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Les semeuses

18/06/2018 par Michèle Narvaez Laisser un commentaire

Cet article m’a été « commandé » par une revue amie, la Revista 19 de l’université de Brasilia. Il s’agissait de brosser un parcours pédagogique sur les Insoumises du 19ème siècle. J’ai précisé que pour moi ce siècle commençait avec la Révolution française.

En me plongeant dans les parcours de ces insoumises, que j’ai nommées « Semeuses », j’ai été frappée par le fait que, révolutionnaires farouches ou grandes bourgeoises éclairées, toutes avaient une même priorité: le combat pour l’éducation des filles. Combat préalable et nécessaire au combat pour les droits civiques.

Et je m’interroge: certes aujourd’hui, en France tout au moins (ce n’est pas le cas dans de très nombreux pays, et pas des moindres…) l’égalité entre filles et garçons pour l’éducation serait garantie. Mais dans les faits? Voici sans doute une question à poser, pour un prochain article!


En plein cœur du combat communard, où Louise prend toute sa part, cet épisode de musique « barbare » composée sur l’orgue d’une église bombardée, nous donne une idée de l’exaltation révolutionnaire vécue avec joie et sensualité.

 Oui Barbare je suis
 Oui j’aime le canon
 La mitraille dans l’air
 Amis amis dansons

 La danse des bombes
 Garde à vous voici les lions
 Le tonnerre de la bataille
 Gronde sur nous amis chantons

 L’ocre odeur de la poudre
 Qui se mêle à l’encens
 Ma voix frappant la voûte
 Et l’orgue qui perd ses dents

La nuit est écarlate
Trempez-y vos drapeaux
Beaux enfants de Montmartre
La victoire ou le tombeau 

Oui Barbare je suis
Oui j’aime le canon
Et mon cœur je le jette
A la Révolution

D’après un poème de Louise Michel, avril 1871
Extrait de la Cantate pour Louise Michel, Michèle Bernard, 2015

Une iconographie trompeuse

L’iconographie française est généreuse avec les femmes : la République, la Liberté, l’Égalité, La Fraternité, autant de mots féminins qui ont inspiré dessinateurs et graveurs. Les symboles royaux étaient masculins, le visage du roi, le lys. Pour la République, il fallait des symboles féminins.

La première effigie fut la Marianne. Son origine, selon l’une des versions accréditées, remonte à l’année 1792, en octobre, quelques jours après la proclamation de la République. Ce serait un cordonnier-poète, Guillaume Lavabre, qui aurait composé la chanson révolutionnaire La Garisou de Marianne (La guérison de Marianne [1]), en utilisant pour la première fois le prénom Marianne, composé de deux prénoms très populaires, Marie et Anne. La chanson raconte la maladie de Marianne et les soins qui lui sont prodigués, Égalité et Liberté entre autres ! La chanson aurait vite été adoptée. Indépendamment d’elle, sous la Révolution française, apparaissent des allégories de la République et de la Liberté, sous la forme d’une femme coiffée d’un bonnet phrygien [2]. Si l’usage de l’effigie de Marianne se perd sous l’Empire et la Restauration, il revient en force en 1848 [3]. Le gouvernement provisoire de la seconde République lance un concours de représentation pour un nouvel emblème. Deux propositions s’opposent, celle de la Marianne « sage », assise, seins couverts, coiffée d’une couronne d’épis et l’autre plus sociale, cheveux détachés, bonnet phrygien, poitrine découverte, combattante et armée. Cette dernière image prévaudra après la Commune et l’affaire Dreyfus, sous la Troisième République. Aujourd’hui la Marianne est tour à tour représentée sous les deux formes.

La seconde femme qui symbolisa la République fut la Semeuse. Paul Doumer, ministre des finances, demanda à un artiste connu, Oscar Roty, de dessiner une nouvelle symbolique de la République. Ce dernier utilisa un dessin conçu en 1886 pour le ministère de l’agriculture. Les premières pièces de la Semeuse, une femme coiffée d’un bonnet phrygien, connurent dès 1897 un vif succès. La Semeuse est donc une autre Marianne, mais elle avance, sûre d’elle, symbolisant la marche de la République vers un avenir meilleur, dont elle sème les graines sur son passage.

Elle personnifie la liberté, l’énergie, l’optimisme. « Ces semences qu’elle jette généreusement à la terre sont les innombrables idées qui peut-être un jour germeront et lèveront, lorsque nous n’y serons plus », prédit le journal La Liberté du 8 octobre 1898, pour répondre aux attaques dont l’effigie fut la cible : « Que sème-t-elle, cette femme dont le bonnet phrygien dit assez la qualité ? Elle sème le désordre, l’anarchie, l’ivraie, la haine de mensonge et d’immoralité » (Le Moniteur, 28 février 1897). C’est dire que tout n’allait pas de soi à la fin du XIXème siècle, et que, Mariannes ou Semeuses, les femmes allaient encore avoir fort à faire pour gagner leur liberté et leur combat, républicain ou révolutionnaire.

La Révolution française : le moment du féminisme

Si on peut faire remonter à l’antiquité la lutte des femmes pour faire entendre leur voix et défendre une autre vision du monde -qu’on songe à la comédie d’Aristophane Lysistrata, présentée en 411 avant J.C., où l’héroïne persuade ses consœurs de faire la grève du sexe pour convaincre les hommes de cesser de faire la guerre, ce que demanderont, des siècles plus tard, les mères , les sœurs et les épouses des futurs sacrifiés de la Première guerre mondiale ! -, et s’il y eut des femmes assez audacieuses pour réclamer l’égalité des droits (Christine de Pisan, avec sa Cité des Dames, en 1405 ou Marie de Gournay, qui publie en 1622 Égalité entre les hommes, et en 1626  Les Femmes et Grief des Dames, recueils où elle prône l’égalité absolue entre les sexes), c’est véritablement le processus révolutionnaire de 1789 qui ouvre une béance dans laquelle vont pouvoir s’engouffrer les exigences d’égalité et de liberté des femmes. La contradiction en effet est immense, entre la proclamation de l’égalité des individus comme principe universel et l’exclusion des femmes de la citoyenneté. Jusque-là confinées dans l’ombre de la vie domestique, hors du jeu social et politique, leur éveil sera lié directement à la pensée des Lumières et aux événements historiques de la Révolution, ce qui, du coup, les fera entrer dans l’histoire politique. C’est aussi pour cette raison que leur combat sera un combat pour l’égalité des droits. Dès 1787, époque où la revendication égalitaire occupe déjà les esprits, Marie-Armande Gacon-Dufour publie son Mémoire pour le sexe féminin contre le sexe masculin. Condorcet a pour sa part une démarche antithétique à celle de Rousseau pour qui la femme doit se cantonner au rôle de mère et d’épouse [4]. Dans Sur l’admission des femmes au droit de cité (1790), il insiste entre autres sur la nécessité d’une même éducation pour les femmes et les hommes. De fait, dans les premières années de la Révolution, cette admission des femmes au droit de cité sembla ne pas poser de problème.

Il est difficile de distinguer, à l’époque, pratique féminine et pratique féministe, comme le relève Louis Devance [5]. Le mot « féministe » n’existe pas encore (il apparaît en 1837 sous la plume de Fourier). Mais on peut parler de féminisme à propos des citoyennes engagées, qui dès 1789, ont entamé une longue marche pour accéder à la pleine citoyenneté. « Est-ce un hasard si la problématique du droit des femmes réapparaît chaque fois dans le sillage de mouvements politiques et sociaux ? 1789,1830, 1848,1868, 1968, autant de moments où bouleversements politiques et mobilisation féministe coïncident », remarquent Laurence Klejman et Florence Rochefort [6], non sans s’interroger sur la capacité de cette « aspiration collective » à survivre « à la crise qui l’a vue naître ».

En 1789, l’effervescence de la vie quotidienne et des idées, le bouleversement de toutes les normes politiques, religieuses, culturelles, ont constitué un appel d’air immense, et les femmes ont immédiatement prendre part à l’enthousiasme révolutionnaire. Elles ont manifesté, revendiqué lutté, harangué, participé aux débats, envahi les tribunes, rédigés des pamphlets, elles ont risqué leurs vies, se sont vouées corps et âme à la Révolution, souvent au péril de leurs vies. Elles ont porté un espoir, des propositions, des idées, de nature à transformer profondément la société moderne. Elles n’ont pas réussi à se faire entendre.

On peut prendre pour point de départ le 5 octobre 1789 : des femmes se rassemblent en masse à l’Hôtel de Ville, pour interpeller la Commune de Paris sur le manque de pain mais aussi pour réclamer que le roi et l’Assemblée se déplacent à Paris. Peu à peu une foule de milliers de personnes, des femmes en grande majorité, marche sur Versailles. Des hommes de la milice nationale les suivront. Le peuple obtiendra gain de cause.

Mais l’investissement des femmes dans les luttes révolutionnaires les ont conduites à revendiquer l’égalité entre les sexes et à réclamer des réformes destinées à améliorer le sort des femmes et leur place dans la vie sociale et politique. Entre 1789 et 1793, les femmes sont sur tous les fronts, principalement les femmes du peuple ou les bourgeoises, mais aussi quelques nobles, comme Madame de Staël, Madame de Condorcet, Madame de Coicy. Certaines choisissent un pseudonyme ou l’anonymat, comme Madame B*** B***, auteure d’une grand nombre de discours, de propositions et de textes à forte connotation féministe. Elles se constituent en groupes de « dames patriotes », participent par milliers en 1790 à la fête de la Fédération sur le Champ de Mars. Beaucoup s’arment, apprennent le maniement des armes, fondent des groupes d’amazones où elles s’enrôlent, pour faire la guerre « aux ennemis des Français », avec un « mâle courage » – Théroigne de Méricourt et Claire Lacombe recevront la couronne civique de la Commune de Paris pour leur engagement de combattantes, les sœurs Fernig entreront dans la légende des femmes-soldats [7]. Elles siègent dans les premières assemblées du Tiers État, prennent la parole, haranguent le public. Elles créent des clubs : Etta Palm crée la Société fraternelle des patriotes des deux sexes, et, en 1791, le premier club féminin, la Société patriotique et de bienfaisance des Amies de la Vérité. Elles écrivent dans des journaux, multiplient les pétitions, les propositions : pour l’éducation des femmes, pour la création d’un hôpital pour femmes, d’une école d’imprimerie pour femmes, pour l’autorisation du divorce, pour l’égalité devant l’héritage, pour un contrat d’union libre. Au début de l’année 1793 près de 300 femmes constituent l’Assemblée des Républicaines, qui deviendra la Société des Citoyennes républicaines révolutionnaires et exigera que la nouvelle Constitution donne le droit de vote aux femmes. Mme de Genlis écrit en 1791 un Discours sur l’éducation publique du peuple et recommande une éducation mixte. Etta Palm insiste sur la nécessité de « l’influence des femmes dans un gouvernement libre ». Confiantes dans l’émergence d’un nouvel ordre des choses, elles se présentent en « veilleuses » pour préserver les acquis de la Constitution. Elles mettent en cause l’article « Femme » de l’Encyclopédie qui postule que la nature « semble avoir conféré aux hommes le droit de gouverner », ou encore la conception rousseauiste de la différence de nature entre hommes et femmes. Madame de Coicy résume ainsi leur état : « les femmes forment la moitié de l’espèce humaine qui habite le territoire de la France. Depuis des siècles elles ne sont rien dans la nation française ».

« Acceptées dans les tribunes de l’Assemblée et celles des clubs, accueillies comme membres dans certains, invitées à donner leur avis ou à prêter main forte, saluées pour leurs initiatives les plus visibles, entraînées aux armes par des patriotes, les femmes se sont prononcées sur un très grand nombre de sujets », résume l’historienne Éliane Viennot. Leur sentiment dominant est celui de la citoyenneté. C’est lui qui sous-tend la « passion civique dont elles font preuve et qui les conduit à se prononcer (…), à inventer, à se dépasser, à forcer le destin -mais aussi à se plier à la nécessité, à se sacrifier pour le « bien commun »[8].

Revenons rapidement sur la vie et le combat de quelques unes de ces insoumises, les plus illustres.

Olympe de Gouges

 Méconnue pendant des décennies, considérée, avec bien d’autres, comme une « insensée » par les historiens de la Révolution au XIXème siècle, et redécouverte dans les années 1970 (on a même proposé en 1989 que ses cendres entrent au Panthéon, sans succès), Olympe de Gouges marque sans doute un moment important dans l’histoire du féminisme révolutionnaire, d’autant qu’elle a combattu non seulement pour les droits de la femme mais aussi pour ceux des Noirs et des « malheureux ». Née Marie Gouze en 1748 dans un milieu modeste, mariée très jeune puis veuve, pleine d’audace et de rêves de liberté, elle s’installe à Paris au début des années 1770, prend un nom à particule, mène une vie galante, et vit en concubinage (« le mariage est le tombeau de la confiance et de l’amour », écrit-elle dans la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne [9]).
Autodidacte, ne sachant pas écrire mais dictant ses textes, pénétrée de l’esprit des Lumières, elle se lie avec des hommes de lettres, des comédiens, des artistes. Elle tient salon et commence à écrire des pièces de théâtre, sans pour autant accéder à la renommée. Ses thèmes de prédilection : le sort injuste des Noirs dans les colonies, l’esclavage, la bâtardise, le sort des femmes, condamnées au mariage ou au couvent, et en faveur desquelles elle réclame la création d’un hôpital. Mais c’est à partir de 1788 qu’elle se révèle comme une citoyenne engagée : lettres au peuple ou aux princes, pamphlets, discours, qui empruntent souvent le style de l’héroïsme romain et les appels au sacrifice de soi, elle se lance dans une activité débordante. En septembre 1791 elle publie sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, copiée sur celle de 1789, en dix-sept articles, et, un peu naïvement, adressée à Marie-Antoinette, à qui elle demande de s’engager en faveur des femmes. Le Préambule considère « que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements ». L’article 1 postule que « La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits ». Le Postambule en appelle à l’émotion : « Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits (…). Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la Révolution ? ». En 1792, elle attaque violemment Robespierre dans une brochure où elle prédit ses futurs excès. En 1793, arrêtée et condamnée pour ses positions anti jacobines, emprisonnée et maltraitée – on ne soigne pas une blessure qu’elle a à la jambe -, elle en appelle à Danton et à « la majorité saine des bons citoyens » pour la défendre, rédige calmement un testament où elle met en cause le tribunal qui la juge, et meurt courageusement sur l’échafaud, consciente d’avoir servi la cause du peuple.

Théroigne de Méricourt

Fille de paysans belges, placée au couvent, autodidacte, elle est tour à tour dame de compagnie, chanteuse, et surtout aventurière, vivant à Londres, et en Italie. En apprenant la convocation des États Généraux en 1789, elle accourt en France, et fréquente les tribunes de l’Assemblée constituante, vêtue en amazone (ses ennemis la décrivent comme une bacchante sanguinaire en raison de son costume rouge, et lui font une réputation de « catin du peuple »). Installée à Paris, elle tient salon et fréquente des intellectuels.
En 1790, elle crée avec le mathématicien Charles-Gilbert Romme la Société des amis de la loi , puis participe à la création du club des Cordeliers. En août 1790, accusée de projeter l’assassinat de Marie-Antoinette, elle est emprisonnée au Tyrol, puis innocentée et libérée. Elle rentre à Paris et tente de créer une « phalange d’amazones ». Le 6 mars 1792, Pauline Léon présente une pétition signée par plus de trois cent vingt parisiennes pour avoir le droit de former une garde nationale féminine. Vingt jours plus tard, Théroigne de Méricourt invite les citoyennes à s’organiser en corps armé en déclarant : « Brisons nos fers, il est temps enfin que les femmes sortent de leur honteuse nullité où l’ignorance, l’orgueil et l’injustice des hommes les tiennent asservies depuis si longtemps ». Elle réclame l’égalité politique pour les femmes en passant par la demande du port des armes. Elle se range ensuite du côté des Girondins, est prise à partie par des femmes jacobines. Selon Michelet, cette agression serait à l’origine de sa folie, mais on peut aussi imputer celle-ci à la syphilis dont elle est atteinte. Sa famille la fait interner. Elle mourra en 1817 à la Pitié-Salpêtrière après vingt trois ans d’asile.

Pauline Léon

Fille d’artisans, née en 1768, elle suit les activités du club des Cordeliers, et participe avec Claire Lacombe à la fondation du Club des Citoyennes républicaines révolutionnaires, elle s’engage pour l’armement des femmes, combat elle-même (elle semble avoir participé à la prise de la Bastille). Arrêtée en 1794 avec son mari et emprisonnée, elle sera libérée et deviendra institutrice, non sans avoir dénoncé le coup d’état de Bonaparte en 1804. Elle meurt en 1838.

Claire Lacombe

Née en 1765, fille de marchands, elle est une actrice à succès à Lyon et Marseille. En 1792, elle se rend à Paris et y fréquente le club des Cordeliers. Elle prononce à l’assemblée un discours empreint de références à l’histoire romaine : « Née avec le courage d’une romaine et la haine des tyrans, je me tiendrais heureuse de contribuer à leur destruction. Périsse jusqu’au dernier despote, intrigants, vifs esclaves, des Néron et des Caligula, puissé-je tous vous anéantir. » Décorée avec Théroigne pour sa participation à l’assaut du palais des Tuileries, elle fonde avec Pauline Léon, en mai, le club des Citoyennes républicaines révolutionnaires. Peu à peu devenue la cible des Jacobins, elle dénonce à la barre de la Convention, en 1793, l’oppression dont sont victimes les femmes : « Nos droits sont ceux du peuple, et si l’on nous opprime, nous saurons opposer la résistance à l’oppression ». Mais les marchandes de la Halle, un groupe de femmes opposées au club des républicaines révolutionnaires, l’accusent de vouloir les forcer à porter le bonnet rouge. Claire Lacombe se cache, sera arrêtée puis libérée : elle reprendra son métier de comédienne (on perd sa trace après 1798).

Etta Palm

Etta Aelders naît en 1743 dans une famille bourgeoise de Gröningen et suit une bonne scolarité. Mariée au fils d’un procureur, puis divorcée, elle voyage beaucoup, s’installe à Paris et y mène une vie compliquée d’espionne tout en tenant salon. Dès 1790, elle revendique la possibilité pour les femmes de jouer un rôle en politique. Bonne organisatrice, elle devient membre de la Société fraternelle de l’un et l’autre sexe, de la Société patriotique des Amis de la Vérité, puis elle fonde en 1791 la Société patriotique et de bienfaisance des Amies de la Vérité, clone de la précédente. Elle mène une activité débordante à Paris et en province, intervient à l’Assemblée et revendique l’égalité des droits dans ses discours : « Les femmes ont partagé les dangers de la Révolution ; pourquoi ne participeraient-elles pas à ses avantages ? ».

Tant d’audace, une activité aussi débordante, une telle intelligence des situations, sans compter la participation au combat pour l’égalité inscrite dans la nouvelle loi de la République, auraient-ils pu conduire ces femmes à la reconnaissance de leurs droits et à la prise en compte de leurs revendications ? Force est de constater qu’à partir de 1793, leurs marges de manœuvre se rétrécissent : certaines le paient de leur vie, comme Olympe de Gouges, d’autres sont internées, ou condamnées au silence. En 1793, les clubs de femmes sont interdits, ce qui les empêche de s’organiser. Même certains de leurs soutiens, comme Condorcet, reviennent sur la question du droit de vote ou du divorce. Comme l’indique très bien le titre de l’ouvrage d’Éliane Viennot, « la modernité fut masculine ». Et les penseurs du XIXème siècle, historiens et hommes politiques, contribueront à donner des femmes révolutionnaires cette image détestable de folles furieuses, d’hystériques irresponsables.

Sans doute y avait-il, en 1793, trop de barrières infranchissables. Immédiatement, l’image haïe de Marie-Antoinette, ou encore le crime de Charlotte Corday, assassinant Marat dans sa baignoire. Les divisions entre femmes, et le triomphe des Jacobins, alors que la plupart des féministes avaient, et ce n’est pas un hasard, choisi le camp girondin, plus favorable à leur cause. La militarisation du pouvoir, en période de guerre. Plus largement, le poids des traditions et du pouvoir historique du sexe masculin, conforté par exemple par la loi salique[11]. L’intérêt de la bourgeoisie, vite aux commandes, pour préserver la transmission du patrimoine et la répartition des rôles au sein de la famille. L’inconscient misogyne, et le sexisme ordinaire, qui font payer aux femmes l’audace d’avoir voulu s’égaler aux hommes. Une théologie de la nature, bientôt relayée par des scientifiques qui justifient ainsi la supériorité du mâle sur la femelle. Mais il faut aussi interroger une forme d’aveuglement de ces femmes, tout entières occupées à réclamer l’exacte place des hommes, sans analyser les différences entre les sexes. La dimension sacrificielle de leur engagement, leur identification au grand corps de la politique. Une part d’autocensure, et le poids d’un inconscient collectif, comme si elles assumaient une obscure culpabilité. Et puis, surtout, l’impossibilité, quelle que soit l’utopie d’une ère nouvelle de l’humanité, de transformer de but en blanc « une société dans ses structures profondes, dans la totalité de ses modes de fonctionnement économiques, sociaux et psycho-affectifs ». [12]

On ne s’étonnera donc pas trop de la rapidité avec laquelle, entre 1795 et 1804, tout rentre dans l’ordre … masculin. Sans entrer dans les détails, tous les débats qui conduiront à la mise en place du Code Civil promulgué en 1804 par Napoléon Bonaparte proposent de rétablir le mariage en tant que socle de la société, de limiter le divorce (ce que la rechristianisation amorcée entérinera). Les mères célibataires sont à nouveau criminalisées, ce qui aura pour conséquence une augmentation du nombre d’abandons d’enfants. L’école, enjeu essentiel pour les féministes révolutionnaires, subit le même tournant : les grandes écoles créées (Centrale, Polytechnique) seront réservées aux hommes, l’éducation des filles sera limitée à l’instruction publique élémentaire. La puissance du père écrase sous sa botte tous les rêves de mixité. Le mot « citoyenne » disparaît de l’usage, « Madame » est de retour.

De la lutte frontale à la résistance intellectuelle : à la conquête de nouveaux espaces

Comment les femmes – celles qui n’ont pas été éliminées – résistent-elles, à l’aube du XIXème siècle ? D’abord, en biaisant et en réinvestissant les espaces qui ne leur sont pas niés : les salons, animés par Théresa Cabarrus, Germaine de Staël, Juliette Récamier. L’éducation, avec la réouverture d’anciens couvents et la création de nouveaux établissements. L’écriture, avec une très abondante production féminine de romans, poésies, mais aussi d’essais, où les plus cultivées écorchent avec habileté les hommes au pouvoir et critiquent le bilan de la Révolution. Ces femmes-là sont souvent d’origine aristocratique, à la différence des citoyennes révolutionnaires de 89.

Nous retiendrons quelques unes de ces insoumises d’un nouveau type.

Germaine de Staël (1766-1817)

Née à Paris, fille de Necker, le ministre des finances de Louis XVI, élevée dans un milieu cultivé, intelligente et érudite, favorable aux idées des Lumières, elle tient salon comme sa mère dès l’âge de treize ans et y rencontre toute l’intelligentsia parisienne. Plus tard, elle est en butte à la censure de son père qui voit d’un mauvais œil ses ambitions littéraires. Mariée à vingt ans à l’ambassadeur de Suède auprès de Versailles, elle ne participe pas aux événements de la Révolution, qui l’effraient. Plutôt favorable à une monarchie constitutionnelle, elle doit se réfugier en Angleterre. Elle rentre en France après la Terreur et commence à publier des essais (De l’influence des passions sur le bonheur de l’individu et des nations en 1796 et De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales en 1800). En 1798, Talleyrand lui fait rencontrer Bonaparte, qu’elle admire au départ mais dont elle dénonce vite la tyrannie et qui lui vouera une haine tenace, la condamnant à l’exil pour douze ans.

Séparée en 1800 puis veuve, elle mène une vie très libre, en Suisse et dans toute l’Europe, vole de passion en passion et entretient une longue relation tourmentée avec Benjamin Constant. Sa vie sera marquée par des retours à Paris, où elle s’oppose encore à Napoléon, et de nouveaux exils, comme en 1813-1814. Dans ses essais et dans ses romans, comme Delphine (1802) ou Corinne ou l’Italie, elle représente des femmes victimes des contraintes sociales, luttant sans succès pour leur indépendance. Elle dénonce la régression de la condition féminine, et la perte des acquis de la Révolution. Elle vante tour à tour le système anglais, le protestantisme, la vie en Allemagne ou en Italie, avec une sensibilité européenne avant l’heure. Elle aborde également la question de la difficulté pour les femmes d’accéder au statut d’auteur reconnu, alors qu’elle-même est une des rares femmes de son époque à avoir accédé au succès de son vivant, grâce à l’abondance et à la qualité de ses œuvres, grâce aussi sans doute à l’étendue de son réseau politique et social.

Germaine de Staël est une insoumise à sa façon : elle a lutté contre le pouvoir de son père, a affirmé ses désirs et son droit au bonheur au mépris des règles de bonne conduite de la société napoléonienne. Elle a beaucoup fait par ses écrits et son exemple pour l’émancipation des femmes. Fidèle au modèle républicain elle n’a cessé de dénoncer le retour de la misogynie et de la mise des femmes sous tutelle : « depuis la Révolution, les hommes ont pensé qu’il était politiquement et moralement utile de réduire les femmes à la plus absurde médiocrité ». [13]

Félicité de Genlis (1746-1830)

Née dans une famille de noblesse d’épée ruinée, elle reçoit une excellente éducation religieuse et se fait remarquer par son talent de harpiste. Elle fait un riche mariage et devient dame de compagnie, se chargeant de l’éducation des enfants d’Orléans, dont celui qui allait devenir Louis Philippe. Elle rédige de nombreux traités d’éducation, et publie des ouvrages littéraires. Elle tient salon sous la Révolution, mais, comme Mme de Staël, se réfugie en Angleterre pendant la Terreur. En 1801 elle rentre en France, et travaille pour Napoléon (entre autres comme espionne). Elle se consacre par ailleurs à l’éducation d’enfants de toutes les classes sociales. Elle est l’auteure d’environ 80 ouvrages. Elle publie en 1801 et 1802 un Projet d’une école rurale pour l’éducation des filles. D’autres femmes s’intéresseront également à l’éducation des femmes, comme Antoinette Legroin La Maisonneuve, Isabelle de Charrière ou Félicité Guériot Saint-Martin (De l’éducation et du bonheur des femmes, 1802). Cette dernière voit dans l’éducation le moyen d’une vengeance contre l’esclavagisme dont souffre son sexe » [14]

Marie Françoise Raoul ou Fanny Raoul (1771-1833)

Fille de notables de Bretagne, elle reçoit une éducation intellectuelle de qualité. Dès 1801 elle publie Opinion d’une femme sur les femmes, ouvrage dans lequel elle dénonce la trahison des espoirs soulevés par la Révolution. Dans toute son œuvre, elle réclame la fin de l’oppression sur les femmes et les esclaves, dont le sort est à ses yeux proche. Elle plaide pour que soient reconnues les compétences des femmes, pour que les mères aient autant de pouvoir que les pères, pour qu’elles aient accès à la citoyenneté, et que les carrières des sciences et des arts leur soient ouvertes : « En un mot, liberté et égalité civiles ; voilà ce que je réclame pour elles»[15]. Son argumentation démontre inlassablement que les femmes sont tout à fait capables de raisonner et de remplir des postes à haute responsabilité. En 1813, elle publie Flaminie ou les erreurs d’une femme sensible, roman épistolaire, dans lequel elle dénonce l’injustice des préjugés. Elle est aussi la seule femme à publier un périodique, Le Véridique. Elle défend l’idée d’une démocratie sociale, persuadée que la lutte contre la pauvreté permettra le progrès de tous. Ses détracteurs l’avaient surnommée « L’Amazone armoricaine ».

Constance Marie de Théis, princesse de Salm (1767-1845)

De naissance noble, ayant reçu une très bonne éducation, elle écrit très tôt des poèmes qui la font connaître. Mariée à un chirurgien du nom de Pipelet, médecin du roi, puis divorcée en 1799 grâce à la loi de 1792, elle avait fui la Terreur et était revenue à Paris en 1795. Sa première tragédie lyrique s’intitule Sapho. En introduction, l’auteur fait allusion à ces poètes machistes, inquiets « de trouver des rivales dans un sexe où ils ne cherchent que des admiratrices ». En 1797, son Épître aux femmes soulève l’enthousiasme du public : elle y réclame une égalité entre hommes et femmes sur le plan de l’instruction comme sur celui des tâches domestiques.

On y retrouve les accents d’Olympe de Gouges : « Les temps sont arrivés. Femmes, éveillez-vous ! ». Elle dénonce la peur de l’homme de se voir égalé par les femmes : « Et, sous les vains dehors d’un respect affecté/ il ne vénère en nous que notre nullité ».[16] Elle écrit également en 1797 un Hymne sur la Paix, sur une musique de Méhul. En 1803, elle épouse un aristocrate allemand éclairé , Joseph de Salm, savant botaniste et député de la Roehr, et deviendra Princesse de Salm. Ils tiendront ensemble jusqu’en 1814 un salon littéraire à Paris. Elle continuera seule jusqu’en 1824, recevant toute l’intelligentsia de son époque, menant une vie de femme libre et indépendante. Elle a une activité débordante, écrivant, entretenant une vaste correspondance en Europe. Elle critique les articles du Code civil contraires aux droits des femmes, dénonçant l’ostracisme dont les femmes sont victimes en politique. Elle aussi réclame le droit pour les femmes d’accéder à toutes les fonctions publiques. En 1824, elle publie Vingt quatre heures de la vie d’une femme sensible. Commencé en 1803-1804, repris en 1814-1815, ce roman épistolaire qui aborde la question de la jalousie connaît un grand succès en France et en Europe. Elle publie également ses Pensées, ouvrage philosophique où elle traite de l’attitude dominante des hommes. Jusqu »à sa mort en 1845, elle continuera à produire une œuvre dense, partagée entre poèmes et essais (par exemple les stances Je mourrai comme j’ai vécu, 1837) fidèle à son combat contre l’injustice et pour l’égalité entre les sexes. Elle est alors auréolée de gloire. Curieusement (ou pas!), on cesse de parler d’elle ensuite et ce n’est que très récemment qu’elle sera réhabilitée par la critique universitaire. Un article de 2007 évoque ce retour tardif à la reconnaissance: « L’oubli qui a recouvert le nom de la princesse Constance de Salm après sa mort, en 1845, est inversement proportionnel à la notoriété qu’elle connut de son vivant comme écrivain et à l’influence qu’elle exerça dans les sphères intellectuelles et même politiques (…). Elle n’eut de cesse de faire admettre l’égalité des hommes et des femmes face à la création. Le siècle des Lumières n’avait pas suffi à dissiper les préjugés sur ce sujet et beaucoup d’hommes regardaient avec condescendance celles qu’ils appelaient les « bas-bleus » (…). Première femme à être admise en 1895 au Lycée des arts, institution qui avait peu ou prou remplacé les académies supprimées au début de la Révolution, elle bénéficiait alors d’un réseau d’appuis suffisant pour se permettre ce genre de déclarations, réclamant, notamment, que les jeunes filles soient instruites comme les garçons. » [17]

Salm donc, un esprit précoce et brillant, une femme des Lumières, une européenne convaincue, une femme en avance sur son temps, comme d’autres encore qu’on citera rapidement : Fanny de Beauharnais, Sophie Cottin (son roman Malvia publié en 1800 se plaint de la dévalorisation des femmes qui écrivent et qu’il faut rabaisser ou cantonner à la littérature « légère »). On voit que dans cette période ce sont des « insoumises » cultivées, éduquées, plus éloignées des luttes sociales, très indépendantes, qui dirigent leurs piques sur la discrimination culturelle et intellectuelle dont les femmes sont victimes. Elles revendiquent une éducation égale pour les deux sexes, et le droit pour les femmes de prendre toute leur place dans le monde éditorial, journalistique, et sur la scène politique.

Le réveil des années 1830-1848

L’émergence en France du romantisme, proclamé par Victor Hugo en 1830 à l’occasion de la fameuse « Bataille d’Hernani », et du socialisme utopique, introduit par l’ouvrier typographe Pierre Leroux et développé par les saint-simoniens[18], est l’occasion pour les femmes de se « réveiller » à nouveau. Les années de la monarchie bourgeoise sont épaisses, ennuyeuses et injustes pour les plus faibles. La morale la plus convenue y règne, cantonnant les femmes à leurs tâches domestiques, et les soumettant à l’autorité des pères et des maris. En opposition, un vent de liberté sème des idées de bonheur et d’émancipation.

Les femmes militantes, souvent liées par parenté ou amitiés avec les saint-simoniens ou les romantiques, se lancent dans la bataille, reprenant parfois les revendications d’Olympe de Gouges. Elles collaborent aux journaux et revues dont la parution est favorisée par la levée de la censure sur la presse sous la Restauration. Le journal Le Globe lance en 1831 « L’appel à la femme libre ». Le premier journal écrit intégralement par des femmes, La Femme Libre, qui deviendra La Tribune des Femmes, paraît en 1832, créé par Marie-Reine Guindorf et Désirée Véret. Eugénie Niboyet fonde à Lyon en 1834-1835 Le Conseiller des Femmes, le premier journal féministe de province. Elles se mobilisent contre leur oppression spécifique, réclamant à nouveau l’égalité des droits civiques, le rétablissement du divorce, le droit à une éducation complète, le droit à l’expression. Elles revendiquent pour elles le droit à une sexualité libre et bravent les interdits, ce qui leur vaudra de nombreux procès pour immoralité. Mais elles se mobilisent aussi en faveur des prolétaires, convaincues que « le degré de liberté accordé à la femme est le thermomètre de la liberté et du bonheur de l’homme »[19]. Elles ouvrent ainsi la voie à un nouveau messianisme, très moderne. On notera que le mot « féminisme » apparaît vers 1830, attribué à Charles Fourier, chef de file d’un mouvement (le fouriérisme) qui se distingue par ses prises de position en faveur de la liberté des femmes. De nombreuses saint-simoniennes rejoindront d’ailleurs Fourier.

Ces femmes ont pour nom Claire Bazard, Élisa Lemonnier, fervente militante pour l’éducation des filles, Cécile Fournel, qui prend en 1832 la défense des saint-simoniens accusés d’immoralité en témoignant à leur procès, Marie Talon. Sophie Masure lance une pétition en faveur de l’ouverture d’une école normale d’institutrices. Claire Démar publie un Appel au peuple sur l’affranchissement de la femme (1833), et dénonce dans le mariage une forme de prostitution légale. Eugénie Niboyet (1796-1883), née dans une famille lettrée d’origine genevoise, devient elle-même femme de lettres. Toute sa vie elle se préoccupera de l’éducation dans le monde ouvrier. Elle critique la démocratie (« le tyran s’appelle démocratie »[20]) et porte la parole des femmes en province. En 1848 elle fonde la Société de la Voix des Femmes, pour la reconnaissance de leurs droits civiques et électoraux. En juillet 1836, elle fonde à Paris La Gazette des Femmes. Eugénie Niboyet paiera cher sa ténacité : conspuée (on la traite de « femme saucialiste »!) ridiculisée, elle voit son indemnité littéraire supprimée et, exilée à Genève, devra vivre difficilement de ses traductions. En 1863, de retour en France, elle publie une autobiographie, Le Vrai livre des femmes où elle raconte ses batailles. Elle soutiendra les demandes de grâce des condamnés après la Commune. En 1878, à 82 ans, elle reçoit les hommages du Congrès féministe de Paris.

Une autre féministe, elle aussi saint-simonienne, Suzanne Voilquin, fille d’un chapelier révolutionnaire, et elle-même ouvrière, a un parcours autodidacte. Elle dirige avec son mari un restaurant communautaire, prend la direction de La Tribune des Femmes. Elle devient sage-femme, et fonde en 1838 une association solidaire d’aide aux filles-mères. Elle voyage beaucoup, en particulier en Égypte et en Russie, où elle constate la souffrance des femmes : son œuvre portera ce témoignage. En 1869 elle adhérera à la Ligue en faveur des droits des femmes d’André Léo.

Pendant toute cette période allant de 1830 à 1848, le combat des femmes se cristallise, on l’a vu, autour de la question de l’éducation des femmes. Louise Dauriat, qui écrit elle aussi pour Le Globe et La Tribune des Femmes, ouvre un « cours de droit social des femmes » en 1836. Sa participation au débat public influence un certain nombre d’hommes politiques, par exemple le ministre de l’Instruction publique Salvandy qui crée en 1847 une commission chargée d’examiner la mise en place de collèges féminins.

Deux figures semblent emblématiques des deux directions que prendra la révolte des femmes à cette époque : Flora Tristan et George Sand.

Flora Tristan : le féminisme socialiste

Flora Tristan (1803-1844), fille illégitime, pauvre, peu instruite, mal mariée avec un homme violent (elle laissera ses enfants chez sa mère), devient dame de compagnie et voyage. Elle part au Pérou pour se faire reconnaître par sa famille paternelle (son père, un noble péruvien, est décédé), mais n’obtient qu’une petite pension. Son couple se déchire, son mari tire sur elle et la blesse au poumon : Flora Tristan luttera toute sa vie pour le droit des femmes à divorcer.

Très vite, elle perçoit le rapport entre luttes des femmes et question sociale. Ses voyages, au Pérou, en Angleterre, où elle rencontre les féministes anglaises, l’ont confortée dans l’idée que les femmes sont des « esclaves », des « parias ». Autodidacte, ouvrière dans les filatures ou dans l’imprimerie, elle se rapproche des socialistes et se donne pour mission d’éduquer et d’organiser les prolétaires. Elle explique son combat comme un combat au nom de la raison, pour un monde où « la puissance intellectuelle succède à la force brutale » . Elle participe aux journaux féministes et se lance dans un tour de France pour diffuser ses idées (son journal posthume raconte ses rencontres avec les ouvriers et les ouvrières rencontrés sur sa route). La même année, en 1843, elle participe à la fondation de l’Union universelle des ouvriers et ouvrières, ou encore Union ouvrière, dont l’un des objectifs serait de créer un fonds pour l’éducation des pauvres et la prise en charges des vieux.Marquée par l’idéalisme romantique, elle se voit volontiers comme une femme guide et ses revendications concernent à la fois la condition féministe et la condition ouvrière. « Aristocrate déchue, Femme socialiste et Ouvrière féministe » comme elle aimait à se désigner, son ouvrage majeur sera publié après sa mort (de la typhoïde, en 1844) sous le titre L’Émancipation de la Femme ou le Testament de la Paria [21].

George Sand : le féminisme littéraire (et bourgeois)

Dans le même temps, une étoile commence à briller au firmament féminin : il s’agit de George Sand, née Aurore Dupin. Par son talent, par sa personnalité, elle représente un cas particulier, tout en témoignant de la naissance d’un nouvel imaginaire du rapport entre les sexes. Née en 1804 d’une mère de famille modeste et d’un père de grande famille noble – elle revendiquera toute sa vie cette double appartenance populaire et aristocratique -, fille de la Révolution et sœur du romantisme, elle reçoit une excellente éducation, et commence très tôt à écrire. Dès ses premiers romans, elle met en scène des héroïnes féminines révoltées contre leur condition. Très tôt également elle souhaite s’affranchir de tous les carcans, décide de s’habiller en homme, lançant ainsi une mode, fume le cigare. Mariée à un baron d’Empire, elle rompt et mène alors une vie sexuelle affranchie de la morale de son époque. Peu politisée jusqu’en 1830, elle s’engage aux côtés des insurgés au moment des Trois Glorieuses (28-30 juillet 1830), mène une vie de bohème avec les artistes romantiques, affiche sa liaison avec Jules Sandeau, et décide de changer de nom, adoptant un prénom masculin et le patronyme Sand. Ils sont tous les deux journalistes au Figaro et écrivent ensemble un roman. George Sand se met alors à militer contre le Code civil, pour le droit au divorce. Elle accumule peu à peu les succès littéraires, devient socialiste dans les années 1840, fonde en 1844 le journal local l’Éclaireur de l’Indre, dans lequel elle écrit plusieurs articles sur la politique et le socialisme. Elle adhère à la République de 1848, sans pour autant vouloir jouer un rôle politique. Dès la fin de l’année 1848 et l’échec des illusions, elle se retire dans le château de son enfance, à Nohant et cesse toute activité militante. Elle entreprendra toutefois en 1852 de nombreuses démarches pour soutenir les opposants au coup d’état condamnés et prisonniers politiques, mais sera peu écoutée par Napoléon III et ne pourra s’exprimer dans la presse. C’est donc dans son œuvre et sa correspondance qu’elle se manifestera.
Le contact avec la vie politique active aura représenté une épreuve douloureuse pour George Sand, mais aussi sans doute pour beaucoup de femmes qui se sont engagées en 1848 et ne sont pas sorties indemnes de cet engagement. De fait, la question de la violence insurrectionnelle représente un point d’achoppement. Tous les romans de Sand postérieurs à 1848 portent la trace de cette interrogation[22]. On peut citer les premières pages de La Daniella, en 1856, et les propos du narrateur, Jean Valreg : « Puis vinrent les journées de juin, qui apportèrent l’épouvante et la colère jusqu’au fond de nos campagnes […] Je compris que la haine avait dévoré les semences de fraternité avant qu’elles eussent eu le temps de germer : mon âme se resserra et mon cœur contristé n’eut plus d’illusions. Tout se résuma pour moi dans ce mot : Les hommes n’étaient pas mûrs ! Alors je tâchai de vivre avec cette pensée morne et lourde : La vérité sociale n’est pas révélée. Les sociétés en sont encore à vouloir inaugurer son règne par la force, et chaque nouvelle expérience démontre que la force matérielle est un élément sans durée et qui passe d’un camp à l’autre comme une graine emportée par le vent. La vraie force, la foi, n’est pas née… elle ne naîtra peut-être pas de mon temps. Ma jeunesse ne verra que des jours mauvais, mon âge mûr, que des temps de positivisme. Pourquoi donc, hélas ! ai-je fait un beau rêve et salué une aurore qui ne devait pas avoir de lendemain [23] ?

1848 : l’entrée des femmes en politique

Une nouvelle fois le féminisme tire ses forces d’une situation insurrectionnelle. Les journées de février 1848 et l’avènement de la Seconde République voient s’ouvrir des opportunités pour la cause des femmes. Même si le suffrage universel mis en place en mars 1848 les exclut encore, la presse et les clubs féministes font pression pour que celles-ci soient prises en compte dans la nouvelle Constitution. Les enseignantes sont au premier plan. Pauline Roland fonde l’ Association Fraternelle des Instituteurs et Institutrices et Professeurs Socialistes , un journal intitulé L’Émancipation de l’Enseignement (1848-1849) se fait l’écho de leurs revendications. Jeanne Deroin[24], elle-même institutrice, fonde un Club de l’Émancipation des peuples et une Société mutuelle d’éducation des femmes , qui défend le droit des femmes à être instruites et à accéder aux professions libérales. Elle réclame aussi pour elles le droit de vote. Pour Eugénie Niboyet et Joséphine Bachellery [25] le contexte de ré-examen de l’enseignement public est l’occasion de proposer la création d’un système d’enseignement secondaire d’État destiné aux filles. Hippolyte Carnot, ministre de l’Instruction publique, y est favorable. Les féministes en effet alertent sur la nécessité d’arracher l’éducation des filles à l ‘influence cléricale. Eugénie Niboyet demande la création d’une salle de lecture destinée aux femmes à la Bibliothèque nationale et met en place des cours publics féminins en avril 1848. D’autres auteures revendiquent l’ouverture de l’université aux femmes. Élisa Lemonnier [26] ouvre des cours professionnels destinés aux ouvrières. En 1862, ces cours donnent naissance à une Société pour l’enseignement professionnel des femmes. Celles-ci se voient donc reconnaître comme agents économiques à part entière. L’ écrivain Ernest Legouvé donne au Collège de France un cours sur l’histoire des femmes et dénonce leur infériorité sociale, juridique et économique. Eugénie Niboyet propose la candidature de George Sand aux élections législatives, mais Sand refuse. En avril 1849, Jeanne Deroin ose se présenter mais se heurte aux moqueries des hommes politiques.

Dans le même temps de nombreux débats agitent une société française en pleine mutation : sur la maternité, sur la prostitution, sur la vie domestique, sur la sexualité. Même si l’idéologie dominante reste fortement paternaliste, et même si on assiste à une offensive de femmes catholiques, issues de la bourgeoisie, en faveur d’une valorisation de la femme épouse et mère, on voit que peu à peu la question de l’égalité des sexes occupe le devant de la scène. Certes, la Seconde République ne pourra, faute de temps et de volonté, changer radicalement leur situation (la loi du 28 juillet 1848 interdit à nouveau les clubs féminins), mais c’est un moment clef pour l’entrée des femmes en politique. Les mutations économiques et les nouveaux besoins de la bourgeoise industrielle en matière de main d’œuvre qualifiée y sont aussi pour quelque chose.

Un poète a rendu hommage aux femmes militantes et à leur courage : après le coup d’état de Napoléon, en 1852, nombre d’entre elles entrent en résistance ou s’exilent. L’une d’elles, Louise Julien, chanteuse populaire, malade, meurt à Jersey, où se trouve Victor Hugo. Celui-ci prononce sur sa tombe son éloge funèbre : « Pauline Roland en Afrique, Louise Julien à Jersey, Francesca Maderspach à Temeswar, Blanca Téléki à Pesth, tant d’autres, Rosalie Gobert, Eugénie Guillemot, Augustine Péan, Blanche Clouart, Joséphine Prabeil, Elizabeth Parlès, Marie Reviel, Claudine Hibruit, Anne Sangla, veuve Combescure, Armandine Huet, et tant d’autres encore, soeurs, mères, filles, épouses, proscrites, exilées, transportées, torturées, suppliciées, crucifiées, ô pauvres femmes ! Oh ! ma pensée en ce moment se précipite dans ce sépulcre et baise les pieds froids de cette morte dans son cercueil ! Ce n’est pas une femme que je vénère dans Louise Julien, c’est la femme ; la femme de nos jours, la femme digne de devenir citoyenne ; la femme telle que nous la voyons autour de nous, dans tout son dévouement, dans toute sa douceur, dans tout son sacrifice, dans toute sa majesté ! Amis, dans les temps futurs, dans cette belle, et paisible, et tendre, et fraternelle république sociale de l’avenir, le rôle de la femme sera grand ; mais quel magnifique prélude à ce rôle que de tels martyres si vaillamment endurés ! Hommes et citoyens, nous avons dit plus d’une fois dans notre orgueil : — le dix-huitième siècle a proclamé le droit de l’homme ; le dix-neuvième proclamera le droit de la femme — mais, il faut l’avouer, citoyens, nous ne nous sommes point hâtés ; beaucoup de considérations, qui étaient graves, j’en conviens, et qui voulaient être mûrement examinées, nous ont arrêtés ; et à l’instant où je parle, au point même où le progrès est parvenu, parmi les meilleurs Républicains, parmi les démocrates les plus vrais et les plus purs, bien des esprits excellents hésitent encore à admettre dans l’homme et dans la femme l’égalité de l’âme humaine, et par conséquent l’assimilation, sinon l’identité complète, des droits civiques. » [27]

Le féminisme sous l’Empire et la Troisième République

1870 et la Commune marquent une nouvelle étape dans la radicalisation des femmes.

Louise Michel , la Vierge rouge

Louise Michel, la Vierge rouge

Née bâtarde en 1830, mais dans la maison de châtelains cultivés, elle reçoit une bonne éducation et se passionne pour le romantisme. Chassée du manoir à la mort de ses protecteurs, elle contacte Victor Hugo dès 1850 et se met à écrire. Devenue enseignante, elle ouvre en 1853 une école libre et s’affirme féministe (« je ne veux pas être le potage de l’homme »[27]). Elle nourrit une haine tenace vis à vis de Napoléon III, découvre à Belleville l’existence du monde ouvrier, suit des cours pour passer le baccalauréat, écrit des poèmes, se fait parfois appeler « Louis », puis prend le pseudonyme d’Enjolras, personnage des Misérables de Victor Hugo. En 1864 elle prend contact avec L’Internationale des Travailleurs, ouvre un pensionnat à Montmartre. Elle noue des contacts avec Maria Deraisme, Paule Minck et André Léo. En 1870, elle apprend le maniement du fusil et devient celle qu’on appellera la « Vierge rouge », participe à l’attaque de l’Hôtel de Ville par les insurgés. Elle fait le coup de feu à Montmartre, en véritable chef de guerre, prépare la résistance, est de toutes les barricades. Son courage fera l’admiration de tous. Au moment de la terrible répression qui s’abat sur les communards, elle sauve sa mère, arrêtée, en se livrant à sa place et est enfermée à l’infernale prison de Satory. Exaltée, armée de mysticisme et de compassion (elle tente en vain de sauver le frère de Marie Ferré), elle s’identifie totalement à la Révolution. Le procès de cette femme « terrible et surhumaine, » comme la désignera Hugo, passionne les foules, elle y clame appartenir « tout entière à la révolution sociale ». Condamnée à la déportation, elle donne des cours à ses co-détenus, et une fois arrivée en Nouvelle-Calédonie, s’indigne dans ses écrits autant de l’agonie des albatros à laquelle elle a assisté pendant son transfert en bateau que du sort des Canaques, pour lesquels elle organise une école dans la brousse. Amnistiée en 1880, elle est reçue par Clémenceau et Louis Blanc, acclamée par la foule. Elle se proclame alors anarchiste, fait des conférences publiques sur la Commune devant des milliers de personnes, plaide la cause des femmes, réduites à la faim et la honte et pour lesquelles elle ne cesse de réclamer l’égalité avec les hommes. Elle est de nouveau arrêtée, passera six ans à la prison de Saint-Lazare, au cours desquelles elle se manifestera par sa grande compassion envers les détenus, malgré la maltraitance des surveillants. Pour finir, on l’accuse bien entendu de folie, et, une fois libérée, elle s’exile à Londres, où elle donne des conférences dans des clubs anarchistes. Grande figure révolutionnaire, infatigable militante, elle fonde en 1895 à son retour en France le journal Le Libertaire, assiste aux congrès et aux réunions socialistes, publie appels, essais, mémoires, contes pour enfants et romans. Elle prend parti pour Dreyfus, est admise chez les francs- maçons en 1905, prédit la révolution russe. Elle meurt cette même année, à 75 ans, à Marseille. Plusieurs dizaines de milliers de personnes assistent à ses funérailles à Levallois Perret, et on grave sur son tombeau ses vers : « Salut au réveil du peuple/ Et à ceux qui, en tombant,/ Ont ouvert si grandes/ Les portes de l’avenir ». Son roman La Misère, et ses  Souvenirs et aventures de ma vie,sont publiés après sa mort, le second texte en feuilleton dans La Vie populaire[28].

Les moins connues

Louise Michel est la plus connue des féministes radicales de cette période. Elle a allié « barbarie », dévouement et compassion, milité et œuvré dans les faits, par ses actes, pour l’éducation de toutes et de tous, de façon visionnaire. Si elle est aujourd’hui largement connue et reconnue, et si elle a forcé l’admiration d’hommes comme Hugo ou Clémenceau, elle n’aura jamais été véritablement écoutée de son vivant. On peut citer quelques autres femmes qui, parfois avec elle, ont tracé un chemin pour envisager un avenir de démocratie sociale et de paix, sans pouvoir toutefois s’opposer aux errements d’une République aveugle, vite entraînée dans les malheurs du début du XXème siècle. Évoquons rapidement ces « semeuses ». Marie Ferré, militante de la Commune de Paris, meilleure amie de Louise Michel, décédée d’épuisement, à trente sept ans, en 1882. Paule Minck (1839-1901), d’origine polonaise, qui fonde avec André Léo la « Société fraternelle de l’ouvrière », une organisation mutualiste, féministe et révolutionnaire. Elle participe à la Commune de Paris, fait partie avec Louise Michel du Comité de vigilance de Montmartre, ouvre une école gratuite à l’église Saint Pierre de Montmartre. Elle échappe à la Semaine sanglante, s’exile en Suisse, correspond avec les militantes féministes et franc-maçonnes. De retour en France au moment de l’amnistie, elle présente sa candidature aux élections législatives dans le sixième arrondissement de Paris, bravant l’interdiction de la Préfecture, puisque les femmes n’ont pas le droit de citoyen. Elle participe au Parti ouvrier français de Jules Guesde, travaille à la revue La Fronde dirigée par Marguerite Durand. Elle décède en 1901. André Léo, née Léodile Béra, en 1824, dans un milieu cultivé. Mariée à un journaliste progressiste, elle l’accompagne en Suisse , où il meurt en la laissant seule avec deux fils. Elle commence à écrire des romans, en choisissant pour pseudonyme un nom composé des deux prénoms de ses fils. Revenue à Paris en 1860, elle s’engage aux côtés de Louise Michel et de Paule Minck, crée l’Association pour l’amélioration de l’enseignement des femmes en 1866 et en 1869 la Société (mixte) de revendication des droits de la femme. Elle participe à la Commune, est favorable à la lutte armée, mais demande avant tout le respect de la démocratie. A nouveau exilée en Suisse après la Semaine Sanglante, elle publie La Guerre sociale, où elle raconte la Commune., milite à la fois pour la paix et pour la démocratie socialiste, plaide pour la séparation de l’Église et de l’État. Décédée en 1900, elle laisse une œuvre considérable, romans, contes, essais, articles et textes politiques. Par testament, elle lègue une petite rente à la première commune de France qui voudra tenter une expérience collectiviste !(1824-1874) est la première femme bachelière et licenciée ès lettres. Née dans une famille aisée, elle est témoin de la misère des ouvriers dans les forges de sa famille. Son essai La Femme pauvre au XIXe siècle avec remporte en 1859 le premier prix de l’Académie des sciences, belles -lettres et arts de Lyon. C’est à Lyon encore qu’elle s’inscrit à la Faculté des Lettres pour passer son baccalauréat, devient saint-simonienne et ouvre un atelier de broderie. Elle passe sa licence, publie des articles dans de nombreux journaux, et prépare un doctorat. Son combat n’est pas celui d’une socialiste, mais d’une militante pour l’éducation, la formation des femmes, et leur droit de vote. Très connue de son vivant pour son activité journalistique, elle reçoit à l’Exposition universelle de 1867 une médaille pour l’ensemble de son œuvre.
Maria Deraisme (1828-1894), née dans une famille bourgeoise, érudite, est convaincue de l’importance de l’éducation pour les femmes. Elle se veut réformatrice plus que révolutionnaire. Elle devient une oratrice reconnue pour son talent, prononce de nombreuses conférences, co-fonde en 1869 avec Louise Michel et Paule Minck la « Société pour la revendication des droits civils des femmes », puis en 1870, avec Léon Richer, l’Association pour le droit des femmes. Elle est admise au Grand Orient de France, soutient en 1870 l’action de Louise Michel, mais se tourne davantage vers des positions réformistes. En 1878, elle coorganise avec Léon Richer le Congrès international du droit des femmes. Hubertine Auclert, née en 1848, rompt avec son éducation religieuse et choisit la cause républicaine. Elle milite à la Ligue française pour les droits des femmes, dont Victor Hugo est le président d’honneur, puis fonde Le suffrage des femmes. Elle adhère au parti socialiste, entame une grève de l’impôt pour les femmes, puisqu’elles n’ont pas de droits citoyens. Elle lance en 1881 le journal La Citoyenne. C’est la première à réclamer la féminisation de certains mots, comme « avocat »t ou « électeur. ». En 1910 elle se présente avec Marguerite Durand aux élections législatives mais leur candidature n’est pas retenue. Marguerite Durand (1864-1936) est une actrice connue et une journaliste qui fonde en 1897 le journal La Fronde, fabriqué de bout en bout par des femmes. Elle milite pour le droit de vote des femmes, dénonce le Code civil, considère que féminisme et pacifisme vont de pair. En 1931 elle lègue à la Ville de Paris toute sa documentation sur l’histoire des femmes, créant ainsi le premier Office de documentation féministe français, qu’elle dirigera jusqu’à sa mort. Aujourd’hui cet office est devenu la Bibliothèque Marguerite Durand, dans le XIIIème arrondissement de Paris.

 

Conclusion

Semeuses, toutes ces femmes l’ont été, et elles ont toutes incarné la République née de la Révolution de 1789. Militantes, modernes, progressistes, elles se sont heurtées de leur vivant à la cécité des trois Républiques successives, cécité consciente ou inconsciente, mélange de sexisme masculin héréditaire et de priorité donnée aux intérêts du capitalisme industriel. C’est tardivement, à la lumière du féminisme de la seconde moitié du XXème siècle, qu’elles ont été reconnues.
Article publié par l’auteure également dans la revue en ligne Revista 19 de l’université de Brasilia (avec d’autres illustrations)

[1]          En voici la traduction :
« Marianne, trop attaquée d’une grosse maladie, était toujours maltraitée et mourait de misère. Le médecin, sans la guérir, la faisait souffrir : le nouveau Pouvoir exécutif vient de lui faire prendre un vomitif pour lui dégager le poumon : Marianne se trouve mieux. »
Un grain de liste civile est un remède fatal qui dans le corps tient la bile, augmente toujours le mal; et les remèdes de Louis ne sont pas bons : on ne guérit jamais. Mais une once d’Égalité et deux drachmes de Libertés lui ont dégagé le poumon : Marianne, etc.
La saignée favorable qui eut lieu le dix août à Marianne, si aimable, a fait retrouver le goût : le mal maudit est vite partit quand on peut retrouver l’appétit : un peu d’huile de Servan, un peu de sirop de Roland, lui ont bien dégagé le poumon : Marianne, etc.
Dillon, Kellermann, Custine ont commencé de chasser la trop méchante vermine qui a failli l’étouffer; et l’intérieur des intestins sera bientôt débarrassé de vers si malins; l’élixir de Dumouriez, frotté à la plante des pieds, lui a bien dégagé le poumon : Marianne, etc.
Il faut une prise de Nice, deux pincées d’Émigrants, pour dissiper la malice de ce mal qui était si grand et soigneusement, à l’alambic, passer la soumission de Brunswick : le matin, au lever du lit, l’évaporation de Clairfayt lui a bien dégagé le poumon : Marianne, etc.
Montesquiou, bon patriote, de Marianne Médecin, veut avec de la graisse de marmotte, la guérir entièrement : Anselme, enfin, chasse le venin, au sang bas il fait prendre un autre train; alors, son corps épuré, du mauvais levain dégagé, Marianne, en pleine guérison, de la santé sera la fleur. » (Wikipédia)
[2]          Rappelons l’histoire de ce bonnet : dans l’Empire romain, il était porté par les esclaves affranchis. Quand le peuple de Paris envahit les Tuileries, le 20 juin 1792, les manifestants tendent au roi Louis XVI un bonnet phrygien. Cette coiffe, depuis la prise de la Bastille était devenue le symbole de la liberté. Elle devient le signe du ralliement révolutionnaire. Sur proposition de Billaud Varenne, la Convention prend un décret le 22 septembre 1792. Ce décret stipule que tous les actes publics seront datés de la première année de la République. « Le sceau de l’État portera pour légende ces mots : République de France. Le sceau national représentera une femme assise sur un faisceau d’armes, tenant à la main une pique surmontée du bonnet de la liberté. » (Source : http://www.blason-armoiries.org/heraldique/b/bonnet-phrygien.htm)

[3]N’oublions pas le tableau La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix, réalisé en 1830 à la suite de la révolution des Trois Glorieuses. Elle a souvent été choisie comme symbole de la République française. C’est l’image d’une femme du peuple, une « Marianne », coiffée d’un bonnet phrygien, seins dénudés, debout sur une barricade, qui brandit un drapeau tricolore et appelle au combat.

[4]          Cf. l’article d’Anna Durnova «Et Dieu créa la femme… La condition féminine chez Jean-Jacques Rousseau, » dans la revue Sens Public.

[5]          Louis Devance, « Le féminisme pendant la Révolution française », Annales historiques de la Révolution française, n°229, 1977, pp 341-376.

[6]          L’égalité en marche, éditions des femmes, Paris 1989, p. 23

[7]          Âgées de treize et seize ans, elles se placèrent en 1792 dans les rangs de la garde nationale de Mortagne et se battirent victorieusement contre les Autrichiens.

[8]          Éliane Viennot, Et la modernité fut masculine La France, les femmes et le pouvoir, 1789-1804, Perrin, 2016, p.51.

[9]          Olympe de Gouges, Femme, réveille-toi ! Gallimard Folio 2014

[10]          Loi salique : article du code salique, datant du XIVème siècle, qui interdit aux femmes de succéder au trône de France.

[11]          Louis Devance, op.cit. p. 367.

[12]          Cité par Éliane Viennot, op. cit., p.327

[13]          Éliane Viennot, op. cit. p. 306.

[14]          Éliane Viennot, op.cit. p. 326

[15]          Éliane Viennot, op.cit. p. 313

[16]          Astrid de Larminat, « Salm, une femme des Lumières sort de l’ombre », Libération, le 1er février 2007.

[17]          Saint Simon, philosophe, économiste, né en 1760 et mort en 1825, est un penseur de la société industrielle. On le considère comme le premier socialiste. Le groupe des saint-simoniens reprend ses thèses : c’est un mouvement idéaliste, communautaire (comme celui de Charles Fourier avec ses Phalanstères), qui veut s’opposer à la misère ouvrière et à la dissolution des liens sociaux provoquée par le capitalisme, lequel laisse l’ouvrier seul face au patron.

[18]          Eugénie Niboyet, citée page 1031 dans le Dictionnaire des féministes France XVIIIème-XXième, ouvrage de Christine Bard et Sylvie Chaperon, 2017. Cet ouvrage est une mine d’informations utiles pour notre sujet.

[19]          Dictionnaire des féministes, op. cit, p. 1053

[20]          Cité dans le Dictionnaire des féministes, op.cit. p. 1450

[21]          Wikipédia, article « Flora Tristan »

[22]          Voir l’excellent article d’Olivier Bara : « Juin 1848, une lacune dans l’œuvre de George Sand ? Taire et dire le désastre », dans Catherine Mariette-Clos (dir.), « George Sand face à la violence de l’histoire », Cahiers George Sand, n° 37, 2015, p. 143-168.

[23]          George Sand, La Daniella, éd. Annarosa Poli, Meylan, Les Éditions de l’Aurore, 1992, t. I, p. 32.

[24]          Jeanne Deroin, 1805-1894, institutrice, saint-simonienne, persuadée que la cause du peuple et la cause des femmes se rejoignent, elle est la première femme à se porter candidate à une élection. Mais des caricaturistes, tel Honoré Daumier avec ses Bas bleus , la tournent en dérision. Après le coup d’état de 1851, elle s’exile en Angleterre où elle meurt dans la pauvreté.

[25]          Joséphine Bachellery, 1803 -1872, enseignante et éducatrice, qui a ouvert des pensions, républicaine, militante de l’émancipation des femmes grâce à l’éducation.

[26]          Élisa Lemonnier, 1805 -1865, saint-simonienne, militante républicaine et laïque, qui a fondé de nombreuses écoles professionnelles et a préparé la reconnaissance de l’enseignement professionnel.

[27]          On peut se référer pour cette période à l’ouvrage de l’ouvrage de Laurence Klejman et Florence Rochefort, L’égalité en marche, le féminisme sous la Troisième République, éditions des femmes, 1989.

[28]          Nous nous appuyons sur l’ouvrage Une héroïne : Louise Michel, de Françoise Moser, Jean Vigneau éditeur Paris, 1947

[29]          op. cit. p. 33


Pour aller plus loin …

 

Sur ce Blog par Eliane Viennot

la conclusion de l’ouvrage L’âge d’or de l’ordre masculin (1804-1860) Editeur: Cnrs

 

L’âge d’or de l’ordre masculin (1804-1860)

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