Le procès d’Antoine Deltour relance la question des lanceurs d’alerte et de leur utilité civique. Le droit d’alerte doit être reconnu et défendu par la loi.
On les applaudit au cinéma : Julia Roberts dans Erin Brockovich seule contre tous, Tom Cruise dans La firme. Ce sont des personnages réels (Erin) ou de fiction (Mitch McDeere, personnage du roman de John Grisham). Ce qui caractérise les lanceurs d’alerte, c’est leur existence paradoxale : ils sont accusés, inculpés, pourchassés comme des voleurs, de dangereux délateurs, voire des espions, mais ils reçoivent des prix, ont droit à la reconnaissance mondiale, sont applaudis comme les Robin des bois des temps modernes, capables de retourner contre eux les manipulateurs des circuits informatiques et les patrons des multinationales corrompues.
À travers leur action, ce qui est en jeu c’est le droit d’alerte, la liberté d’expression, la liberté de la presse, et la possibilité de dénoncer les scandales de l’évasion fiscale ou des fraudes en tous genres.
Antoine Deltour et les LuxLeaks
Le procès d’Antoine Deltour qui s’est achevé récemment au Luxembourg relance la question des lanceurs d’alerte et de leur utilité civique.
Il s’estime plutôt chanceux : « J’habite en province, j’ai un emploi, je n’ai pas fait l’objet de menaces physiques, je n’ai pas été licencié » a-t-il déclaré sur France Info le 24 avril 2016, à la veille de son procès. Nombreux sont en effet les lanceurs d’alerte qui vivent aujourd’hui sous le coup d’accusations, dans la crainte de menaces ou dans l’exil, comme Edward Snowden ou Hervé Falciani. Antoine Deltour souhaite pouvoir mener à nouveau une existence tranquille et propose, toujours sur France Info, que soit réparé « le préjudice économique subi par les lanceurs d’alerte grâce aux recettes fiscales de quelques alertes rentables », c’est à dire celles qui permettent des redressements fiscaux.
Reprenons l’historique de cette affaire, connue sous le nom de LuxLeaks
Antoine Deltour est le lanceur d’alerte à l’origine des LuxLeaks, c’est à dire la révélation d’une grande partie des documents révélant des centaines d’accords fiscaux entre le fisc luxembourgeois et des multinationales, et mettant ainsi à jour un système d’optimisation fiscale à grande échelle.
LuxLeaks, c’est aussi le nom de l’enquête journalistique menée par l’International Consortium of Investigative Journalism (ICIJ) à partir, entre autres, de ces documents. Rappelons que l’ICJG est à l’origine de la révélation des « Panama Papers », soit environ 11,5 millions de documents confidentiels issus d’un cabinet d’avocats panaméen, qui prouvent l’existence de plus de 200 000 sociétés offshores.
L’affaire LuxLeaks, qui ne date pas d’hier, a provoqué une véritable avalanche de réactions dans le monde entier, et a déjà eu des effets notoires sur la législation européenne.
Tout commence en 2010, quand, ayant démissionné de PricewaterhouseCoopers (PwC), le cabinet d’audit comptable qui l’employait , Antoine cherche des documents de formation dans la base informatique de son employeur (dont il sera reconnu au procès qu’elle était mal protégée suite à des dysfonctionnements techniques). Il tombe alors, par hasard, sur les « tax rulings », c’est à dire ces fameux accords fiscaux. Effaré par cette trouvaille, il les copie (l’équivalent d’environ 30 000 pages tout de même!), et les conservera pendant plusieurs mois, jusqu’à ce qu’un journaliste français, travaillant pour Cash Investigation, Édouard Perrin, prenne connaisssance de leur existence. Antoine Deltour lui confie les documents, ce qui donnera lieu à un reportage sur France 2, Paradis fiscaux : les petits secrets des grandes entreprises, en mai 2012. C’est alors que PwC porte plainte contre X. Parallèlement, en novembre 2014, une quarantaine de médias internationaux partenaires de l’ICIJ publient leurs enquêtes menées, entre autres, à partir de ces documents.
Antoine Deltour est inculpé par la justice luxembourgeoise le 12 décembre 2014, pour vol, divulgation de secrets d’affaires, violation du secret professionnel, blanchiment et fraude informatique. Édouard Perrin, ainsi qu’un autre employé du cabinet PwC, Raphaël Halet, qui a agi séparément et a été licencié entre temps, sont inculpés un peu plus tard, en avril 2015. L’inculpation du journaliste français suscite de nombreuses réactions en tant qu’atteinte à liberté de la presse.
Le procès d’Antoine Deltour s’est déroulé du 26 avril au 4 mai, il y a affirmé n’être qu’un citoyen honnête, un « homme tranquille », qui n’a fait que son devoir. Deltour a reçu 200 000 soutiens, l’appui de 300 personnalités, dont des députés européens et des spécialistes de la fiscalité [1]. Michel Sapin l’a soutenu officiellement devant l’Assemblée Nationale le 26 avril. Il a été requis contre lui une amende et 18 mois de prison, tandis que son avocat a demandé la relaxe pure et simple, au nom de la primauté de l’intérêt général. Une simple amende a été requise contre Édouard Perrin. Concernant ce dernier, le collectif « Informer n’est pas un délit » a écrit une lettre ouverte à François Hollande, pour connaître sa position .
On notera la performance de l’enquêteur de police luxembourgeois, Roger Hayard, qui a témoigné le 27 avril au procès, déclenchant des rires dans la salle. Ne pouvant prouver la moindre transaction financière suspecte sur les comptes du prévenu, il a cherché d’autres motifs à son action : Antoine Deltour « était déclaré anticapitaliste », a-t-il expliqué à la barre du tribunal, en donnant pour preuve des propos postés sur Facebook où M. Deltour déclarait « avoir du mal à accepter » que le « commun des mortels » ne puisse échapper à l’impôt tout comme les grosses multinationales. Surtout, M. Deltour était abonné à des newsletters des Verts et « suivait l’actualité du site Mediapart » « dont le directeur est « un personnage qui a publié des articles qui condamnent la place financière ». Pour appeler un chat un chat, cela se nomme délit d’opinion !
Antoine Deltour a été au contraire, fort applaudi par la salle dans sa dernière déclaration [2]. Le verdict du tribunal sera rendu le 29 juin, et ce jour-là il conviendra d’être vigilant ! Soit nous fêterons la victoire d’Antoine, soit nous soutiendrons à nouveau sa cause, qui est aussi l’une des nôtres, celle de la lutte contre l’évasion fiscale et pour le droit à la transparence.
Des avancées non négligeables au niveau européen
Tandis que la justice luxembourgeoise suivait son cours, une autre justice avançait peu à peu ses pions. LuxLeaks a porté le sujet des « tax rulings » (accords fiscaux) jusque dans les instances de gouvernance internationales, comme le G20 ou la Commission européenne, ce qui a déjà produit un certain nombre de décisions. En février 2015, le Parlement européen crée une « commission spéciale » dans le but d’enquêter sur les pratiques fiscales mises au jour par LuxLeaks. Et en mars 2015 la Commission Européenne propose un premier paquet de mesures en faveur de la transparence fiscale, dont l’échange automatique des « tax rulings » entre pays.
En juin 2015, le Parlement européen attribue à Antoine Deltour le Prix du citoyen européen 2015. Ce prix distingue les citoyens ayant contribué à la coopération européenne et à la promotion de valeurs communes.
En septembre 2015, Antoine Deltour est conjointement nommé pour le prix Sakharov 2015 avec deux autres lanceurs d’alerte, Edward Snowden (écoutes NSA) et Stéphanie Gibaud (banque UBS).
En octobre 2015, les ministres des finances européens entérinent définitivement l’accord sur l’échange automatique entre États européens d’information sur les rescrits fiscaux (« tax rulings ») accordés par leurs administrations fiscales. La transparence des rescrits fiscaux progresse, et une filiale de Fiat au Luxembourg voit ses accords fiscaux invalidés, car ils contreviennent au droit européen de la concurrence.
Une législation luxembourgeoise pourtant à la pointe
À ce jour, seuls cinq pays ont une législation avancée pour les lanceurs d’alerte, et ironie du sort, parmi eux, il y a le Luxembourg ! Les autres pays sont la Slovénie, la Roumanie, le Royaume-Uni et l’Irlande.
La loi luxembourgeoise date du 13 février 2011. Elle protège certes les citoyens qui divulguent des informations confidentielles, mais elle se limite surtout aux cas de corruption, de trafic d’influence ou de blanchiment. D’autre part, l’alerte ne peut être faite qu’auprès de l’employeur ou du parquet, ce qui, dans le premier cas surtout, limite les marges de manœuvre du lanceur d’alerte et peut même le mettre en danger. La loi ne prévoit aucunement la possibilité de divulguer les informations aux médias ou à un organisme autonome. Enfin, la protection est limitée aux alertes menées dans le cadre d’une relation de travail.
Ces insuffisances ont poussé à la création d’un collectif, le « Tax Justice Lëtzbuerg », qui demande la refonte de la loi . Selon ce collectif, celle-ci devrait tenir compte du principe que le lanceur d’alerte « agit de bonne foi », « en ayant été attentif à l’exactitude et à la gravité de l’information». Le lanceur d’alerte devrait aussi être protégé « contre des mesures de rétorsion sur le plan pénal et civil ainsi que de poursuites abusives en diffamation ». Les alertes devraient enfin « être traitées efficacement » [3].
En France, un millefeuille compliqué
Le droit d’alerte, extension de la liberté d’expression, relève historiquement du droit du travail. Son but est de protéger le salarié alertant sur des crimes ou faits illégaux.
La première convention internationale ratifiée par la France (Organisation internationale du travail, 1982) interdit le licenciement d’un salarié ayant alerté sur des faits illégaux commis par son employeur.
La loi française n’offre pas de définition globale du lanceur d’alerte, mais seulement une définition partielle, limitée à la santé publique et à l’environnement (loi du 16 avril 2013 dite loi Blandin, article 1er) : « toute personne physique ou morale a le droit de rendre publique ou de diffuser de bonne foi une information concernant un fait, une donnée ou une action, dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît faire peser un risque grave sur la santé publique ou sur l’environnement. » [4]. L’alerte doit concerner une atteinte à l’intérêt général. Elle doit pouvoir être attestée (écrits, témoins, etc.), et effectuée d’abord en interne, puis auprès des autorités judiciaires ou administratives. Le lanceur d’alerte doit être de bonne foi et prouver qu’il ne tire aucun bénéfice personnel, financier par exemple, de son action.
En France, cinq lois comprennent un article en faveur des lanceurs d’alerte, dont trois datent de 2013. La première loi date de 2007 et protège seulement les salariés du secteur privé des signalements de faits de corruption.
La loi Bertrand sur la sécurité des produits de santé, est adoptée le 19 décembre 2011 pour renforcer la sécurité sanitaire, suite au scandale du Mediator révélé par la pneumologue Irène Frachon, suite à son enquête épidémiologique concernant les atteintes cardiaques de patients ayant pris ce médicament [5]. Cette loi se limite cependant à l’industrie pharmaceutique.
La loi du 16 avril 2013, relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte, protège tous ceux qui préviennent d’un « risque grave pour la santé publique ou l’environnement ». La définition du lanceur d’alerte y est précisée : « toute personne physique ou morale a le droit de rendre publique ou de diffuser de bonne foi une information concernant un fait, une donnée ou une action, dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît dangereuse pour la santé ou pour l’environnement ». Cette loi exclut toutefois le signalement à la presse, et impose le signalement préalable auprès de l’employeur.
La loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique protège les membres du gouvernement, les personnes chargées d’une mission de service public et les principaux élus locaux qui dénoncent un conflit d’intérêt (cette loi a été inspirée par l’affaire Cahuzac).
Enfin la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière concerne « tout salarié de bonne foi, témoin de crimes et délits dans l’exercice de son travail ». En France, cette loi est la seule à autoriser le recours à la presse.
On comprend bien la complexité de ce millefeuille, et l’absence de cohérence entre ces textes. Le recours aux médias est peu autorisé, et rien ne protège l’employé contre un licenciement, par exemple. Il manque un texte cadre. Telle est la fonction affirmée du projet de la loi Sapin 2.
La loi Sapin 2 : une actualisation nécessaire
L’Assemblée étudiera le 7 juin le projet de loi de lutte contre la corruption des entreprises. Cette loi vise à rattraper un retard, la France étant à la traîne en matière de transparence de la vie économique. La loi est dite « Loi Sapin 2 », car elle actualise une loi anti-corruption que Michel Sapin lui-même, alors ministre dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy, avait fait adopter en 1993, loi devenue totalement obsolète : rappelons en particulier qu’Internet n’existait pas.
Les points principaux sont la création d’une Agence nationale de lutte contre la corruption, qui « aura son budget et son indépendance de décision ». Placée sous l’autorité conjointe des ministres des Finances et de la Justice, elle contrôlera la mise en place de plans anti-corruption des entreprises de plus de 500 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions d’euros, et pourra sanctionner les manquements et les rendre publics. La nouvelle Agence aura aussi pour mission de protéger les lanceurs d’alerte. Elle les défendra contre des représailles, anonymisera leur signalement et prendra à sa charge leurs frais de justice. Les associations comme Anticor ou Transparency International, qui peuvent disposer d’informations provenant de lanceurs d’alerte, pourront s’adresser à cet organisme pour déposer une plainte avec constitution de partie civile.
La loi prévoit des sanctions pénales pour corruption internationale, par exemple pour négociation d’une commission occulte dans le but d’obtenir un marché public.
Il était prévu un dispositif de « convention de compensation d’intérêt public » (CCIP) aussi appelé « transaction pénale ». Ce dispositif permet aux entreprises soupçonnées de corruption de payer une amende – plafonnée à 30% de leur chiffre d’affaires moyen sur les trois dernières années – sur le modèle américain du « plaider coupable », plutôt que de s’engouffrer dans des procédures judiciaires lourdes, longues et qui n’aboutissent jamais à des sanctions en France.
Mais le Conseil d’État a émis un avis défavorable et certaines ONG y sont aussi opposées, craignant une impunité de fait des entreprises. Ce point a donc été abandonné.
Enfin, la loi Sapin 2 veut créer un répertoire national des lobbyistes, qui serait placé sous la tutelle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), pour « améliorer la transparence dans les rapports entre l’exécutif et ses agents d’une part et les représentants d’intérêt d’autre part ». Il faudra être enregistré sur ce registre consultable par tous pour « exercer auprès de l’État sa fonction de représentant d’intérêt ». Par ailleurs, les « cadeaux » type restaurants, voyages et autres cadeaux en nature offerts par les lobbies à un agent public, seront désormais encadrés et même interdits au delà d’une « valeur significative », sous peine de sanctions.
Mais des insuffisances encore
D’autres mesures viennent se greffer sur ces dispositions, et contribuent à un certain manque de clarté. C’est un peu un fourre-tout de mesures héritées du texte d’ Emmanuel Macron sur les nouvelles opportunités économiques (Noé) : c’est ainsi que le seuil d’activité des microentreprises (ex-auto-entrepreneurs) serait doublé, l’accès à certains métiers pour les ouvrir à des jeunes sans qualification serait assoupli (par exemple pour les coiffeurs, mesure très impopulaire chez les artisans).
L’Autorité des marchés financiers (AMF) verrait ses moyens renforcés pour mieux traquer les infractions boursières ; les agents de Pôle emploi pourraient demander des informations aux banques et organismes publics pour mieux détecter les cas de fraude aux allocations ; des mesures obligeraient les industriels à publier leurs comptes, une promesse faite aux éleveurs en crise, début mars. On peut s’interroger sur ce mélange des genres !
Des voix s’élèvent également pour réclamer un renforcement des mesures prévues par la loi pour protéger les lanceurs d’alerte. Le député PS Yann Galut qui depuis deux ans travaille sur le sujet en collaboration étroite avec les ONG, dont Transparency International, Anticor ou Sherpa, regrette que la loi Sapin 2 ne prenne pas en compte toutes les alertes, mais seulement celles qui concernent la corruption ou la fraude fiscale. Qu’en est-il de la santé, de l’alimentation, par exemple ? L’adoption le 14 avril de la directive européenne sur le secret des affaires a rendu le sujet sensible [6] : les lanceurs d’alerte peuvent être accusés, comme Antoine Deltour, de violation du secret des affaires, et ils doivent être d’autant plus protégés.
Enfin Yann Galut souhaite une Agence dédiée, totalement indépendante du pouvoir politique. Dans le même esprit, 17 organisations civiles, parmi lesquelles Transparency International, Anticor ou Sherpa, le CCFD, Greenpeace, Attac ou la CFDT, ont lancé une pétition en ligne le 21 avril : « Annoncé depuis 2015 par François Hollande, le projet de loi relatif à la transparence, la prévention de la corruption et la modernisation de la vie politique (dite « Loi Sapin 2 ») devait enfin doter la France d’une législation ambitieuse pour protéger les lanceurs d’alerte. Si le texte offre une véritable opportunité d’adopter les meilleurs standards internationaux pour lutter contre la corruption, il ne saisit pas, en l’état, l’occasion de protéger véritablement tous les lanceurs d’alerte. Au contraire, il ajoute au millefeuille législatif français, à l’inégalité de traitement des salariés, à l’insécurité juridique et perpétue l’impunité des auteurs de représailles. Encore trop nombreux sont ceux qui se retrouvent isolés et dépourvus de soutien alors qu’ils agissent dans l’intérêt de tous en dévoilant les failles de nos sociétés.
Toutes les organisations signataires appellent les parlementaires à se saisir de l’examen de cette prochaine loi anti-corruption pour accorder enfin un statut global et une protection effective aux lanceurs d’alerte en France. Elles ne manqueront pas de mobiliser le plus grand nombre à travers leur pétition nationale. »
Lancer une alerte ?
Il faut être très compétent, par exemple en informatique, être très honnête, et croire fermement que tout le monde devrait être très honnête. Il faut avoir du courage et se préparer à affronter accusations et procès. Il faut avoir un bon avocat ! Si cela ne vous décourage pas, et si vous voulez lancer une alerte, sachez que Transparency International France, la section française de Transparency International, la principale organisation de la société civile qui se consacre à la transparence et à l’intégrité de la vie publique et économique, a publié un « Guide pratique à l’usage du lanceur d’alerte français » !
Michèle Narvaez
[1] Comité de soutien à Antoine Deltour, Centre Léo Lagrange BP 1006, 88050 Épinal Cedex, ou via la plateforme Hello Asso. On peut encore soutenir financièrement Antoine Deltour pour l’aider à couvrir les frais de son procès.
[2] On peut trouver les minutes du procès sur le site du Comité de soutien.
[3] www.taxjustice.net/tag/luxembourg/
[4] Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Lanceur_d’alerte
[5] Irène Frachon a reçu le 11 octobre 2011, le Prix Éthique catégorie Lanceur d’alerte citoyen, lors des Prix Éthiques et Casseroles 2011 de l’association Anticor.
[6] La directive européenne sur le secret des affaires pénalise toute violation du secret des affaires, et donne de ce secret une définition très large, si bien qu’un journaliste, par exemple, peut facilement être inculpé pour avoir divulgué des informations sur des pratiques douteuses. Les critiques contre cette directive ont été nombreuses, et une pétition lancée par Élise Lucet, journaliste à Cash Investigation, a recueilli un très grand nombre de signatures. Selon les opposants à la directive européenne, il faudrait restreindre la définition du secret des affaires, en précisant quels types d’informations commerciales, technologiques et/ou relatives au savoir-faire, sont à protéger contre l’appropriation illicite. Notamment, certaines données économiques de l’entreprise ne doivent pas relever du secret d’affaires. Ils souhaitent aussi que le secret d’affaires ne puisse pas être invoqué face aux requêtes des juridictions civiles et pénales. De plus, le secret d’affaires ne doit pas pouvoir être opposé sur les sujets qui relèvent des droits fondamentaux (eugénisme, clonage, liberté de la presse, droits à l’information et à la consultation des [5] travailleurs au sein de l’entreprise, droit d’accès de toute personne aux dossiers qui la concernent).
Jacqueline Boutin dit
Ayant beaucoup apprécié le texte de Michèle relatif aux lanceurs d’alerte, je voudrais apporter un élément d’information complémentaire ayant trait à la lutte anti-corruption dans la fonction publique qu’elle soit d’État ou des collectivités locales.
La démarche des lanceurs d’alerte repose, pour celui qui en est à l’origine, sur une double démarche: l’éthique et la volonté de transparence. Elle ne repose sur aucune obligation juridique au contraire de la fonction publique. En effet, selon les termes de l’article 40 du code de procédure pénale, tout fonctionnaire (depuis quelques années, la jurisprudence fait une lecture extensive de « fonctionnaire »), dès lors qu’il a connaissance d’un crime ou d’un délit doit en donner avis sans délai au Procureur et lui communiquer P.V, actes et tout autre renseignement. On remarquera qu’aucune statistique nationale n’est publiée sur le nombre de saisines de ce type, alors qu’il y a là une exigence forte de communication et de (légitime) coopération entre l’agent public et le Parquet.
Pourquoi ce silence, cette carence ? Il y a des raisons objectives et d’autres moins avouables ! La saisine du parquet exige de fournir un dossier étayé qui demande beaucoup du temps pour rassembler tous les éléments, une très grande compétence juridique car tout document communiqué à la Justice, lorsqu’une enquête préliminaire est ouverte, est adressé à l’avocat de la partie adverse. Celui-ci a connaissance de l’identité du fonctionnaire à l’origine de la saisine et des erreurs d’appréciation juridique qu’il a pu commettre dont la plus courante est la date de prescription ! (3 ans) quand ce n’est pas le vice de forme. De plus, pour les faits les plus graves exigeant une mise en examen, l’instruction peut durer 4, 5 voire 6 ans. Sur cette durée, le fonctionnaire a changé de poste de travail, l’équipe municipale ou celle du cabinet ministériel a changé, les documents peuvent se perdre à la faveur de déménagements, la mémoire administrative se délite, etc.
Et puis, le moins avouable : les pressions indirectes (est ce que ça en vaut la peine ?, on porte tort à X,Y, il ne faut pas que la presse en parle), l’absence de soutien d’autres services mis en concurrence sur d’autres dossiers, l’ignorance, oui l’ignorance du fonctionnement de la Justice où des hauts fonctionnaires ignorent même la différence entre le rôle exact du Parquet (qui doit vous ouvrir sa porte pour vous écouter) et celui du juge, l’absence d’une structure médicale pour soutien psychologique, la liste est longue. Alors, oui, il faut beaucoup de courage, de pugnacité et un sens élevé du service public pour affronter 5 ou 6 ans après les faits, les auteurs du délit pour une confrontation dans le cabinet du juge d’instruction en sachant que l’État, la collectivité ne sont pas uns et indivisibles, ils sont parcourus, l’un comme l’autre, de visions divergentes sur la définition de la liberté et de la justice sociale.
Jacqueline
Michèle dit
Une bonne illustration du texte de Jacqueline sur l’article 40 est le cas de la Halle des sports de Villejuif, qui montre la difficulté, pour un élu ou un fonctionnaire d’une administration, de dénoncer un scandale. En alertant la justice ou l’opinion publique sur des « délits dont ils ont eu connaissance » dans l’exercice de leurs fonctions, ces fonctionnaires encourent des risques graves : licenciement, destitution, mise au placard, et… procès en diffamation ! En effet, l’article 40 leur demande de dénoncer un « délit » que la justice n’a pas encore reconnu comme tel, et donc des « suspects » qui restent présumés innocents ! D’où la difficulté à écrire simplement cet article, où il faut toujours sous-entendre « soupçonné», « allégué » etc.
C’est ce qui s’est passé pour Natalie Gandais, maire adjointe de Villejuif, en charge, entre autres, de l’urbanisme, quand elle a eu des soupçons de délit de favoritisme, dans l’attribution d’un important marché public (11 millions) , celui de la Halle des Sports. Comme le veut la procédure, elle a commencé par alerter le maire, Frank Le Bohellec (LR), et l’a mis en garde à plusieurs reprises sur les dérives constatées dans la gestion du marché de la Halle des sports. Ne voyant pas de réaction de la part du maire, Natalie Gandais lui a écrit deux lettres officielles lui annonçant que si elle n’obtenait pas de clarification, elle serait obligée de se conformer à l’article 40. Pour toute réponse, elle a été sommée … de se taire !
La veille du vote décisif de la Commission d’appel d’offre, le maire a menacé Natalie de lui retirer ses délégations si elle obéissait à l’article 40. Dès le matin, Natalie s’est rendue au commissariat, lequel a enregistré sa plainte, qualifiée de « flagrant délit de chantage ». Puis elle est allée voter « contre » mais le marché est passé.
Le délit soupçonné ainsi concrétisé par ce vote en Commission d’Appel d’Offre, Natalie Gandais a adressé à la procureure une lettre, pour lui exposer des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale, au titre de l’article 40 , lettre accompagnée d’un commentaire des faits, de leur chronologie et de 25 documents, dont plusieurs faisant preuve. La procureure a transmis cet avis à la section financière du Parquet de Créteil et celle-ci à la Brigade financière de la Préfecture de Paris (la fameuse Rue du Chateau des Rentiers, où défile le gratin de la corruption), vue l’importance des sommes en jeu.
Le maire a alors destitué Natalie Gandais de ses délégations et de son poste de première adjointe, entraînant la fin de l’Union citoyenne puisque tous les élus Verts ont proclamé leur solidarité avec la démarche de la première adjointe. Il s’en est donc suivi une crise de gouvernance.
Cette affaire, qui n’est pas terminée, pose donc bien la question : un élu, un fonctionnaire, peut-il dénoncer un scandale, de corruption par exemple, sans risquer la destitution et se retrouver au chômage ?
Michèle Narvaez
François dit
Depuis cet article excellent, le film « La fille de Brest » d’Emmanuelle Bercot est passé à une heure de grande audience sur France Télévision et est disponible en DVD.
Magnifique incarnation par Sidse Babett Knudsen.
http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=194177.html