Chers amis,
Comme beaucoup d’autres Italiens vivant à l’étranger, travailleurs et émigrés de très longue date, j’ai voté hier, quelques jours à l’avance, pour l’élection des futurs représentants à la Chambre des députés et au Sénat de la République.
Sans enthousiasme, sans illusion, sans complicité, sans intérêt personnel, mais avec la conscience politique et civile de la nécessité de voter et de choisir une liste franchement et historiquement démocratique avec toutes ses qualités et ses défauts. Un acte modeste, infinitésimal qui n’est pas très voyant mais qui est pourtant à la base de notre propre démocratie.
La démocratie est peut-être aujourd’hui la seule véritable utopie qui nous reste, une utopie concrète, imparfaite – la « démocratie parfaite » est une forme de totalitarisme, et ressemble beaucoup à cette « dictature parfaite » génialement évoquée par l’écrivain Mario Vargas Llosa – et donc perfectible, contradictoire, basée sur la médiation, le compromis, la représentation, le droit à la parole mais aussi le devoir et le plaisir variable de l’écoute. Et cette attention portée à l’autre, qu’elle ou qu’il soit célèbre ou inconnu(e), pauvre ou riche, qui est aussi en première et dernière instance le meilleur moyen de se réaliser soi-même.
Ces valeurs sont peut-être peu attrayantes, peu héroïques, mais infiniment plus humaines et plus justes que le « rêve » télévisuel, publicitaire et informatique d’une élection immédiate d’un homme ou d’un groupe qui tend à mettre entre parenthèses les garanties constitutionnelles pour donner à l’électorat l’illusion fatale (et mortelle) d’un choix direct, fondé sur le fantôme d’une relation privilégiée entre le chef et ses sujets. Et l’illusion pernicieuse d’avoir lui-même, l’électeur, dans ses propres mains, et sans aucune intervention de l’esprit, pour un acte de réflexion mutuelle et magique entre l’écran et le spectateur, un pouvoir presque absolu, enfin indiscutable. Quiconque ne se leurre pas, permettez-moi de penser, ne sera pas déçu.
Les Italiens pourraient être un peuple merveilleux. Et pour la plupart, ils le sont vraiment.
À l’étranger, ils sont très aimés pour ces raisons : imagination, créativité, intelligence, capacité d’établir des relations fécondes et fructueuses entre différents univers et disciplines, sens de l’harmonie, de l’élégance et de la beauté, anciens et modernes.
Certains d’entre eux, cependant, ont une fascination plus ou moins inconsciente, profonde et, je le crains, irrémédiablement enracinée pour le bandit qui truque la loi, le leader qui enfreint les règles du jeu (et donc le jeu lui-même), conjuguée à l’ennui pour cette complexité que chaque réalité politique réelle exige et manifeste. Ils cultivent souvent la tentation de ne pas penser la politique, de ne pas choisir, de ne pas agir dans les cas les plus nobles pour l’éviter comme une chose sale, un lieu peu fréquentable bien que très fréquenté, comme un bordel. D’autres ont simplement tendance à se déguiser, sauf à l’utiliser à l’occasion pour leurs propres intérêts personnels en élisant alors (ou en les laissant élire) ces acteurs politiques qui manifestent, avec toute leur histoire, leurs actions, leurs paroles, leur affirmation arrogante, bruyante et très souvent violente de leurs propres intérêts personnels.
L’extrême-droite (comme d’ailleurs l’extrême-gauche), la démocratie autoritaire qui utilise les instruments de la démocratie réelle pour la détruire, et enfin le fascisme sont des expressions de la volonté de contourner la médiation, donc la pensée, et d’accéder « directement » et précisément au pouvoir suprême et de déterminer ainsi de façon catastrophique, la vie et l’existence quotidienne des citoyens.
Les Italiens vivant à l’étranger et l’enseignement, la recherche, la culture, le rôle politique, économique et stratégique important de l’Italie dans le monde ont énormément souffert au cours des cent dernières années, pour ne pas dire plus, de ces dérives grotesques et parfois effrontées, perverses et indécentes de notre classe politique.
Hier, j’ai voté, comme je l’ai toujours fait tout au long de ma vie, en faveur d’une démocratie imparfaite qui pourrait peut-être s’améliorer avec le temps, sans jamais devenir « parfaite ». J’appelle humblement mes chers concitoyens, en Italie et dans le monde entier, à faire de même : voter d’abord pour la démocratie et non pour des groupes politiques qui ont toujours agi pour saper ses fondements.
Je vous remercie de votre attention,
Michele Baraldi.
Michele Baraldi est un écrivain italien vivant en France
Elezioni in Italia e all’Estero : Élections en Italie et à l’étranger
- La lettre dans sa version originale en italien
Ouvrages récents de Michele Baraldi
- Nel respiro del vuoto mediano – Anthologie consacrée à l’oeuvre poétique et calligraphique de François Cheng, Casa Editrice San Giorgio, Genova 2009
- Le Pont habité, Editions 1:1, Paris 2011
- Libro della memoria e dell’erranza I La tentazione del vuoto, SE, Milan 2015
- L’enigma della sorgente – Poesie in versi e in prosa 1981-2016 – SE, Milan 2016
Narvaez Michèle dit
J’ai bien aimé ce texte, modeste et émouvant. Aujourd’hui, à l’heure où les prévisions les plus pessimistes semblent s’être réalisées, on ne peut que se dire que Michele Baraldi a eu raison de l’écrire.
Je voulais lui répondre que, même si la démocratie sera toujours imparfaite (car toujours « à faire »), on peut essayer de faire émerger des formes meilleures de démocratie (c’est ce que veut expérimenter par exemple la transition énergétique, sociale, solidaire). Mais pour « parfaire » une démocratie, encore faut-il qu’elle existe… et en Italie, même si le résultat vient des urnes, ce n’est pas gagné…