Elles sont redescendues dans la rue, le 24 octobre 2016, des milliers de femmes vêtues de noir, arborant des parapluies noirs parfois semés de fleurs rouges, dans toutes les villes de Pologne, même les plus petites. Et elles ont réaffirmé haut et fort qu’elles n’accepteront pas le déni de liberté et de respect dont elles sont victimes de la part du très autoritaire, conservateur et obscurantiste gouvernement du parti « Droit et justice » PiS [1], influencé par un épiscopat particulièrement intransigeant.
Les femmes polonaises ont à nouveau organisé, le 24 octobre, un « Czarny Protest » (« Protestation noire ») Elles ont réaffirmé leur opposition farouche à la nouvelle proposition de loi présentée au Parlement, après le retrait de la première, que l’Assemblée n’avait pas votée en raison, déjà, de la forte mobilisation des femmes il y a quelques mois, puis le 3 octobre. Ce jour-là en effet, plus de 100 000 femmes étaient descendues dans la rue, et, le 5 octobre, le Parlement avait rejeté le projet de loi.
Mais le président du PiS, Jaroslaw Kaczynski, tout en reconnaissant que le premier projet de loi était « absurde », est revenu à la charge et a défendu la limitation de l’accès à l’avortement, « même lorsque l’enfant est condamné à mort » afin « qu’il puisse être baptisé ». Dans la foulée, un nouveau projet de loi a été présenté, et c’est contre ce projet que les femmes sont redescendues dans la rue.
En effet, cette seconde version est tout aussi dangereuse que la première. Elle va même plus loin sur certains aspects. Quels en sont les principaux points ?
L’avortement deviendra totalement illégal, sauf en cas de danger direct de la grossesse pour la santé de la femme, mais la définition de ce « direct » est laissée à l’appréciation de médecins fragilisés par les menaces qui pèsent sur eux : ils seront en effet passibles de lourdes peines de prison en cas de pratique illégale de l’IVG, ou même en cas de pratique d’interventions sur le fœtus, si bien qu’ils hésiteront à faire passer des examens prénataux à leurs patientes. De même, les pharmaciens ne pourront plus vendre de contraceptifs, sous peine de se voir infliger deux ans et demi de prison. La pilule du lendemain ne pourra être délivrée que sur ordonnance.
Toujours selon ce nouveau projet de loi, l’avortement sera illégal même en cas de risque d’un enfant mort-né ou atteint de sérieuses déformations, sauf s’il y a des jumeaux dont l’un pourrait être sauvé… Et il sera illégal même en cas de grossesse extra-utérine.
Conséquences :
- une femme n’aura pas droit à des examens prénataux pour savoir si sa santé ou celle de son enfant sont menacées. Des femmes mourront à cause d’une grossesse extra-utérine…
- les polonaises des milieux aisés pourront se faire examiner ou avorter à l’étranger. Les autres, « … feront quinze enfants », comme me disait une amie.
Un autre projet de loi est également à l’étude au Parlement polonais : il vise à diminuer drastiquement les possibilités de fécondation in vitro.
Ces projets de loi vont bien au-delà du compromis actuellement en vigueur en Pologne, où l’IVG est autorisée en cas de viol ou d’inceste, de graves pathologies du fœtus, ou de risques avérés pour la santé ou la vie de la mère.
Mais au-delà de la question de l’avortement et de la contraception, déjà cruciale pour leur vie, les femmes polonaises, toutes catégories sociales et toutes opinions politiques confondues, se battent contre l’ingérence de l’église catholique dans la vie politique, pour un État laïque, pour l’égalité hommes/femmes au niveau des salaires, et pour la reconnaissance de la dignité et de la liberté des femmes. Elles ne ressentent que haine et mépris de la part des politiciens en place, et disent « Assez ! ».
Depuis l’arrivée au pouvoir du PiS, la Pologne connaît un virage inquiétant : les libertés citoyennes sont chaque jour davantage érodées par des mesures autoritaires, et au plan international, la Pologne rejoint les pays les plus hostiles à l’accueil des réfugiés. Le gouvernement polonais tient visiblement beaucoup à l’aide économique de l’Europe, mais beaucoup moins aux valeurs démocratiques qui en sont le socle fondateur.
Le peuple polonais a ployé sous bien des jougs, finalement semblables, depuis les monarchies autoritaires -polonaises ou étrangères- joignant le goupillon au sabre jusqu’au stalinisme, qui a imprégné toute la société de l’habitude de la soumission à la hiérarchie. Le vent salutaire de Solidarnosc a soufflé sur un pays tout étonné de pouvoir enfin renverser ses barrières. Mais l’histoire a la triste coutume de revenir sur ses pas, et la menace aujourd’hui est réelle d’un retour au règne d’un despotisme à peine déguisé. La mobilisation des femmes est peut-être un levier utile pour remettre à l’ordre du jour l’exigence de droits citoyens et pour redessiner les contours de la démocratie. C’est pour cela que nous devons les soutenir avec vigilance.
[1]. « Droit et justice », est le parti conservateur, qui a remporté les élections en 2015. Son président, Jaroslaw Kaczynski, est le frère de Lech Kacsynski, président de la République de Pologne, décédé dans l’accident d’avion du 10 avril 2010 à Smolensk. Voir à ce sujet sur ce blog notre interview d’une militante du KOD de Lódz.
François dit
Merci Michèle et merci aux femmes debout de Pologne.
Cette lutte n’est pas assez relayée dans le reste de l’Europe et pourtant c’est précisément ce soutien et ce relais qui sont nécessaires pour empêcher le parti mal nommé « Droit et Justice » d’étouffer l’état de droit et l’indépendance de la justice.
Pour ce que j’ai vu il y de nombreux jeunes en Pologne qui se mobilisent face au gouvernement populiste, conservateur et liberticide.
Il y a des initiatives de solidarité et de convergences européennes auxquelles participent le KOD (voir l’interview d’une militante dans ce blog), elles participent à ce désenclavement.
Par exemple récemment à Lisbonne au Pavillon de la connaissance (nouveau musée de sciences de Lisbonne) :
http://www.kod.ngo/kod-net4society-event-democracy-europe-lisbon/
avec le réseau Net4Society
http://www.net4society.eu/