Notre ami Daniel Fortin, notre camarade Vauban a décidé de mettre fin à ses jours le matin du 5 juin.
Cette réalité accablante est le dernier acte de liberté de Daniel avant un rendez-vous médical où il risquait d’être amputé de sa seconde jambe.
Daniel Fortin a toujours été un humain debout, un lutteur pour le collectif. C’était un ouvrier du livre, longtemps retoucheur-graveur à l’imprimerie Georges Lang, rue Archereau à Paris 19.
Syndiqué à la CGT, il avait rejoint l’organisation Révolution ! en 1972.
Il avait participé aux luttes dont celle contre la délocalisation de l’usine dans les années 70 avant d’être licencié.
Après une période difficile pour retrouver un emploi même éloigné, il s’était retiré autour de l’an 2000 à Rahart dans le Loir-et-Cher où il s’était mis à peindre.
Mais sa santé est devenue problématique depuis 10 ans (diabète, gangrène, problèmes aux reins, au cœur, aux poumons, aux yeux) amenant une amputation d’une première jambe et un parcours épuisant avec un lot particulier « d’erreurs médicales ».
Il avait apprécié récemment le livre de Didier Ménard « Médecine de ville en péril » et celui de Pierre Jourdain « L’usine, parcours de femmes et d’hommes à Tréfimétaux ».
Sa fin de vie brutale mais choisie a choqué sa famille et ses amis qui témoignent ici.
Témoignage de Henri Marchellier (ancien de Lang)
Les nouvelles étaient rares, mais nous sommes entrés dans le temps ou les mauvaises prennent le dessus, nous finirons bientôt par redouter ces nouvelles qui sont trop souvent les dernières.
Lors de notre rencontre en 2012 j’avais espéré revoir Daniel, il n’avait pas pu venir… Donc depuis 78, ou quelque chose comme ça nous ne nous revîmes plus… un bail ! Pourtant il était toujours là, quelque part, pas si loin.
Comme tu l’expliques ses dernières années ont été difficiles mais comme tu as raison de dire que sa fin est aussi un acte de liberté, c’est ainsi que nous le connaissions, c’est ainsi qu’il était.
Ces souvenirs qui reviennent, c’est l’occasion d’évoquer nos échanges à l’époque sur nos vies, nos expériences. Je me souviens que Daniel m’a raconté qu’avant de travailler dans l’imprimerie (il n’a jamais été typographe !) il était peintre en affiches de cinéma.
Te souviens-tu cette époque ou les cinémas arboraient pour attirer le spectateur ces toiles représentant une séquence du film, ou le plus souvent, les vedettes mises en scène. Ces peintures, parfois naïves, parfois maladroites et d’autres fois quasiment artistiques, c’était son taf de l’époque…
La technologie a eu raison de ce métier sympathique et Daniel s’est retrouvé dans l’imprimerie, chez Lang.
Armé de son bagage de peintre il est devenu retoucheur de cylindre en héliogravure. Là tu m’excuseras de faire un petit aparté technique mais il est utile à la compréhension de l’ensemble : l’héliogravure consistait donc a reporter la forme imprimante sur un cylindre recouvert d’une couche de cuivre. Après une série assez complexe d’opérations photomécaniques le cylindre gravé à l’acide à travers une trame présentait donc un nombre considérable de petites alvéoles destinées à recevoir l’encre qui permettrait de reproduire l’image espérée.
Hélas il y a toujours des imprévus, des fausses notes, des erreurs qui compromettent le résultat espéré. Le coût élevé de ces opérations faisait que, lorsque c’était possible, plutôt que de regraver un cylindre on le confiait aux « retoucheurs cylindres ». Munis de burins, de pointes sèches, de tampons d’eau forte, leur travail, leurs outils étaient ceux d’un graveur en taille douce. Travail hautement qualifié, qui plaçait ceux qui le pratiquait haut dans la hiérarchie ouvrière.
Évidemment Daniel ne se souciait guère plus de cette hiérarchie que des autres, mais je voulais retracer un morceau de son itinéraire atypique qui a fait de lui un homme libre, ouvert aux autres, ouvert à toutes les cultures.
Nous nous souviendrons toujours de sa verve, de son humour qui nous empêchaient de nous prendre trop au sérieux.
Salut Daniel, adieu camarade.
Message de Pierre Josse aux fils Fortin
Je suis Pierre Josse, un ancien camarade de Daniel. J’ai été roto en 1972 chez Georges Lang pendant deux mois, mais je n’y suis resté que deux mois, car trop dur physiquement (3 x 8 infernales et puis de toutes façons Mr Lang ne souhaitait pas me garder !) et j’ai choisi alors de travailler plutôt à l’imprimerie Draeger (mais en 2 x 8 !). Avec votre papa, nous avons mené longtemps des luttes contre la restructuration du Livre et j’ai l’émouvant souvenir d’un camarade exceptionnel de gentillesse et de lucidité politique, dans une période pas facile facile à l’époque.
Ces dix dernières années nous virent reprendre contact (avec François et d’autres amis) et j’eus l’occasion à nouveau de vivre, par réseaux sociaux et téléphoniquement, les chaleureux rapports du passé. Sa peinture, pleine de fraîcheur, d’optimisme, reflétait vraiment ce que nous aimions en Daniel. Il aimait de son côté mes choix de blues ! Nous avons d’ailleurs tenté plusieurs fois de venir le voir. En vain, mais nous comprenions et respections sa délicatesse et sa pudeur.
A toute sa famille, j’exprime ma tristesse et en même temps nous garderons pour toujours le beau et généreux souvenir que nous laisse Daniel.
Salut et fraternité.
Message de Pascal Etienne pour la famille de Daniel Fortin
Chère Gigi, chers Pascal, Didier et Marco,
François vient de m’apprendre la mort violente de Daniel. J’en suis très triste et je voudrais exprimer à chacun d’entre vous toute ma sympathie et mon soutien face à cette épreuve.
Je souhaite également partager avec vous le très bon souvenir de Daniel que j’ai rencontré chez vous, dans votre appartement de la rue du Poteau pendant ces années 1970 marquées par tant d’espoir et de projets que nous échafaudions en commun après son service à l’imprimerie Lang, dans la salle à manger où vous faisiez parfois un passage éclair, dont je me souviens comme si c’était hier.
Pour moi Daniel était un homme très droit, avec des convictions mais ouvert à la discussion, qui ne se plaignait jamais face aux difficultés. Alors que nous étions très différents à l’époque, du fait de notre âge, notre situation familiale, nos origines sociales, j’ai toujours ressenti une grande proximité et authenticité dans notre relation. Nous discutions de nos activités politiques bien sûr mais aussi nous parlions de son passé : il évoquait sa jeunesse militante rue de Joinville dans le Paris du canal de l’Ourcq, sa mobilisation pendant la guerre d’Algérie… Parfois aussi, j’étais surpris par nos différences, par exemple son goût pour la pêche à la ligne, sans doute pour oublier le bruit des rotatives.
Ce qui m’a toujours frappé, c’était l’étendue de la culture et des connaissances de Daniel. Comme il était peintre à ses heures et graveur, nous avions échangé au sujet du graveur hollandais, M.C. Escher, que j’avais découvert de mon côté. Admirateur de Coluche, Il avait aussi beaucoup d’humour et le sens de la dérision : il ne se prenait pas au sérieux même s’il avait des idées bien ancrées.
Nous n’avons finalement pas pu nous revoir ces dernières années, mais il reste pour moi une grande figure, un camarade, au sens fort du terme. Je sais qu’il tenait beaucoup à vous tous et maintenant qu’il est parti, il nous reste sa précieuse mémoire qui ne s’éteindra pas.
Bien affectueusement.
Pascal Etienne
Rémi Gruber : une photo attachante de Daniel
Rémi travaillait chez l’imprimeur Blum (République) en 1975. Rémi est l’auteur du portrait de Daniel Fortin à l’occasion d’un meeting à Paris (Ageca) en soutien aux travailleurs de l’IMRO (imprimerie rouennaise) qui occupent leur usine contre les licenciements en 1976.
Michèle Narvaez
Sa photo a fait remonter en moi plein de souvenirs. la lutte de Lang, les AG… il a fait un choix digne, à un certain moment continuer à vivre est absurde…
Tristesse…
Stéphane Bernard
Merci François pour ce mail. J’ai forcément connu Daniel car la cellule Imprimerie (principalement) Georges Lang était une des rares cellules ouvrières. (De plus j’ai été dans l’équipe de l’école de formation ouvrière de l’organisation, pilotée par Izy et Gus). J’ai relu, avec émotion, ta liste de mails.
Et puis j’ai relu les « nouvelles » que tu nous donnes sur une vie, 45 ou 50 ans après.
Merci. Salutations fraternelles, comme on dit dans une certaine tradition.
Transmets les à la famille de Daniel (je ne sais pas si ça aide, mais je sais que le vide aggrave).
Amitiés
Stéphane (Grakus)
Témoignage François Vescia le 12 juin 2023
Il semble étonnant de nous retrouver dans une église autour de Daniel.
Mais tous les endroits sont adaptés pour un au revoir collectif à quelqu’un que nous avons aimé.
Daniel tu savais rassembler, tu savais créer de la ferveur autour de toi, tu savais la valeur de la solidarité.
C’est pour cela que tu avais rejoint notre jeune organisation au début des années 70. Nous nous retrouvions 2 fois par mois pour partager les nouvelles, pour mettre en commun notre compréhension de la situation sociale et politique, pour décider d’actions.
Les imprimeries quittaient une à une la capitale, partaient en banlieue ou plus loin encore. Les ouvriers de Draeger, de Lang, de l’IMRO et bien d’autres étaient en lutte pour leurs conditions de travail ou pour maintenir leurs emplois. Les ouvriers de Lip reprenaient le contrôle de la production.
Ce qu’on appelait une réunion de cellule, tantôt chez les uns, tantôt chez les autres était d’abord un moment de retrouvailles, parfois un repas partagé. Ceux de l’extérieur diffusaient à la porte de l’usine des tracts sur les diverses luttes dans l’imprimerie et soutenaient ceux de l’intérieur (Daniel à la CGT, Sylvain à la CFDT).
Te côtoyer à cette occasion créait des liens précieux. Je venais te voir rue du Poteau. Quelquefois je ne sais si Pascal s’en souvient, je lui faisais un peu de soutien scolaire car j’étais prof de maths en lycée professionnel. Je me rappelle de Gigi qui m’a montré alors une des premières calculatrices électroniques que j’ai vue.
Puis nous avions arrêté de nous prendre pour une avant-garde mais les liens demeuraient. Tu as traversé une phase difficile après avoir perdu ton emploi. Je t’ai retrouvé plus tard quand tu es venu vivre dans le Loir-et-Cher. Ces dernières années nous échangions au téléphone sur la vie de sa famille, sa santé et la situation politique et avec quelques amis nous voulions venir te voir.
Daniel, je me souviens de ton rire, de ton ironie, même dans l’adversité. Je me souviens de ton accent parigo, gouailleur, généreux. Je me souviens de tes étonnements devant les mauvaises décisions médicales. Je me souviens de combien tu étais fier de parler de ta famille qui t’entourait, de tes fils, de tes belles-filles, de leurs enfants.
Malgré les difficultés de santé de Gigi et de toi, tu étais d’un courage héroïque. Tu étais très lucide, tu restais fidèle à tes révoltes profondes.
Dans ta peinture loin des turbulences tu montrais un monde apaisé.
Un jour tu as pris un jour ta décision, cette décision tu en avais parlé je t’entends dire « je ne supporterais pas de perdre ma seconde jambe ». C’était difficile de prendre à la lettre ce que tu disais. C’était ta façon de refuser l’insupportable –la dépendance, la souffrance-, on te rognait ses ailes, toi qui voulais être debout.
Daniel dans nos mémoires et dans nos cœurs, tu seras toujours debout.
En famille
Dans son atelier
Edgar Morin dans Terre-Patrie
Chaque être humain est un cosmos, chaque individu est un grouillement de personnalités virtuelles, chaque psychisme secrète une prolifération de fantasmes, rêves, idées.
Chacun vit, de la naissance à la mort, une tragédie insondable, scandée de cris de souffrance, de jouissance, de rires, de larmes, d’accablement, de grandeur et de misère.
Chacun porte en soi trésors, carences, failles, gouffres. Chacun porte en soi la possibilité de l’amour et du dévouement, de la haine et du ressentiment, de la vengeance et du pardon.
Tu portais toi Daniel la solidarité, la fraternité et l’humour.
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