Durant notre voyage à Athènes en novembre 2015 avec le SMG et l’USP à la rencontre des solidarités grecques, nous avons rencontré une ergothérapeute de l’hôpital Dafni dans le café autogéré de l’hôpital qui fait partie d’une expérience dont le personnel soignant est très fier.
Notre petite délégation s’avance dans l’enceinte de l’hôpital ; des pavillons de deux étages sont disséminés dans un parc parmi les palmiers, les eucalyptus et les aloès. Quelques fleurs par-ci par-là le long des allées. Des tas de graviers témoignent de travaux en cours… ou en attente de jours meilleurs.
Nous apprenons que l’hôpital Dafni, situé à la périphérie d’Athènes, est l’un des deux seuls hôpitaux psychiatriques qui subsistent dans la ville. Un troisième se trouve à Salonique. On voulait les fermer, mais les structures alternatives n’ont pas été créées.
Le café est dans une partie reculée du parc. Il est constitué de plusieurs bâtiments en bois complètement construits et aménagés par des bénévoles et des patients sans aucune aide de la part des services nationaux ni même de celle de techniciens ou de spécialistes. Athina, l’ergothérapeute qui a été à l’initiative de leur création, précise :
« Nous avons travaillé avec des outils de professionnels. Heureusement, par chance, nous n’avons pas eu d’accidents. Il y a eu quelques chutes du toit au cours des travaux. On ne savait pas comment faire le mélange pour le ciment et on y est allés à mains nues. Finalement, après quelques années, la construction a pu être achevée. Ce sont toujours des patients qui travaillent ici, qui ont été hospitalisés ici, qui par la suite sont rentrés soit chez eux, soit dans des appartements associatifs, soit dans des foyers. Ils sont rétribués par les recettes du café. Chaque tour de garde de présence des gens est sous la responsabilité de l’un d’entre nous. Pendant toutes ces années de fonctionnement, nous n’avons jamais fermé ni le bureau de l’administration, ni la caisse. Les patients ont les clés et ils connaissent le code du système d’alarme. Notre premier outil thérapeutique, c’est notre confiance dans le personnel, et bien sûr si le patient n’arrive pas à gérer, on lui demande de se retirer, mais nous ne mettons pas de cadenas sur la caisse. Nous n’avons jamais eu de problèmes graves ou importants avec les patients qui gèrent l’endroit. Notre but initial était que cet endroit devienne une structure éducative. Et de fait, après leur passage ici, nous avons réussi à réinsérer professionnellement un petit groupe de patients. Maintenant, on ne peut pas dire que nous ayons des programmes et des objectifs, simplement nous survivons. Mais nous continuons à fonctionner comme groupe. Les pourboires sont mis en commun et ça nous permet de faire la cuisine et de manger ensemble. Nous soutenons tous les gens que nous pouvons soutenir, tous ceux qui travaillent ou qui sont en difficulté, y compris des patients qui sont en ambulatoire. Nous sommes particulièrement contents que ce lieu ait pu fonctionner pendant une vingtaine d’années. Ça ne rappelle pas l’asile. On essaie de faire au mieux et de faire face… Les effets bénéfiques sont évidents. Beaucoup de patients n’ont pas du tout connu de rechute au cours de ces quinze dernières années et pour nous c’est extrêmement important, et surtout nous n’avons pas eu d’incident grave. Un jour, je travaillais avec un groupe d’une dizaine de patients, j’ai confié une scie électrique à l’un d’eux et je l’ai vu arriver un petit moment plus tard tenant sa main d’où un flot de sang s’écoulait. Heureusement la coupure n’avait pas atteint l’os ! »
Après cet historique, l’ergothérapeute répond à nos questions.
L’un d’entre nous veut savoir si les soignants fréquentent le café et quelle est l’échelle des salaires des employés de l’hôpital.
« Le café n’est pas réservé aux seuls patients. Il est également fréquenté par le personnel soignant. Parfois, il nous arrive de manger ensemble. Mais très souvent, le médecin et le personnel n’ont pas le temps de venir jusqu’ici, alors, ils commandent des cafés et on les leur apporte dans les pavillons. Il y a deux autres lieux dans cet hôpital qui ne fonctionnent pas exactement comme ici. Ce sont des sortes de cafés ou de cantines. Là aussi, des patients y travaillent. »
« La rémunération des patients tourne autour de 500 Euros. Nous, les ergothérapeutes, nous avons une rémunération de 1000 euros, parfois ça peut atteindre 1500. Je suis soignante. J’ai un diplôme d’éducation spécialisée, je travaille dans un programme de réhabilitation et je m’occupe aussi de foyers, d’appartements thérapeutiques. Quand on a démarré, les conditions étaient beaucoup plus difficiles, on n’avait pas de marge de manœuvre pour faire tout ce qu’on a fait, c’est-à-dire les groupes de soutien, les groupes de parole, le soutien aux structures intermédiaires, etc. Je me souviens qu’à l’ouverture du premier appartement thérapeutique, un patient avait quarante ans d’hospitalisation derrière lui, un deuxième en avait trente, un autre en avait vingt-cinq. Et l’appartement dans lequel ils habitaient appartenait à l’hôpital. Ils ont réussi à vivre sans rechute et sans problème majeur. Aujourd’hui, avec la crise, nous n’avons pas l’intention de fermer mais c’est vrai que nous avons des difficultés. Nous ferons tout pour que cet endroit ne ferme pas. »
Nous voulons savoir quels sont les patients qui viennent ici. Sont-ils désignés ? « Le patient peut faire la demande lui-même, il peut venir de lui-même à sa demande ici ou ça peut être un professionnel soignant, psychologue ou psychiatre qui lui propose de venir, qui l’incite à venir ici. En fait les gens viennent ici travailler. Nous réglons les choses ensemble, nous n’avons pas institutionnalisé de groupe, de collectif pour fonctionner. Nous n’avons pas souhaité que l’on fasse des réunions de façon formelle, des réunions avec des choses qui se redisent et se répètent. »
L’ergothérapeute tient à nous donner un exemple pratique de l’approche qui est la leur. « Un jour, il y a une personne qui est venue et qui m’a dit : “Écoutez, Madame, il faut que je vous dise qu’à l’instant où je vous parle, j’entends des voix”. Et je lui ai dit : “Écoutez, ici il n’y a que ma voix que vous devez entendre, alors prenez ce plateau et allez travailler !” Je n’ai pas fait appel au médecin, je n’ai pas fait appel à la psychologue parce nous collaborons les uns avec les autres, nous n’avons pas mis de murs entre les services et les pavillons. C’est notre façon d’aborder les choses. Il y a des patients dans ce café qui sont en hospitalisation d’office ou même qui ont été condamnés pour des crimes ou des délits graves et nous n’avons pas de problèmes particuliers avec ça. Nous pouvons même témoigner au tribunal du fait que les choses se passent bien et ça peut aider au rétablissement du patient. »
Après cet entretien, on nous offre du café, du thé et des biscuits, servis par les bénévoles et les patients : « On ne savait pas que vous veniez, sinon on vous aurait fait du feuilleté au fromage ! »
Tout cela nous montre que les psychiatres et le personnel de ce secteur ont une visée sociale et humaine qui s’est avérée très efficace.
Mais comme l’avoueront d’autres soignants, cette approche thérapeutique est malheureusement minoritaire et en régression.
Propos traduits par Alexis Karacostas et recueillis par Malou Combes
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