Depuis la Révolution française, l’antijudaïsme puis l’antisémitisme en France sont venus de l’extrême-droite et de la droite pour l’essentiel. Cependant toutes les composantes de la gauche ont aussi été infectées par ce fléau à certains moments de leur histoire : les socialistes – du socialisme utopique à la SFIO -, les syndicalistes révolutionnaires et les anarchistes avant 1914, puis après la Grande Guerre, les communistes les pacifistes et l’extrême-gauche. Cet antisémitisme à gauche s’est manifesté sous cinq formes et s’est développé particulièrement dans les années 1880-1890 et la décennie 1930, deux périodes où la société française était en crise : l’antisémitisme s’est alors conjugué avec la xénophobie. Ces deux périodes évoquent celle que nous vivons aujourd’hui, même si les contextes sont évidemment très différents.

Des images ancestrales
L’antisémitisme se construit sur des représentations fallacieuses mais efficaces fondées sur des images très anciennes, ancrées dans les mentalités : en démontrer le caractère erroné ne suffit pas à les éliminer. Tout commence sous la forme d’un antijudaïsme économique, reposant sur l’antijudaïsme religieux hérité du Moyen Age et qui reste massif dans la France catholique des années 1830.
Au sein du socialisme au XIXe siècle
L’image du juif, profiteur et usurier, acquiert une vigueur nouvelle avec les débuts du capitalisme. Certains socialistes utopiques, notamment Proudhon dont l’influence sur le syndicalisme sera durable, assimilent les juifs au capitalisme et à la banque. Jusqu’à l’affaire Dreyfus, ils répètent cette image du juif banquier, assimilé à « Rothschild »; elle décline peu à peu jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
La deuxième forme d’antisémitisme à gauche qui apparaît dans la décennie 1880 coïncide avec la naissance de l’antisémitisme moderne. Avec 80 000 personnes sur 39 millions de Français, la communauté juive française est alors l’une des plus réduite d’Europe. Mais l’antisémitisme se développe à la faveur de la crise économique qui nourrit la xénophobie, à laquelle s’ajoute le contexte politique marqué par l’essor du nationalisme ainsi que les affaires Panama et Dreyfus. Les mouvements d’extrême droite, racistes et antisémites qui se développent dans la France meurtrie par la défaite de 1870 assimilent le juif au Prussien. Traumatisés par le souvenir de la répression contre la Commune, les partis et syndicats ouvriers alors très faibles ne comprennent pas la nocivité de l’antisémitisme. Aussi celui-ci influe sur ces organisations et culmine avec l’affaire Dreyfus, avant que, grâce à Jaurès, Zola et quelques autres, elles comprennent qu’elles doivent rompre avec lui.
La clarification avec l’affaire Dreyfus
Ce tournant est capital : dès lors, la gauche dans son immense majorité combattra toujours l’antisémitisme. Les rares militants qui le défendront le feront toujours de façon subliminale en affirmant haut et fort leur sympathie pour les juifs. Il s’effectue alors un reclassement qui présente des analogies avec ce à quoi nous assistons aujourd’hui : ceux (Sorel, quelques syndicalistes révolutionnaires) qui flirtent avec l’antisémitisme se situent à l’extrême gauche et attaquent la démocratie avec virulence.
Les années 1930, puis le révisionnisme et le négationnisme (1950-1970)
Une nouvelle forme d’antisémitisme à gauche survient au début des années 1930. La crise économique entraîne une xénophobie importante et le traumatisme résultant de la Grande Guerre suscite un pacifisme massif. Le pacifisme a été une des références de la gauche depuis la fin du XIXe siècle. Mais culpabilisée pour n’avoir pu empêcher la guerre, ne comprenant pas la nouveauté du nazisme, une partie importante de la gauche défend un pacifisme de plus en plus résigné. Elle considère les antifascistes qui prônent la fermeté contre Hitler comme des « irresponsables ». Aussi, elle en vient à dénoncer les juifs comme des fauteurs de guerre qui veulent combattre le nazisme pour défendre leurs coreligionnaires allemands. Les attaques en ce sens se multiplient contre Léon Blum à partir de son arrivée au pouvoir en 1936. Aussi, la division s’approfondit entre les anti-fascistes et les pacifistes qui tiennent un discours antisémite de plus en plus décomplexé ; beaucoup d’entre eux rompront avec la gauche et collaboreront avec Vichy, voire même avec les nazis
Dans les années 1950, l’antisémitisme se manifeste au sein de l’extrême gauche sous une quatrième forme, le révisionnisme, puis deux décennies plus tard, le négationnisme. Le premier minimise le génocide et le second en vient à le nier en accusant les juifs de tirer profit de sa mémoire. Ce déni du réel repose sur une vision schématique du marxisme, le rejet de la démocratie et de l’antifascisme. Il est conçu par deux militants d’extrême-gauche, Paul Rassinier, ancien socialiste passé aux anarchistes et Pierre Guillaume membre de l’ultra gauche bordiguiste ; tous deux rejoignent bientôt l’extrême droite. Quelques militants d’extrême gauche les soutiennent mais s’en détachent bientôt. Le révisionnisme et le négationnisme, qui ne regroupent qu’une poignée de militants, reposent sur deux « idées » : les juifs sont des profiteurs et ils sont responsables de la Seconde Guerre.
De la création du mouvement sioniste (1898) à la Guerre des Six Jours (1967
Fondé par Herzl en 1898, le sionisme, mouvement politique traversé par des courants allant de l’extrême gauche à l’extrême droite, revendique un foyer national en Palestine ; cet objectif est atteint cinquante ans plus tard avec la création d’Israël. Le mouvement sioniste puis l’État d’Israël entraînent une cinquième forme d’antisémitisme à l’extrême gauche dont les effets se font sentir aujourd’hui. Jusqu’en 1914, la gauche a été indifférente à l’égard du sionisme, alors très minoritaire. La SFIO a adopté une attitude plus ouverte durant l’entre-deux guerres, avant d’apporter son soutien indéfectible à Israël, illustré par la funeste opération de Suez contre l’Égypte. De son côté, le PC a d’abord rejeté le projet sioniste, a soutenu brièvement Israël à ses débuts, puis a pris ses distances avec lui, non sans quelques dénonciations ambigües. L’extrême gauche a vu dans le sionisme une forme de colonialisme, puis s’est positionnée de façon diverse par rapport à Israël. La critique de cet État a ainsi conduit quelques anticolonialistes tels que J. Vergès à un antisionisme virulent dans les années 1960. Après la guerre des Six Jours (1967), l’extrême gauche s’engage de façon croissante en faveur des Palestiniens et manifeste, une hostilité politique de plus en plus vive envers l’État hébreu du fait de l’occupation, mais ceci sans dérapages antisémites.
La gauche n’a jamais défendu l’antisémitisme; depuis l’affaire Dreyfus, ses dérapages ont été le fait d’une minorité
Les différentes formes prises par l’antisémitisme ont donc influé parfois sur certains courants de la gauche. Elle a parfois innové, en associant les juifs au capitalisme naissant, ou en niant la génocide avec le révisionnisme et le négationnisme ; mais l’un et l’autre n’ont regroupé qu’une poignée de personnes d’extrême gauche et d’extrême droite. Un nombre plus important de militants de gauche s’est contenté de répéter dans les années 1930, les affirmations de la droite et surtout de l’extrême droite sur le juif tirant les ficelles de la politique mondiale. Toutefois, première différence essentielle avec la droite et l’extrême droite, aucune organisation de gauche n’a jamais défendu ouvertement des opinions antisémitismes. Seconde différence, l’antisémitisme à gauche a toujours été infiniment plus limité que celui de droite et d’extrême droite. Durant l’affaire Dreyfus, le quotidien catholique La Croix – 500 000 lecteurs – se proclame « le journal le plus anti-juif de France » ; la presse socialiste et anarchiste touche alors moins de 8% du lectorat. Durant la décennie 1930, la vague antisémite d’extrême droite très forte est encore exacerbée par l’arrivée au pouvoir de Léon Blum et de la gauche. Durant ces deux périodes, cette dernière a été infectée par un antisémitisme de droite et d’extrême droite extrêmement puissant.
Progression de l’antisémitisme en France depuis les années 2000; l’extrême droite toujours profondément antisémite
Depuis la Libération, l’extrême droite a eu le quasi-monopole de l’antisémitisme en France. Après une période d’accalmie, de nouvelles formes d’antisémitisme n’ont cessé de progresser depuis le début des années 2000 : meurtre d’Ilan Halimi (2006), assassinats terroristes islamistes perpétrés à Toulouse, Montauban, l’Hyper Cacher de Vincennes suite à l’attentat contre Charlie Hebdo (2015), meurtre de Sarah Halimi effectué par un musulman . Les exactions antisémites ont augmenté de 74 % en 2017 et de 27 % l’année suivante. Les succès des spectacles de Dieudonné, des vidéos de Soral, la multiplication des sites complotistes et antisémites sur Internet et l’audience de certains rappeurs exaltant la haine raciale ont conforté cette évolution. En 2014, Jour de colère rassemblement d’organisations d’extrême droite a réuni à Paris plusieurs dizaines de milliers de personnes criant des slogans antisémites et négationnistes. En 2018-2019, des dérapages antisémites sont survenus lors du mouvement des Gilets jaunes, notamment à l’égard d’A. Finkielkraut ; or aucun mouvement social d’envergure de notre pays au XIXe siècle n’a connu des dérapages analogues. En 2020, Agnès Buzin a été victime, en tant ministre de la Santé, d’attaques antisémites complotistes, comme l’avait été également Simone Veil une vingtaine d’années plus tôt. L’antisémitisme d’extrême-droite est donc toujours puissant, et ce en dépit des affirmations de Marine Le Pen.
Les dérapages d’une partie de l’extrême gauche
Dans un amalgame simplificateur et abusif, l’ensemble de la gauche est accusée aujourd’hui d’antisémitisme : ces attaques reposent sur la malveillance et l’ignorance. Toutefois, une partie de l’extrême-gauche a une part de responsabilité en ce domaine mais elle refuse de le reconnaître, comme en témoigne le texte récent « Réponse collective à un infamie : sur l’accusation d’antisémitisme portée contre la France insoumise » (https://www.auposte.fr/reponse-collective-a-une-infamie-sur-laccusation-dantisemitisme-portee-contre-la-france-insoumise/.) Depuis un quart de siècle s’est en effet développé en son sein ou à ses marges un antisémitisme de moins en moins subliminal. Les dérapages s’y sont multipliés, bien avant le 7 octobre, mais pas au point que les autres forces de gauche n’aient jugé nécessaire de rompre avec la France insoumise : faut-il y voir là une incompréhension ou une forme d’indifférence ?
En Mai 68, l’extrême gauche étudiante avait défilé aux cris de « Nous sommes tous des Juifs allemands ». Elle ne le ferait plus aujourd’hui car le juif n’est plus la figure de la victime et le combat contre l’antisémitisme ne cesse de s’étioler. En 2006, l’extrême gauche refuse de manifester en hommage à Ilan Halimi. Les juifs sont les seuls à participer à cette manifestation qui est bien plus limitée que celles qui suivent en réaction à l’attentat de Copernic (1980) et la profanations du cimetière de Carpentras (1990) ; ces deux manifestations ont fait l’unanimité de la gauche et même de la droite, mais pas de l’extrême droite. En 2012, l’extrême-gauche est absente de la manifestation organisée au lendemain de l’attentat de Toulouse contre un collège juif. A la suite de l’attentat contre Charlie Hebdo une partie de l’extrême-gauche refuse de défiler, en arguant de la présence de B. Netanyahou mais en oubliant celle de M. Abbas, représentant de la Palestine. Cet abandon du combat contre l’antisémitisme et ce délitement de l’antifascisme coïncident avec l’émergence de groupements tels que le Parti des indigènes de la République (PIR) pour qui le Parti socialiste et SOS Racisme sont des soutiens de l’impérialisme et du « sionisme ». De son côté, la majorité de la gauche ne prend pas conscience de cette dérive à ses marges et n’y réagit guère, ce qui constitue une rupture avec son passé. Beaucoup de ses adhérents pensent que leur engagement les immunise nécessairement contre ce fléau et ils en sous-estiment donc la progression.
Dans ce contexte, les phases de tension entre Israël et l’État palestinien entraînent une hausse systématique des propos et des actes antisémites. Rappelons tout d’abord que ce conflit qui remonte à 1948 a une très forte charge symbolique. Il nécessite une distinction entre la légitimité de l’État d’Israël, qui ne peut être remise en cause, et la politique de ses dirigeants qui peut être critiquée comme celle de n’importe quel autre gouvernement, sans être traité d’antisémite. Mais depuis la disparition du « camp socialiste » en 1989-1991, les « Palestiniens » sont devenus pour l’extrême-gauche le symbole de toutes les oppressions et les hérauts de la révolution. Aussi, ce conflit occulte pour l’extrême gauche bien d’autres guerres infiniment plus meurtrières et elle les ignore. Avec une cinquantaine de milliers de morts, le conflit israélo-palestinien vient en 50e position de tous ceux survenus depuis la Seconde Guerre. La guerre entre l’Iran et l’Irak (1980) a fait un million de morts, la guerre civile en Algérie (1991-1997) plus de 100 000 et la guerre en Syrie depuis 2011 350 000. Bien entendu, tout ne se résume pas au seul nombre de morts, toujours trop nombreux.
Le conflit israélo-palestinien pose en effet la question, maintes fois débattue, du rapport entre antisémitisme et anti-sionisme. Or ce dernier peut cacher un antisémitisme masqué. Sous couvert de dénonciation du « sionisme » – mais de quoi parle-t-on ? Du principe d’un état juif ou de l’absence d’un état palestinien à ses côtés ? – , des propos discrètement ou ouvertement antisémites sont formulés à partir des années 1990 par certains défenseurs des Palestiniens membres de l’extrême-gauche. Lors d’une manifestation en faveur des Palestiniens en 2000, sont poussés des cris : « mort aux juifs ». Un an plus tard, la conférence mondiale contre le racisme à Durban se transforme en forum anti-Israélien : dérapages, nouveaux cris poussés par les participants de « mort aux juifs » lors du discours de Fidel Castro, vente des Protocoles des Sages de Sion au stand de la Ligue arabe, etc.
Il faut aussi compter avec l’apparition à partir de cette période des mouvements décoloniaux. Cette nébuleuse identitaire prétend défendre les opprimés à travers une conception victimaire dénonçant l’universalisme et la laïcité, sous couvert de lutte contre l’islamophobie. Elle soutient les « racisés », victimes des « Blancs » et du « racisme d’État » et appelle à rompre avec « l’antiracisme humaniste » qui ignore l’existence des « races ». Elle nie le danger de l’islamisme radical, prône le séparatisme racial et sexuel, et privilégie la question raciale au détriment de la question sociale. Elle gangrène une partie non négligeable de LFI et de l’extrême gauche tout en bénéficiant du soutien de nombreux intellectuels. En 2016, H. Bouteldja, une dirigeante du Parti des indigènes de la République, publie Les Blancs, les Juifs et nous à La Fabrique – un éditeur se réclamant de l’extrême gauche – un livre indigent sur le plan historique, suintant le racisme, le communautarisme et l’antisémitisme. Une réponse à ce livre est refusée par une revue proche du NPA mais H. Bouteldja est soutenue par Danielle Obono (LFI), et plusieurs intellectuels (Badiou, T. Ramadan) qui font porter au CRIF la responsabilité de l’antisémitisme dans notre pays. De l’attentat contre Charlie Hebdo à l’assassinat de Samuel Paty (2020, cette mouvance identitaire participe à la judéophobie consistant à retourner contre les juifs l’accusation de racisme en raison de l’existence d’Israël. Les dérapages antisémites émanant de l’extrême-gauche se multiplient, alors le plus souvent dans l’indifférence. Ainsi, un ancien dirigeant du NPA, Gérard Filoche poste en 2017 sur son blog – certes, pour peu de temps – un message montrant E . Macron, portant un brassard nazi avec, en compagnie de J. Attali, P. Drahi, J. Rothschild, sur fond de drapeaux nord-américain et israélien. A partir de cette année de nombreuses allusions sont faites associant Macron à Rothschild, reprise du mythe des Rothschild, grand classique de l’antisémitisme depuis le XIXe siècle.
La responsabilité de Mélenchon
Rien n’était écrit par avance : jusqu’aux années 2010, il est impossible de trouver chez Jean-Luc Mélenchon un quelconque ambiguïté antisémite. Ici il faut prendre en compte un élément qui a concerné et qui concerne encore de très nombreux hommes politiques : leur évolution qui les amène à adopter des positions bien différentes sur de nombreux points. Or Jean-Luc Mélenchon défend un populisme de façon de plus en plus nette. Dès 2010, il publie : « Qu’ils s’en aillent tous », proclame « il faut tout conflictualiser » reprenant les théories disruptives de Chantal Mouffe, sans comprendre que l’agitation des passions ambigües sert bien davantage l’extrême-droite que la gauche. Ce populisme qui dénonce les « élites » opprimant le peuple, renforce cet antisémitisme de façon de moins en moins subliminale. Fin 2019, Jean-Luc Mélenchon explique la défaite de Corbyn aux élections législatives britanniques par l’accusation d’antisémitisme portée contre lui par « le grand rabbin d’Angleterre et les divers réseaux d’influence du Likoud » ; Jean-Luc Mélenchon ne fait ici que reprendre l’image très ancienne des juifs agissant de façon occulte et maléfique. Son populisme contribue à propager l’antisémitisme dans les milieux populaires selon des proportions difficiles à mesurer.
Jean-Luc Mélenchon multiplie ce genre de propos à partir du 7 octobre 2023 qui a évidemment très fortement aggravé le blocage dans laquelle se trouve le conflit israélo-palestinien. Je n’en citerai que trois. Jean-Luc Mélenchon refuse de condamner le Hamas comme une organisation terroriste, puis dénonce la manifestation contre l’antisémitisme du 12 novembre 2023 comme le rendez-vous « des amis du soutien inconditionnel au massacre » (Huffpost, 7 novembre 2023). Enfin, le 2 juin 2024, il qualifie dans un blog l’antisémitisme en France de « résiduel », alors que les actes antisémites ont explosé de 284 % par rapport à 2023, selon le rapport rendu le 27 juin 2024 par la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Avec le mot d’ordre « De la rivière à la mer », la direction de LFI et ceux qui en sont proches défendent l’orientation de la Charte du Hamas appelant à la disparition de l’État d’Israël. A cela, s’ajoute l’amalgame entre les juifs de France et Israël, entre les Israéliens et leur gouvernement, le refus d’inviter des conférenciers israéliens notamment Elie Barnavi, ancien ambassadeur israélien à Paris et défenseur de la création urgente d’un état palestinien ; sans oublier le boycott des universités israéliennes, le plus souvent opposées à Netanyahou et luttant pour la paix. Ce déni du réel de la part de Jean-Luc Mélenchon, qui s’explique par son populisme et sa recherche du vote musulman, nourrit un antisémitisme réel. Il ne tient jamais de propos ouvertement antisémite mais procède par allusions formulées dans un discours subliminal car il sait que l’antisémitisme est puni par la loi. Aussi LFI n’a jamais fait de poursuite sur ce plan, ce qui n’est pas le cas de l’extrême droite dont le racisme envers les arabes et les noirs n’est plus à démontrer.
Mais Jean-Luc Mélenchon n’a pas le monopole de l’indignation. Toute la gauche est horrifiée par la guerre à Gaza et par la politique du gouvernement israélien caractérisée par l’occupation illégale et la colonisation en Cisjordanie ainsi que le refus de trouver une issue pacifique à ce conflit par la solution des deux états. La réponse de Jean-Luc Mélenchon et d’une partie de la gauche radicale à ces questions pervertit les valeurs universelles et laïques de la gauche. Elle dissémine un antisémitisme virulent, alors que l’extrême-droite est aux portes du pouvoir dans notre pays. Toutefois, il est aussi faux que malhonnête de dénoncer les adhérents de LFI comme des antisémites. Mais beaucoup d’entre eux pensent être immunisés par leur engagement contre ce fléau et ils en sous-estiment donc la progression. Et certains d’entre eux sont au premier rang de la lutte contre l’antisémitisme ; l’un d’eux, Jonas Pardo, est d’ailleurs davantage inquiet à ce sujet par LFI que par le NPA (L’Express, 28 juin 2024).
L’antisémitisme est donc réapparu au sein de l’extrême gauche depuis un quart de siècle, d’abord sous une forme très marginale qui n’a cessé de ensuite de progresser : jusqu’où ira cette évolution ? La majorité de la gauche a pris du temps pour prendre conscience de cet antisémitisme, souvent masqué par les déclarations antisionistes virulentes du leader de LFI et les dérapages d’une partie l’extrême-gauche autour du NPA. Or l’antisémitisme est toujours injustifiable et il n’en existe pas d’expression de « gauche » qui serait moins dangereuse que celle de « droite » : il ne mérite aucune complaisance. Il est pourtant manipulatoire de dénoncer la gauche comme antisémite : en conséquence d’une telle allégation, il faudrait voter pour le Rassemblement national, comme le préconisent, L. Ferry, A. Finkielkraut et S. Klarsfeld… Répétée en boucle une telle affirmation sert à faire oublier, je le répète, la responsabilité infiniment plus ancienne et importante de la droite et surtout de l’extrême droite en matière d’antisémitisme. Par ailleurs, l’extrême-gauche et LFI où les désaccords se multiplient ne représentent pas toute la gauche, très loin de là : ce qui est le plus bruyant n’est pas nécessairement le plus important.
Un dernier mot. A l’exception de l’affaire Dreyfus, aucune crise politique ou sociale survenue dans notre pays depuis la Révolution de 1789 n’a mis à ce point les juifs au devant de la scène. Accuser d’antisémitisme le Nouveau Front populaire permet de le renvoyer aujourd’hui dos à dos avec le Rassemblement national. Cette stratégie a été employée par de nombreux responsables politiques, à commencer le Président de la République. Reposant sur la malveillance et l’ignorance, elle risque d’ouvrir au Rassemblement national l’accès au pouvoir. Elle permet à des députés RN de gagner grâce à des triangulaires. La gauche n’en doit pas moins balayer aujourd’hui devant sa porte. Parmi toutes les tâches auxquelles elle doit s’atteler, la lutte contre l’antisémitisme et le racisme, notamment anti-arabe, ainsi que la défense de l’universalisme et de la laïcité sont des priorités.
3 juillet 2024
Michel Dreyfus, historien (CNRS),
Pour aller plus loin :
Michel Dreyfus L’antisémitisme à gauche (1830-2009). Histoire d’un paradoxe, La Découverte 2009, réédition augmentée, 2011.
Pierre Birnbaum, Sur un nouveau moment antisémite : « Jour de colère », Fayard, 2015.
Robert Hirsch, La gauche et les juifs, Le Bord de l’eau, 2022.
La crise de la gauche, sous la direction de Michel Dreyfus, Hermann, 2022.
Jean-Pierre Filiu, Comment la Palestine fut perdue et pourquoi Israël n’a pas gagné, Seuil, 2024.
Sur ce blog
Interview de Michel Dreyfus, historien des mouvements sociaux : La sociale Vive la sécu !
Moi qui ai suivi et adhéré aux idées de Jean Luc Méclanchon en 2012, je suis aujourd’hui attérée par ses prises de position et celle de LFI sur la question de l’antisémitisme. L’article démonte bien cet antisémitisme rampant, par clientélisme et au nom de la cause palestinnienne
Ils n’auront plus ma voix, ni celle de nombre de mes amis