les unes, ni les autres ne veulent de la liberté, de l’égalité et de la fraternité pour tous. Les jeunes y jouent un rôle décisif.
Jeunesse plaque sensible
La jeunesse reste en effet la plaque sensible des sociétés, démultipliant les élans, les refus et les révoltes. Les gouvernements la craignent. Elle sait mieux que les autres générations que les téléphones portables, Skype ou les courriels, abolissent les distances, et que nous appartenons à la même planète.
La jeunesse frustrée de l’absence de débouchés des études, devenue variable d’ajustement pour un chômage grandissant, désespérée de l’aveuglement des dirigeants aspire à un monde différent.
Elle tâtonne à la recherche de solutions de changement ou de rupture. Elle survit au prix d’une dépendance plus grande envers ses ainés et d’un endettement colossal pour ses études dans certains pays. De plus en plus informée, de plus en plus formée, elle voit pourtant son avenir incertain, les conditions de vie annoncées à la baisse alors même que l’humanité n’a jamais produit autant de richesses.
Dans cette situation une fraction de la jeunesse se tourne vers des luttes radicales.
Aujourd’hui et de façon inédite, la plus extrémisée trouve dans l’Islam radical, le clash mortel avec la société occidentale et la possibilité d’un héroïsme à bon marché.
Cette infime partie de la jeunesse alimente donc spectaculairement la violence terroriste. Le soi-disant État islamique séduit à distance une partie de cette jeunesse qui estime n’avoir rien à perdre. Il offre un rêve d’absolu, de pureté et la promesse de salut. L’attraction est plus existentielle que religieuse. Le projet du soi-disant État islamique ou DAECH fournit au jeune un cadre d’intégration qui met fin aux errances, aux échecs, aux incertitudes, aux difficultés de vivre dans le monde incertain et injuste d’aujourd’hui. Il exerce une certaine séduction. S’il a une apparence mortifère car il ne respecte pas la vie des autres, il peut fonctionner pour certains comme un appel purificateur et comme un appel à une autre vie. Aux jeunes hommes, le rêve du combattant viril, aux jeunes femmes celui de l’infirmière. Les valeurs sacrificielles des religions sont portées à un niveau inégalé. Aux jeunes adultes qui optent pour ce choix, le fardeau de la liberté se trouve allégé, l’avenir incertain est remplacé par un devoir d’obéissance, de conformité.
Cette capacité d’attraction du djihadisme, si elle fait la une, ne tiendra pas longtemps, ni les conquêtes territoriales éphémères de territoires pétroliers au Moyen-Orient.
Une autre partie s’enrôle dans les officines populistes assurant à de vieilles idéologies de haine d’extrême-droite une tardive revanche.
Il est à craindre que devant la persistance des injustices, devant l’absence d’effet de mobilisations politiques, ce type d’idéologie et de réseau se développe. L’extrême-droite propose dans une version ripolinée, plus compatible avec les apparences du jeu démocratique, une sorte de niveau zéro du volontarisme politique. Les solutions simplistes, le rejet des autres, l’incapacité à s’intégrer dans une construction politique et donc dans une négociation, des compromis, caractérisent ces nouveaux populistes.
Jeunesse porteuse d’avenir
Enfin une autre partie de la jeunesse investit sa radicalité dans l’exigence de démocratie, d’équité, contre la corruption. Elle fait écho aux révoltes de l’école polytechnique d’Athènes en 1973 -prélude à la chute de la dictature fasciste des colonels grecs-, au mouvement des capitaines le 25 avril 1974 -qui mit fin à la dictature et à l’empire colonial portugais- et à tant de printemps de luttes, dont Mai 68 en France fut emblématique. C’est la sœur des forces vives, jeunes surtout, des printemps arabes.
C’est cette fraction de la jeunesse, elle aussi de plus en plus mondialisée, qui se mobilise d’Istanbul à Paris, capable de se lever contre des mauvais projets : régressions islamo-conservatrices en Turquie, mobilisations anti CPE en 2006 ou projet de loi Travail en France en 2016. Elle apporte son énergie dans les mobilisations pour l’équité et le renouvellement de la démocratie : les Indignés puis Podemos en Espagne, Occupy Wall street et le succès de Bernie Sanders aux USA, Nuit debout dans les grandes villes de France.
Elle participe aux tâtonnements de nos sociétés face aux inégalités grandissantes et à la démocratie confisquée. Contre les options islamo-fascistes des jeunes entraînés dans le terrorisme, contre les glissements vers les populismes, elle symbolise l’aspiration à la liberté, la protection des biens communs, la recherche passionnée d’un mode de vie écologique et partageable à l’échelle de l’humanité. Bref encore d’autres 22 mars et espérons-les féconds.
leaila dit
merci pour cet excellent article