Nous donnons à nouveau la parole à nos amis polonais qui défendent la démocratie, contre un parti au pouvoir autoritaire et liberticide. Nous avions déjà, dans des articles précédents, évoqué ces dérives de l’actuel gouvernement polonais, sous la férule du PiS (le Parti Droit et Justice, nationaliste et conservateur).
Nous avions déjà, dans des articles précédents, évoqué les dérives autoritaires et liberticides de l’actuel gouvernement polonais, sous la férule du PiS (le Parti Droit et Justice, nationaliste et conservateur).
Le 20 décembre dernier, après des mois de mise en garde, la Commission européenne a décidé d’enclencher une procédure sans précédent à l’encontre de la Pologne, procédure qui peut aller jusqu’à priver le pays de ses droits de vote dans l’Union européenne si le gouvernement ne renonce pas à ses réformes judiciaires visant à museler la justice. Il s’agit en effet aux yeux de la Commission de menaces importantes sur l’État de droit et la démocratie. Certes, la procédure européenne est très complexe et si un seul pays y met son veto, elle ne peut aboutir, or un pays comme la Hongrie est susceptible de soutenir le gouvernement polonais jusqu’au bout.
Des évolutions récentes laissent cependant à penser que les menaces européennes n’ont pas laissé le gouvernement polonais de marbre : c’est d’abord, le 7 décembre dernier, la Première ministre polonaise, Beata Szydlo, qui a remis sa démission, véritable coup de tonnerre dans la mesure où elle semblait à la fois influente et populaire. Elle a été remplacée par le ministre des Finances Mateusz Morawiecki, considéré comme beaucoup plus modéré. Ce dernier a de suite limogé ses ministres de la Défense et des Affaires étrangères, juste avant sa rencontre à Bruxelles avec Jean-Claude Junker, le chef de la Commission européenne. Ils ont été remplacés par des ministres eux aussi réputés plus modérés. Ce remaniement peut être considéré comme une main tendue à l’Europe. Junker et Morawiecki, à l’issue d’un dîner de travail, ont vanté le caractère « constructif » de leurs échanges et ont promis de se revoir d’ici à la fin février.
L’opposition reste cependant sceptique : « De notre point de vue, rien ne change. Même s’il y a de nouvelles personnes, de meilleure allure, au bout du compte elles devront toutes suivre ce que leur dira Jaroslaw Kaczynski, le chef du PiS », a dit Tomasz Siemoniak, le numéro deux du parti d’opposition centriste, Plateforme civique (PO).
Et le 17 janvier, de nombreux polonais sont descendus dans la rue, femmes en tête, pour manifester contre le projet de loi qui menace de supprimer le droit à l’IVG même en cas de malformation du fœtus.
Voici la traduction d’un texte qui nous a été adressé à la toute fin de l’année 2017 par une amie polonaise, militante du KOD (Comité de défense de la démocratie). Ce texte pointe les cinq nouvelles menaces qui pèsent sur la liberté en Pologne.
Les tribunaux
En juillet, le PiS a commencé à changer trois lois concernant les tribunaux. La première loi concerne toutes les instances des tribunaux courants. La seconde loi porte sur la Cour Suprême et la troisième sur le Conseil national polonais de la magistrature, un corps spécifique à la Pologne. Les conséquences pratiques de ces trois lois est la subordination du pouvoir judiciaire au parti au pouvoir et la liquidation de la séparation des pouvoirs en Pologne.
Ces faits ont provoqué la colère de la population et il y a eu des manifestations dans toute la Pologne pendant des jours. La principale manifestation a eu lieu autour du Parlement polonais, là où toutes les organisations démocratiques font la « cité ». Nous avons passé une partie de l’été à voyager entre Varsovie et nos villes respectives. Nous avons arpenté toute la rue de Varsovie qui mène du Parlement au bureau de la Présidence. Nous avons organisé dans des centaines de villes ce que nous avons appelé « Les Chaînes de Lumières » devant les tribunaux, avec des citoyens brandissant des bougies la nuit. Certaines manifestations ont été organisées ou co – organisées par des juges, qui n’ont pas l’habitude de participer à la vie politique en temps normal, mais nous sommes dans une situation extraordinairement dangereuse. Quand les projets de loi sont arrivés à la Diète (NDR : Chambre basse du Parlement) et au Sénat, nous avons réclamé que le Président y oppose son veto, en prenant « 3 vetos ! » comme principal slogan.
Ce qui était étonnant, c’est le nombre de gens qui ont pris part aux manifestations. Beaucoup de jeunes gens, dont on pensait qu’ils n’allaient pas s’intéresser à la situation, ont rejoint les manifestations, et, de fait, ont constitué leur principale force. J’ai vu une fois les jeunes marcher à Varsovie, conscients de leur pouvoir et de leur énergie. Dans les petites villes, il y a eu de nombreux cas où la manifestation a commencé avec une seule personne debout, une bougie à la main, devant le tribunal, et d’autres sont venues rejoindre le courageux, de plus en plus nombreux chaque jour. Des membres du PiS ont prétendu que ces gens ne manifestaient pas mais sortaient juste pour une promenade par les chaudes soirées d’été… Les manifestants se sont emparés de cette déclaration, et se sont appelés eux-mêmes les « poussettes » !
Du coup, le Président a mis son veto sur deux projets de loi -celui sur la Cour Suprême et celui sur le Conseil national de la magistrature. Il a signé la loi sur les tribunaux courants, loi en vertu de laquelle le Ministre de la Justice (qui est déjà le principal procureur!) peut, par exemple, renvoyer un Président de Tribunal s’il (ou si elle) ne fait pas ce qu’on attend de lui (d’elle). Mais une des raisons pour ne pas signer ces deux projets de loi a été qu’ils attribuaient trop de pouvoir au Ministre de la Justice, affaiblissant ainsi le Président. Ce dernier a promis de revenir avec ses nouvelles rédactions pour les deux projets en question. C’est ce qu’il a fait et le PiS a amendé les deux projets en son sens, si bien qu’ils sont tout aussi inacceptables et en contravention avec la Constitution que ceux de juillet. Ils sont déjà acceptés par la Diète, et on attend la décision du Sénat et du Président. Malheureusement, le chef du gouvernement ne nous a pas laissé beaucoup d’espoir en ce qui concerne les décisions du Président. La semaine prochaine sera notre seconde semaine de protestations d’automne. Nous n’allons pas baisser les bras, même si la situation est devenue plus grave.
Si nous perdons, notre seul espoir est d’ordre judiciaire. Puisque les trois projets de loi sont anti – constitutionnels, les juges devraient appliquer la Constitution, c’est à dire appliquer d’autres lois en conformité avec ce que leur dicte leur conscience : plusieurs d’entre eux ont déclaré y être prêts.
Les élections
Un autre projet de loi crucial dont ils se mêlent est celui qui règle le système électoral. L’objectif des changements prévus est de subordonner le Comité National électoral au parti au pouvoir, et de liquider le modèle judiciaire, dans lequel le pouvoir suprême était entre les mains des juges de la Cour Constitutionnelle, de la Cour Suprême et de la Cour Suprême administrative. Entre autres mécanismes, le gouvernement du PiS envisage aussi d’introduire des changements dans les cartes électorales, de façon à ce qu’il soit plus facile de falsifier le résultat des élections. Ils pourront aussi modifier à leur guise les circonscriptions et il n’y aura plus de possibilité de voter par courrier postal.
Nous nous préparons pour les élections et organisons des groupes de personnes impliquées dans leur contrôle, mais les amendements sur lesquels le PiS travaille sont effrayants.
L’avortement
En ce qui concerne l’avortement, une fois de plus il y a un projet de loi « pour la vie » et un autre projet « pour le droit à choisir ». Et ils vont ouvrir cette boîte quand la situation sur d’autres fronts va devenir trop grave ou quand ils vont introduire quelque chose de si dangereux qu’ils auront besoin de détourner l’attention des gens.
La scène démocratique
Il convient de noter les changements dans ce domaine. Lors de nos précédentes discussions, l’année dernière, le KOD était le seul contre pouvoir qui comptait en termes d’organisation citoyenne. Depuis, de nombreuses organisations se sont fondées, beaucoup d’entre elles directement nées du KOD. La plus importante et la plus radicale (elle organise des actions de rue devant le Parlement) est « Obywatele RP » (Citoyens de la République de Pologne). Une autre, créée plus ou moins au même moment que le KOD, est « Aksja Democracja » (Action pour la Démocratie). Ce sont les organisations les plus solides en termes de capacité à appeler les gens à se joindre aux manifestations. L’avenir de ces manifestations repose sur la capacité de coalition de ces différents groupes civiques.
L’Homme Gris
Ce blog a relayé l’appel de cet homme qui s’est immolé par le feu pour protester contre ce que le parti au pouvoir impose à notre société. Il l’a fait le 19 octobre 2017, en plein cœur de Varsovie. Il avait sur lui un haut parleur et son manifeste que l’on peut lire en polonais et en anglais sur le blog « Skwer Wolności », et en français dans un article précédent. En fond sonore il faisait entendre une chanson que nous aussi avons chantée lors de nos manifestations et dont les mots disent : « J’aime la liberté et je ne sais pas comment je pourrais la rendre ». Dans sa lettre, il a exprimé toutes nos craintes.
Piotr Szczesny, c’est son nom, est mort début novembre. Des milliers de personnes sont venues à ses funérailles. Dans nos manifestations, nous rappelons son sacrifice.
Une fois encore, Europe, soutiens-nous !
Je ne peux m’empêcher, en traduisant ce texte, de penser à un autre pays, situé à l’opposé de notre planète : le Chili, qui a élu le 17 décembre 2017 pour Président Sebastian Piñera, 68 ans, millionnaire (sa fortune est estimée à plus de 2 milliards d’euros, ce qui en fait l’un des hommes les plus riches de son pays). Même s’il a marqué par le passé ses distances avec la dictature de Pinochet, il a été élu avec le soutien du candidat d’extrême-droite José Antonio Kast, fervent partisan du dictateur . Piñera a proposé dans sa campagne de revenir sur les mesures du gouvernement socialiste de Michelle Bachelet comme le mariage homosexuel et l’avortement.
C’est la seconde fois qu’il occupera le fauteuil présidentiel, mais il n’aura pas la majorité au Parlement, ce qui lui laissera les mains moins libres. Sa victoire, contre Alejandro Guiller, le candidat de centre gauche, est largement due au mécontentement de l’opinion publique chilienne contre Michelle Bachelet, la présidente sortante, empêtrée dans des affaires de corruption et fragilisée par les révoltes étudiantes. Le parti qui a aujourd’hui vent en poupe est le Frente Amplio, de la gauche radicale, qui est devenu le principal bloc de gauche avec 20 députés et un sénateur.
Deux pays, deux reculs pour deux sociétés.
Les défenseurs de la liberté et de la démocratie polonais et chiliens auront besoin qu’on diffuse et qu’on soutienne leur lutte !
Michèle Narvaez
François dit
« La Pologne ne fera aucune concession dans son différend avec l’Union européenne sur la réforme de son système judiciaire », déclare Jaroslaw Kaczynski, le président du parti au pouvoir Droit et Justice (PiS), dans la presse de ce vendredi 26 janvier. Celui-ci évoque « les puissances qui, depuis des années, traitent la Pologne comme leur pré carré » pour rallier sur son projet de régression démocratique les forces nationalistes de son pays.
Ca promet !
Un peu plus « ouvert » ou « tactique », le ministre des Le nouveau ministre polonais des Affaires étrangères, Jacek Czaputowicz, a déclaré la semaine dernière que la Cour européenne de Justice était « la seule institution » habilitée à juger du respect ou du non-respect des normes européennes par la Pologne.
Répartition des rôles ? Hypocrisie diplomatique ? Nous le saurons vite. Merci de cet article très utile sur une zone trop oubliée de l’Europe.
cf. mediapart
https://www.mediapart.fr/journal/international/260118/varsovie-ne-cedera-rien-lue-sur-la-reforme-judiciaire-dit-kaczynski