La lecture de l’article sur Rivesaltes guide naturellement la pensée vers un autre coin de notre beau midi bercé par le chant des cigales : pas bien loin d’Aix-en-Provence, il y a eu un autre camp, celui des Milles, dont le nom provient sans doute d’une famille de bergers, les Mielles, qui ont planté là leurs bâtons au XVIème siècle.
Ouvrez un camp, il vous servira toujours à quelque chose : telle est la sombre lecture possible de l’histoire tragique de ce camp, histoire qui se divise en plusieurs phases au long des trois années de son activité.
Il fut ouvert dès septembre 1939, à la déclaration de la guerre, dans une tuilerie en faillite, sur décision du gouvernement radical-socialiste de Daladier et de son ministre de l’Intérieur Albert Sarraut (1), pour interner les ressortissants du Reich, sans distinguer les nazis des nombreux antifascistes, juifs, communistes, artistes et intellectuels, qui avaient fui l’Allemagne ou l’Autriche dès avant 1936 : méfiance et haine de l’étranger favorisent absurdement l’amalgame et tous, considérés comme « sujets ennemis » se retrouvent internés dans des conditions précaires, aggravées par la pagaille administrative.
À partir de 1940, après la signature de l’armistice, et sous le régime de Vichy, le camp, surpeuplé (3500 internés en juin) devient un camp pour les « indésirables » (2) : on y transfère pêle-mêle des Espagnols des Brigades internationales, des juifs expulsés d’Europe, des étrangers en transit pour une émigration Outre-Mer. Tout un trafic se met en place, avec des filières plus ou moins criminelles, tandis que les conditions de vie se dégradent.
En 1942, avant même l’occupation par les nazis de la zone Sud, le camp assure une nouvelle fonction et devient une antichambre de la mort, camp de déportation vers Auschwitz, via Drancy ou Rivesaltes, pour plus de 2000 juifs, dont plus d’une centaine d’enfants et d’adolescents. En réaction, des hommes et des femmes aident les internés, plusieurs seront reconnus Justes parmi les Nations. Après 1942, le camp n’accueille plus d’internés et il sera vidé en décembre 1942. D’autres camps existaient dans les départements voisins, à Toulon, Alès, Loriol par exemple.
En résumé, ce camp a vu passer plus de 10 000 internés, originaires de 38 pays, et parmi eux un grand nombre d’intellectuels qui y ont laissé des traces au cours de leur séjour : environ 350 œuvres peintes, sans compter les décorations ou graffitis anonymes, ont été retrouvées sur les murs des bâtiments, comme celles de Max Ernst ou Hans Bellmer. Peintres, sculpteurs, mais aussi musiciens, écrivains, acteurs, professeurs d’université, prix Nobel, architectes, hommes politiques, se sont côtoyés aux Milles, et ont essayé d’y maintenir une activité culturelle pour préserver leur santé morale et leur dignité.
Après la guerre, certains témoins et rescapés commencent à évoquer les Milles, mais il faudra attendre 1993 pour que soient classées les peintures murales du camp au titre de monument historique. De nombreuses initiatives aboutissent au classement de l’ensemble du site en 2004. Racheté avec le concours de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, ce dernier devient en 2012 un site-mémorial, inauguré par Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre. C’est un lieu de mémoire, avec un projet éducatif soutenu entre autres par Simone Veil et Robert Badinter, et qui propose expositions, médiathèque, rencontres, accueil des scolaires.
Aujourd’hui, le camp a donc enfin une vocation fraternelle…
Notes
- Ce député radical-socialiste votera sans états d’âme les pleins pouvoirs à Pétain en 1940.
- C’est à cette période que se déroule l’intrigue du film Les Milles, le train de la liberté, réalisé par Sébastien Grall en 1995.
Voir aussi
- L’article sur le camp de Rivesaltes de Jacqueline Boutin
- L’article sur Calais de Jacqueline Boutin
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