La démocratie est en danger en Pologne. Après les droits des femmes, l’indépendance des juges, celle des journalistes. Et le désespoir des polonais face à leur impuissance s’accroît. En témoigne une tragédie récente: jeudi 19 octobre dernier, dans le centre – ville de la capitale, Varsovie, face au palais gouvernemental, un homme a tenté de se donner la mort par le feu, en s’immolant aux sons d’une chanson, « Kocham Wolność » (« J’aime la liberté ») qui est souvent jouée lors des manifestations antigouvernementales dans les villes polonaises. Il a été « sauvé » provisoirement par des passants au moyen d’extincteurs. L’homme a été pris en charge par des médecins mais est décédé peu après. Des milliers de personnes ont assisté à son enterrement.
Il s’appelait Piotr Szczęsny, « l’homme gris ». Il était chimiste, père de trois enfants, désespéré de voir son pays bafoué et opprimé par un parti tout – puissant.
Voici la lettre qu’il a adressée aux journaux polonais avant son geste.
1. Je proteste contre ce gouvernement qui restreint la liberté civile.
2. Je proteste contre ceux qui nous gouvernent et violent les règles de la démocratie. En particulier parce qu’ils détruisent (dans les faits) le Tribunal constitutionnel et le système des tribunaux indépendants.
3. Je proteste contre ce gouvernement qui enfreint la loi, en particulier la Constitution de la République de Pologne. Je proteste contre ceux qui sont responsables (en particulier le président) et veulent prendre toutes les mesures possibles pour changer la Constitution actuelle – en commençant par ne pas la respecter.
4. Je proteste contre une méthode de gouvernement qui signifie que les personnes qui occupent le poste le plus élevé dans le gouvernement n’exécutent que des ordres provenant d’un Centre non identifié de décision appartenant au parti Droit et Justice (PiS). Ces personnes n’ont jamais à assumer la responsabilité de leurs actes. . Je proteste contre le style de travail à la Diète (Parlement polonais). Les projets de loi sont bâclés, sans discussion, sans consultation, très souvent traités au milieu de la nuit, si bien qu’il faut ensuite les refaire, presque immédiatement.
5. Je proteste contre la marginalisation de la Pologne sur la scène internationale et contre le fait qu’on la transforme en sujet de moquerie.
6. Je proteste contre ceux qui ruinent la nature, en particulier ceux qui devraient la protéger (à savoir : la destruction de la forêt Białowieża et d’autres réserves naturelles précieuses, le favoritisme envers le lobby des chasseurs, la promotion de l’énergie du charbon comme énergie).
7. Je proteste contre la division de la société, le renforcement et l’approfondissement de ces divisions. En particulier, je proteste contre la construction de la «religion de la tragédie de Smoleńsk» et la division du peuple sur cette base. Je proteste contre les projections de haine, que nous voyons lors des commémorations mensuelles de Smoleńsk à Varsovie. Je proteste contre le discours de haine et la xénophobie, que ce gouvernement a introduit dans le débat public.
8. Je proteste contre le l’attribution de tous les postes à des personnes du PiS qui sont largement non qualifiées pour faire ce qu’elles sont choisies pour faire.
9. Je proteste contre le dénigrement, qui répand la boue et détruit des autorités telles que Lech Wałęsa ou les anciens présidents du Tribunal constitutionnel.
10. Je proteste contre la centralisation du pouvoir et l’évolution des lois qui concernent les gouvernements autonomes territoriaux et les organisations non gouvernementales, pour satisfaire les besoins de ceux qui dirigent le parti au pouvoir.
11. Je proteste contre l’attitude hostile à l’encontre des immigrés, contre la discrimination envers les minorités, les femmes, les homosexuels (et autres LGBT), les musulmans et autres.
12. Je proteste contre la perte absolue de capacité de la télévision publique et de presque toutes les radios publiques, qui ont été transformées en organes de propagande de ceux qui sont au pouvoir. Et surtout contre la destruction de la radio publique Trójka (3) que j’ai écoutée depuis que j’étais jeune.
13. Je proteste contre l’utilisation des forces spéciales, de la police et du ministère public pour leurs propres intérêts (politiques ou personnels).
14. Je proteste contre la réforme irréfléchie, non-consultée et non préparée du système éducatif.
15. Je proteste contre l’ignorance des besoins de masse du système de santé.
J’aurais pu mentionner davantage de points sur lesquels je proteste contre ce gouvernement, mais je voulais me concentrer sur ceux qui sont les plus importants, qui sont préjudiciables à l’existence et au fonctionnement de tout l’État et de la société.
Je ne fais aucun appel aux autorités actuelles, car je pense que cela n’aboutirait à rien. Beaucoup de gens plus sages et mieux connus que moi, ainsi que de nombreuses institutions polonaises et européennes ont déjà appelé ce gouvernement à diverses actions, et invariablement ces appels ont été ignorés et l’appelant a été seulement bombardé de boue. Je serai probablement bombardé de boue aussi, mais au moins je serai en bonne compagnie.
D’un autre côté, j’aimerais que le président du PiS et toute la nomenclature du PiS reconnaissent que ma mort les condamne directement et qu’ils ont mon sang sur les mains.
J’appelle tous les Polonais qui décident qui gouverne en Pologne à s’opposer à ce que fait le pouvoir actuel et c’est pourquoi je proteste. Et ne vous laissez pas berner par le fait que de temps en temps les activités des autorités semblent s’adoucir et qu’il y a alors une apparence de normalité (comme récemment). Dans quelques jours ou semaines, ils continueront leur offensive, ils enfreindront à nouveau la loi. Ils ne reculeront jamais et ne rendront pas pas ce qu’ils ont déjà obtenu.
C’est un dicton assez démodé, mais c’est très approprié ici : Qui sinon nous? Qui – sinon les citoyens, peut nettoyer notre pays? Si ce n’est pas maintenant c’est quand? Chaque moment de retard rend la situation dans le pays de plus en plus difficile et il sera de plus en plus difficile de tout régler.
Tout d’abord, j’exhorte les partisans du PiS à se réveiller – même si vous aimez les postulats du PiS, tenez compte du fait que tous les moyens de leur mise en œuvre ne sont pas acceptables. Mettez vos idées en pratique dans le respect de la loi démocratique, pas comme vous le faites aujourd’hui.
Ensuite j’appelle à l’action ceux qui ne soutiennent pas le PiS, parce que la politique leur est indifférente ou qu’ils ont d’autres préférences, il ne suffit pas d’attendre pour voir ce que le temps va apporter, il ne suffit pas d’exprimer votre insatisfaction dans votre cercle d’amis. Vous devez agir. Il y a beaucoup de formes et de possibilités pour le faire.
Rappelez-vous, cependant, que l’électorat PiS sont nos mères, frères, voisins, amis et collègues. Il ne s’agit pas de faire la guerre avec eux (c’est ce que le PiS veut) ni de les «convertir» (parce que c’est naïf) mais de faire en sorte que leurs opinions restent conformes aux lois et aux principes de la démocratie. C’est peut-être suffisant si vous changez la direction du parti.
Moi, un homme ordinaire comme vous, je vous appelle tous – n’attendez plus! Nous devons changer ce pouvoir le plus tôt possible avant qu’il ne puisse complètement détruire notre pays, avant qu’il ne nous prive complètement de la liberté. Et j’aime la liberté par-dessus tout.
C’est pourquoi j’ai décidé de faire cette auto-inflammation et j’espère que ma mort ébranlera la conscience de beaucoup de gens, que la société se réveillera et que vous n’attendrez pas que les politiciens fassent enfin quelque chose – parce qu’ils ne le feront pas!
Réveillez-vous! Ce n’est pas encore trop tard!
Tłumaczenie i tekst – MS et MW
Pour aller plus loin
• Version originale du texte en polonais
• Version du texte en anglais
• Deux articles sur les mobilisations en Pologne en 2016 sur ce blog :
Le bras de fer des femmes polonaises contre le gouvernement du PiS
Démocratie polonaise en danger ? Rencontre avec une militante du KOD
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