Alors qu’un grand mouvement anti-corruption s’est manifesté en Roumanie, l’affaire Pénélope Fillon est venue à son tour rappeler les manquements à la démocratie au cœur de notre système politique et les privilèges de la classe au pouvoir. Dans ce contexte, le mouvement de la nuit debout s’est réveillé et a invité ceux qui veulent s’y attaquer, à se rassembler, le 19 février, place de la République. Curieuse de voir l’impact que cette annonce aurait, je me suis rendue à ce rendez-vous.
Un millier de personnes était déjà rassemblé tandis qu’une des organisatrices rappelait les règles de fonctionnement de ce forum. Une vingtaine de personnes a pris la parole : beaucoup de jeunes, qui pour la première fois s’exprimaient en public.
— La première intervention rappelle le fonctionnement de notre démocratie dans laquelle
les citoyens donnent mandat à leurs représentants pour décider en leur nom mais les professionnels politiques sont majoritairement issus de Sciences Po, et de l’ENA, et donc de la sphère haute de la société et ceux-ci font des lois pour protéger leurs propres intérêts plutôt que de s’intéresser aux préoccupations du peuple. Alors que les couches aisées de notre société représentent environ de 10 à 15 % de la population, l’Assemblée nationale est constituée à 90 % de cette catégorie sociale [1]. Une proposition : faire reconnaître le vote blanc qui n’est ni reconnu ni comptabilisé dans nos votes, pas plus que l‘abstention.
— Une deuxième intervention évoque les propos récents de François Fillon qui, après avoir admis qu’il avait fait une grossière erreur, a insisté pour dire que tout cela était parfaitement légal !
Mais cette légalité ne l’est pas pour nous et l’argent pourrait être utilisé au profit des professeurs des écoles ou des infirmières ou pour augmenter les revenus des bas salaires. On pourrait aussi faire plafonner les hauts salaires à 5 000 euros. L’orateur rappelle que la démocratie athénienne, souvent prise comme modèle, a organisé démocratiquement l’esclavage.
— Plus radical, l’intervenant suivant exhorte l’assemblée à prononcer le licenciement collectif des dirigeants, tout en soulignant le fait que la corruption ne se limite pas aux seuls élus. Elle touche aussi les fonctionnaires dans les ministères de la santé, de la justice qui instaurent la loi du silence pour se protéger, mais, a-t-il soin de rajouter, il remercie ceux parmi eux qui se lèvent pour dire stop à l’omerta. Il suggère de tirer au sort de nouveaux représentants parmi des volontaires.
— Moins sérieuse, Marie dans un trait d’humour et manifestant une empathie pleine d’emphase, se dit représentante du « Comité des assistants parlementaires victimisés » et dans un vibrant appel demande la libération de Pénélope.
— Pour Khaled, la France n’est pas à proprement parler une démocratie car les candidats choisis le sont par les médias tenus par des milliardaires. Les politiciens n’ont jamais voulu que le peuple gouverne.
— Le suivant invite à cesser de discuter et à agir : il propose de manifester clairement la volonté de mettre fin à la corruption et de demander aux organisateurs de préparer une marche sur l’Assemblée nationale et dans ce but, de mettre en place une page sur Facebook et organiser des rencontres avec les syndicats.
— Une femme informe que, le jeudi précédent, une modification a été portée, à une loi concernant les délits financiers, ramenant les délais de prescription à douze ans et qu’ils sont désormais associés « aux délits de vol de mobylette ou de fromage ».
Cet amendement doit être retiré, insiste-t-elle.
— Christophe G intervient et se présente comme élu des Hauts-de-Seine et à l’initiative d’une pétition « Pénélope, remboursez-nous ! » (Applaudissements).
Pour lui le fait que malgré les 400 000 signatures qu’a obtenues cette pétition, les politiques ne répondent pas est un signe du dysfonctionnement de notre démocratie.
Il conseille d’éviter d’être partisan et de ne pas abonder dans le jugement de tous pourris un peu trop souvent porté, arguant lui aussi du fait que la corruption n’est pas une question de personne, mais une question d’organisation de la démocratie et il demande que les candidats rajoutent dans leur programme des mesures pour le contrôle citoyen.
— Arnaud appuie Christophe et dans la même veine affirme que restaurer la confiance dans les élus est bien ce qui est recherché dans cette assemblée ; il suggère que pour faire valoir l’énergie constructive pourquoi ne pas utiliser l’outil du référendum d’initiative partagée.
— Le suivant invite à une mobilisation le dimanche 26 février à 15 heures sur le thème de « nos droits contre leurs privilèges ».
— C’est au tour d’une représentante du groupe « Debout convergence des luttes » de la LSF (Langue des signes française) de demander que la LSF soit inscrite dans la constitution. Elle suggère que « l’argent de Pénélope » soit utilisé pour promouvoir l’égalité dans la communication vis-à-vis des malentendants.
— Le suivant ne désespère pas des élus et propose de se réunir place de la République tous les dimanches jusqu’aux élections afin que des mesures claires soient prises pour que justice soit faite et pour que la circulation des élites et leur renouvellement se fassent véritablement.
— Un autre, convaincu que la corruption n’est pas une histoire de personne mais de système invite à s’intéresser au mouvement d’Alexandre Jardin et à la mise en place d’une parité sociale en tirant au sort un panel de citoyens, les élus garderaient le salaire qu’ils avaient au travail, ainsi toutes les classes seraient représentées.
— Louis Georges qui est à la rue, demande une assistante sociale pour qu’elle l’aide à constituer son dossier.
— Fouad, dont c’est la première prise de parole en public, cite un documentaire qui lui a ouvert les yeux sur la connivence entre les politiques, les industriels, les banquiers et les syndicats : les nouveaux chiens de garde et il cite l’exemple de l’Islande qui était en banqueroute et qui a condamné des banquiers à la prison sans sursis. Il rappelle la loi financière de 1973 et propose un décodex [2] inversé et de voter les lois directement par référendums puisqu’on en a les moyens technologiques et financiers, un système démocratique de vote citoyen des lois.
— Un jeune homme prend le micro et manifeste sa joie de se retrouver sur la place de la République ; il appelle à une démocratie directe, car, dit-il, aujourd’hui nous ne sommes pas citoyens, ne sont citoyens que ceux qui décident ! Et il appelle à multiplier les assemblées de citoyens pour construire une république des assemblées avec des conseils de travailleurs, des conseils d’habitants, et des élus mandatés et révocables.
— C’est au tour de Christelle qui a révélé dit-elle la fraude immobilière d’une société de chemin de fer qui a vendu, sans que les habitants le sachent, tout un quartier à la ville de Paris ; action qui a été suivie d’un relogement par la ville de Paris, à l’exception d’une famille qui se retrouve à la rue alors même que la maire de l’arrondissement est partie à la retraite à 52 ans et qu’elle avait 4 mandats.
— Camille qui est membre de la « coordination Nuit debout à la République » propose d’écrire les règles du jeu de la VIème république, de les écrire sur toutes les places de France puisqu’on n’est pas d’accord avec les règles qui permettent la corruption. Faisons des assemblées constituantes sur nos places pour faire émerger des jurys citoyens, en tout cas tirer au sort nos représentants.
Il annonce les dates des 31, 32 et 33 mars sur les places où il y aura des Internuits debout – le 22 avril, la veille du 1er tour des élections, il y aura ce qu’on appelle le premier tour social – le 23, il y aura aussi Jour debout.
Il donne l’adresse de l’assemblée de la coordination acparisrepu@listriseup.net
— Nicolas, après avoir témoigné de ses difficultés à son arrivée à Paris et de son expérience de SDF, dit sa reconnaissance à Nuit debout où il a trouvé de vraies gens qui lui ont fait beaucoup de bien alors qu’il était au bord du suicide, des gens qui ont beaucoup de cœur.
— Sophie, une ancienne de Nuit debout, évoque la longue lutte contre la loi El Khomri. L’idée aujourd’hui, dit-elle, est de lancer un grand mouvement pour dénoncer ce qui se passe, un mouvement pacifique, déterminé, sans violence.
Elle doit accoucher le 1er mai. Ce bébé est un bébé Nuit debout et elle espère que nous allons pouvoir marcher sur l’Assemblée nationale sans être tabassés parce que c’est notre devoir d’être là. Exigeons de l’État la mise en place d’états généraux pour créer, inventer un nouveau système politique avec toutes les idées déjà proposées, un système anti-corruption, transparent, avec tirage au sort. Soyons des millions à descendre dans la rue !
— Le collectif du 23 avril, à l’initiative d’une action artistique commencée dès 2012, propose de tourner le dos à la classe politique et de comptabiliser les votes blancs. Il propose également le mandat unique et impératif.
Pour montrer qu’on ne se sent plus représenté par eux on leur tourne le dos de façon symbolique. Faites-vous photographier sur un fond blanc et postez la photo sur notre galerie internet ! Évidemment vous pouvez aussi imprimer votre photo et la mettre sur les panneaux électoraux. Ce sont les partis qui s’expriment, les citoyens qui regardent et qui écoutent. Inversons les choses ! Tournons le système et affichons notre indignation !
— Un membre anonyme de Radio Bougeons explique qu’à la suite de l’agression de Théo on a voulu diviser les gens des banlieues mais qu’il importe de rester unis, de résister et de faire changer ce système.
— Sur le mode de l’humour l’intervenant suivant félicite les frères et sœurs de tous les peuples et appelle à la révolution sans haine sans violence. Il y a eu échec contre la loi El Khomri mais une réussite en Roumanie contre le décret du gouvernement sur l’impunité des élus. Il invite à rejoindre l’opération Anonymous crescendo contre l’injustice [3] le 25 février au Trocadéro.
— Emmanuel, pour manifester contre la corruption, propose de porter en brassard le drapeau roumain, de demander symboliquement la démission d’Urvoas qui est à l’origine de toutes les lois d’impunité récentes et de lancer une opération, un avion pour les Fillon, financé par une quête publique sur les marchés. À la suite de quoi on pourrait agir de même avec tous ceux qui ont trahi la confiance du peuple.
— Valérie annonce que depuis une semaine, quarante villes se sont lancées dans la mobilisation contre la corruption, que des tracts sont prêts et des contacts ont été pris avec un leader roumain pour une mobilisation européenne ainsi que l’opération Anonymous crescendo au niveau mondial.
— Virgile prend le micro et lit d’une voix forte et assurée un texte qu’il a préparé et qui rappelle les devoirs qui devraient être ceux des hommes politiques. S’engager en politique devrait faire appel à des valeurs nobles : se soucier du bien d’autrui, vouloir le meilleur pour la majorité.
Mais, prévient-il, ne soyons pas bêtes. La satisfaction universelle n’existe pas. Il faut faire don de soi en politique. On ne peut pas se donner quand on veut servir ses intérêts. La volonté de s’impliquer dans la vie de la cité si l’on remonte à l’origine de la démocratie des Grecs, a laissé place au désir de carrière.
— Julien à son tour salue les Roumains qui ont réussi à gagner contre la corruption, l’Anti-cor qui a réussi à faire condamner Jacques Chirac et Sauvons les Riches qui a obtenu la levée de l’immunité parlementaire de Serge Dassault.
Il exhorte les présents à le rejoindre pour faire le ménage notamment renvoyer les Sarkozy, Balkany, Ceccaldi, Tibéri, Andrieux, Guérini mais aussi pour soutenir ceux qui sont exemplaires, tel François Ruffin qui s’engage sur la révocabilité des élus, sur la transparence et sur les indemnités.
— Le suivant rappelle que les députés sont nos employés et qu’un employé qui présente une note de frais est remboursé sur justificatifs. Ce n’est pas normal qu’à l’Assemblée ce soit 7 000 euros sans justificatif. En Angleterre, au Parlement européen, c’est sur justificatif.
Il propose de fixer l’ordre du jour du prochain bureau de l’Assemblée nationale, qui sera aussi le dernier, à savoir la transparence sur les indemnités, la révocabilité des élus et la transparence pour leurs clients qui sont en conflit d’intérêt. Puis il demande de faire une ovation à Philippe Pascot qui est à l’origine d’une loi contre la corruption après avoir obtenu 1 500 000 signatures sur sa pétition.
Les gens au pouvoir doivent avoir des règles au-dessus d’eux, écrites par les citoyens et non par ceux qui font les lois. Ces règles c’est la Constitution. Ce n’est pas aux gens de pouvoir, d’écrire les règles du pouvoir. Je vous invite, chacun de votre côté, à faire des petits ateliers sur la constitution. À deux, à trois, à cinq. C’est dans la constitution que se déterminent les pouvoirs, que se décide si c’est le peuple qui aura le pouvoir ou si c’est une minorité ou une oligarchie.
— Hubert manifeste son plaisir de voir tout ce monde et félicite en particulier les chevilles ouvrières, ces deux personnes qui sont là tous les dimanches et il rappelle qu’un peuple qui élit des imposteurs, des renégats, n’est pas victime mais complice.
— Alexis évoque une date de l’Histoire de France qui lui tient à cœur, la nuit du 4 août qui a vu l’abolition des privilèges par l’Assemblée constituante. Il suggère que ceux qui n’auront pas envie de voter, mettent quand même un bulletin dans l’urne avec la mention nuit du 4 août.
On devrait célébrer le 4 août. Et faire démarrer une nouvelle constituante par cette exigence.
D’autres interventions sont inaudibles mais j’en entends une : c’est un ancien électeur du FN, ancien policier, dont les yeux se sont ouverts grâce à la lecture du livre de Philippe Pascot [4]. Le peuple doit se lever. Il insiste sur les points qui relient tous les présents, en particulier la volonté de changer de système et recommande de ne pas se disputer pour des broutilles parce que tous sont égaux.
On a envie d’y croire, on a envie de voir toutes les places de la République occupées par des ateliers de citoyens dont les forces se conjuguent sur des points aussi sensibles que la suppression des privilèges. Avec cette conscience que les personnes sont souvent un rouage dans une machine complexe dont il n’est pas aisé de réglementer le bon fonctionnement, mais dont on peut à tout le moins limiter la liberté de faire prévaloir ses propres intérêts aux dépens de l’intérêt général.
On se prend à rêver à une assemblée qui redistribuerait les cartes dans un ordre plus conforme aux valeurs affichées au fronton de nos écoles et de nos mairies.
Mais comment articuler cela avec la campagne électorale en cours ?
Malou Combes
1. Alors qu’il y a 20 % d’ouvriers dans la société française aucun député n’est issu de ce milieu
(France culture les matins – 24 mars 2017).
2. Décodex : outil mis en ligne par Le Monde pour aider à vérifier les informations et les rumeurs qui circulent sur Internet.
3. Opération Anonymous crescendo 2017 contre l’injustice : action menée dans le but de dire stop à la loi du silence et du mensonge ; notamment, la disparition d’Éliane Kabyle décédée à l’hôpital dont on n’a pas retrouvé le corps alors même que l’enquête a montré qu’il y avait eu plusieurs actes de décès pour une seule personne révélant ainsi des trafics d’organes, en hôpital public.
4. Philippe Pascot, auteur du livre Pilleurs d’État.
Laisser un commentaire