Le réchauffement climatique fait bouillir les esprits responsables ! Les sécheresses, méga-incendies et pluies diluviennes sont de plus en plus fréquents, si bien que plus personne (ou presque) ne doute désormais que la Terre ne tourne plus rond. L’activité humaine depuis deux siècles a détraqué l’équilibre des saisons et enveloppé notre globe d’une couverture qui empêche la chaleur de se dissiper dans l’espace. Haro sur le gaz carbonique (le CO2) mais aussi le méthane (CH4) et d’autres gaz inopportuns ! Comment faire rentrer le vilain génie du CO2 dans la bouteille de la raison ? Telle est la question à laquelle deux publications apportent des réponses passionnantes et controversées. Voyons le côté MICro, ce que chacun de nous peut ou doit faire, puis le côté MACro, à charge de la collectivité.
Le côté Micro est présenté de façon plutôt joyeuse par le récent numéro de La Croix hebdo, rédigé avec l’« Atelier 2 tonnes » : Comment réduire son empreinte carbone (25 mai). Le défi est de taille pour les Français moyens que nous sommes : passer de 9,4 tonnes de CO2 aujourd’hui à 2 tonnes en 2050 ? Nous sommes nettement au-dessus de la moyenne mondiale à 7,7 tonnes qui masque de formidables inégalités : au top, les USA avec 23,9 tonnes, au plancher l’Inde et ses 3 tonnes ; l’Allemagne est à 13,7 (gloutonne en charbon), la Chine à 6,9 (pays dit « émergent »). Un premier constat s’impose : c’est à ceux qui émettent le plus de faire le plus d’effort, les États-Unis plutôt que l’Inde ou le Kenya.
Quelles sont nos consommations qui émettent le plus de CO2 ou équivalent ? Dans l’ordre décroissant, les transports (2,65 tonnes), l’alimentation (2,54 tonnes) le logement (1,93 tonne), les services publics et privés (1,78 tonne) et les équipements (vêtements, digital 0,57 tonne). Sur chacun de ces chapitres, il sera nécessaire d’opérer des changements radicaux et très concrets.
Prenons l’exemple des transports : passer au véhicule électrique (-1,2t), voyager plus proche (-0,5t), pratiquer le covoiturage (-0,5t), développer et utiliser les transports publics (-0,4t), réduire de 10% la vitesse sur les autoroutes (-0,2t), un jour de télétravail par semaine et baisse de 50% des voyages d’affaires (-0,2t). Sur l’alimentation, l’association « 2 tonnes » frappe fort : devenir végétarien (-1,4t), remplacer la viande rouge par de la viande blanche ou du poisson (-0,8t). Sur le logement, il y a aussi de beaux gisements d’économies de carbone : isoler son logement (-0,45t), investir dans une pompe à chaleur (-0,65t), préférer des logements déjà construits plutôt que du neuf (-0,5t), se rapprocher de son travail (-0,5t), économiser la chaleur (-0,2t). Ajoutons les mille astuces de l’économie circulaire : refus des produits jetables ; achats de biens plus durables ; recycler, composter, etc.
En résumé, l’orgue des réductions d’émission de CO2 a de nombreuses touches sur lesquelles nous pouvons jouer simultanément. Encore faut-il en avoir la volonté et les moyens !
Passons de la bonne volonté individuelle à l’engagement collectif, du micro au macro ! Et découvrons le remarquable rapport de Jean PISANI-FERRY et Selma MAHFOUZ qui fait grand bruit ! Ce document a été rédigé à la demande de la Première ministre demandé en juillet 2022, et condense le travail de dizaines d’experts sous la houlette de France Stratégie (avatar du Commissariat au Plan d’autrefois, placé auprès de la cheffe de gouvernement).
En 150 pages serrées et parfois très techniques, Les incidences économiques de l’action pour le climat (France Stratégie, mai 2023) sonnent une sorte de tocsin climatique. Nous ne sommes plus dans l’appel à la bienveillance des citoyens à horizon 2050 mais dans un impératif collectif à horizon 2030. Avec une lucidité quelque peu effrayante, les deux auteurs plaident l’urgence d’une action d’envergure et déroulent les actions nécessaires durant cette décennie de toutes les difficultés (déjà bien engagée).
Il ne s’agit rien de moins qu’une troisième révolution énergétique, après celle du charbon (XIXème siècle) et celle du pétrole (XXème siècle). Elle a deux volets, la sobriété et les technologies vertes. Au passage, le rapport évite le débat sur la relance du nucléaire civil qui, de toute façon, ne serait pas opérationnel en 2030. Un effort massif d’investissement est recommandé qui pose (au moins) deux questions.
On découvre vite que la France, comme ses partenaires, est prise dans un calendrier européen très ambitieux, le Green Deal, sur lequel la Commission, le Parlement européen et les gouvernements ont beaucoup travaillé, avec précision et discrétion. Comment réduire les émissions françaises de carbone d’un tiers entre 2021et 2030, trois fois plus vite que durant les deux décennies précédentes ?
La réponse est claire : la sobriété ne jouera que pour 12 à 17 % de l’effort et il faudra investir et investir beaucoup chaque année : 27 Mds € en plus sur le bâtiment et le tertiaire ; 22 Mds sur les logements (il y a 5 millions de passoires énergétiques) ; 8 Mds sur le secteur de l’énergie, etc. Au total, à l’investissement normal, s’additionneront 66 Mds d’euros par an soit l’équivalent de 2% de la production annuelle (Pib). C’est une somme énorme à mobiliser dans une économie et une société aussi prudentes que les nôtres.
Première question : comment gérer une « transition spontanément inégalitaire » ? Le risque est que les plus aisés se privent au mieux d’une part de superflu (voyages en avion, gros SUV ?) pour financer leurs chantiers d’économies d’énergie, tandis que les plus pauvres seront frappés de plein fouet par la hausse du prix du chauffage et des transports sans pouvoir effectuer les conversions coûteuses vers un mode de vie plus sobre en énergie. Dans une incidente bien intéressante, les auteurs citent la décision allemande d’un double-prix de l’énergie consommée par les familles : un quota minimum vital à prix administré bas, le surplus étant au prix élevé du marché.
Deuxième question : qui va payer ? Les entreprises devront piocher dans leurs profits pour financer leur « décarbonation » mais ne manqueront pas d’appeler l’État au secours ! Les ménages, qui devront investir l’équivalent d’un an de revenu sur les travaux d’isolation, de remplacement du chauffage, de passage à la voiture électrique, ne le feront que s’ils y sont obligés par l’État (c’est déjà fait pour la voiture électrique qui devra passer de 1% à 15% du parc en dix ans, ainsi que pour l’interdiction d’installer des chaudières au fioul !) et si les plus modestes sont financièrement aidés. Le ministre du Budget ne va pas être à la noce : il devra mettre beaucoup plus d’argent sur le climat, tout en perdant des taxes pétrolières qui vont fondre avec la moindre consommation de carburants. La suppression des niches fiscales « brunes » (8 Mds), en clair des détaxations des carburants pour les pêcheurs, les routiers, les agriculteurs et de moindres avantages pour la prospection pétrolière et gazière, sera un exercice à haut risque et de toute façon insuffisant pour couvrir l’addition. Pisani-Ferry et Mahfouz avancent deux solutions.
La première est la dette : les green bonds, ou obligations émises pour financer la transition climatique. L’Union européenne devrait émettre de telles obligations pour financer les États ou les régions qui ont le moins de ressources propres. La France devrait aussi lancer de tels emprunts. S’il est peu judicieux de financer par la dette le fonctionnement courant de l’État, il est bon d’emprunter pour financer les investissements d’avenir pour la transition climatique.
Deuxième ressource : un prélèvement de 5% sur la fortune mobilière (assurance-vie, actions, etc.) des 10 % des Français les plus aisés. 150 Mds d’euros en une fois : une jolie cagnotte pour payer un quart des investissements verts de la décennie ! J’avoue admirer ces deux économistes qui, dans un contexte politique plus que réticent, font une proposition à la fois efficace et juste : taxer la rente pour que nos enfants et petits-enfants puissent vivre mieux et au minimum survivre !
Le ministre de l’Économie a aussitôt poussé de hauts cris : ni dette ni impôts en sus ! La Première ministre, elle, n’a pas renoncé à une vraie planification écologique, dont le rapport Pisani-Mahfouz serait une sorte de mode d’emploi. Quant au Président, il reste sur son Olympe, se bornant pour l’instant à réclamer une pause sur le Green Deal européen (qui, il est vrai, est plus contraignant que des discours même vigoureux à horizon 2050).
Face à ce défi dramatique, le ministre de l’Écologie s’est borné à lancer une opération de communication sur une France réchauffée de 4°C à horizon 2100 ! Avec légèreté ou lucidité, anticipe-t-il une inaction résolue mais éloquente des autorités ? Les 10% les plus aisés préféreraient installer la climatisation dans leurs résidences, acheter un gros SUV frigorifié et continuer à « vacancer » aux antipodes plutôt que de payer une taxe sur le capital financier dont ils ont hérité !
La Convention citoyenne sur le climat, les travaux de Bruxelles et le rapport Pisani-Mahfouz proposent un chemin rude mais viable de transition climatique juste qui, espérons-le, nourrira les débats pour les élections européennes de 2024.
Cet article est constitué de la lettre 1014 Voir loin, agir proche du 26 mai.
Les graphiques sont issus du Rapport Pisani-Ferry.
————————————————- Pour aller plus loin
Les incidences économiques de l’action pour le climat
Téléchargez le rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz
ISF climatique : le nœud se resserre autour de Macron
Article de Reporterre
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