Les photos et les interviews fréquentes depuis mai 2019 ont rendu son personnage familier et sympathique aux français : Daniel Cueff, maire de Langouët (Ille-et-Vilaine, 602 habitants, 710 vaches), fait figure d’Astérix dans sa confrontation avec les lobbys agro-industriels.
Si la sympathie de l’opinion lui est si facilement acquise, c’est que, tel José Bové en 1999, Daniel Cueff incarne de façon assumée le petit maire qui ne veut pas être écrasé par les puissances politiques et économiques. Le combat de la légitimité morale contre la défausse de l’État. La protection des habitants contre la logique de court terme de l’agriculture industrielle. La santé des populations (riverains, paysans responsables) contre des épandages de pesticides de synthèse aux effets soit dangereux, soit inconnus. La biodiversité contre les monocultures d’exportation. La qualité du vivre et du manger en France contre l’industrialisation mondialisée de l’alimentation. L’engagement d’un maire contre les arguties juridiques de la 5ème république.
Un sondage IFOP indique que 96 % des personnes interrogées se déclarent favorables à son arrêté́ d’éloignement des pesticides [1].
Si son action de transformation de son village a commencé il y a vingt ans, c’est seulement depuis le 18 mai 2019 qu’il est devenu un sujet « médiatique ». Ce jour-là, dans le cadre d’une fête du Mouvement des coquelicots [2]] à Langouet, le maire vêtu d’une combinaison d’apiculteur et de son écharpe tricolore rend public un arrêté municipal. Interpellé par des habitants de la commune contaminés par du Glyphosate, le plus utilisé des pesticides, Daniel Cueff décide de créer une distance de sécurité, la Zone de non traitement (ZNT), jusqu’à 150 m des habitations.
Des plans Eco-phyto, juste pour la photo ?
Sans interdire complétement les pesticides de synthèse, son arrêté aménage les conditions de cohabitation dans le cadre de la ruralité entre la santé des riverains et l’utilisation de pesticides sur de nombreuses parcelles agricoles. Et pourtant, ce recours aux pesticides a été régulièrement présenté comme excessif par les responsables politiques en France et en Europe. Le plan EcoPhyto — issu du Grenelle de l’Environnement en 2008 sous la présidence Sarkozy — prévoyait pourtant sa diminution de 50% d’ici 2018 ! Quelques années plus tard, en 2015, sous la présidence Hollande, le plan EcoPhyto II constate que la consommation de pesticides a poursuivi sa croissance. Il est décidé que celle-ci devait diminuer de 20% d’ici 2020 et de 50% d’ici …2025.
Même si ces deux plans EcoPhyto ont été accompagnés de financements publics significatifs, en février 2020, la cour des comptes constate que les résultats n’ont pas été au rendez-vous avec une augmentation de 25 % en nombre de doses unités — une nouvelle croissance plutôt que la diminution programmée !
Une vague de prises de positions
La décision du maire de Langouet de créer une zone de protection de 150 mètres est populaire. Elle suivie par plus de 120 communes et 2 départements qui bravent l’autorité de l’État.
Face à cette fronde, la réponse du gouvernement est de faire intervenir les préfètes ou les préfets (intimidation ou attaque devant les tribunaux administratifs).
Le 26 juin 2019, le Conseil d’État lui-même avait recommandé de combler le vide juridique sur les conditions précises d’utilisation des pesticides constatant que l’arrêté́ ministériel de 2017 ne « protégeait pas suffisamment la santé et l’environnement » ; Il donne six mois au gouvernement pour faire des propositions, au plus tard au 1er janvier 2020.
Le 23 août 2019, la réponse du président Macron, en direct sur la plateforme en ligne Konbini, relève d’un « en même temps » schizophrénique : « Le maire de Langouët a raison dans ses intentions, mais il y a des lois, [la préfète] doit les faire respecter, donc je serai toujours derrière les préfets qui font respecter les lois » … « la solution n’est pas de prendre un arrêté́ qui n’est pas conforme à la loi », mais plutôt « de mobiliser pour changer la loi »[3].
Avec pareil encouragement à aller de l’avant, on imagine que le gouvernement va agir avec résolution.
Le gouvernement prend la décision de lancer une consultation publique en ligne sur le site du ministère de l’Écologie. Celle-ci ouvre le 9 septembre pour un peu moins d’un mois. Pourquoi si peu de temps et si peu d’information sur cette consultation ? Le questionnaire limite singulièrement les options possibles : 3, 5 ou 10 mètres.
La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) syndicat puissant et hégémonique ainsi que le ministre de l’agriculture Didier Guillaume martèlent l’impossibilité de mettre en place de véritables « Zones de non-traitement » qui protègent les populations au-delà de ces distances dérisoires.
Finalement le résultat de la consultation publique (53 000 répondants) ne semble pas encourager l’attentisme, au contraire malgré les efforts de la FNSEA de mobiliser ses réseaux. Il n’est pas rendu public.
Une décision contestée prise en catimini
Le 27 décembre 2019, le gouvernement publie enfin un arrêté lénifiant confirmant des distances minimales de « protection » et provoquant la colère des défenseurs de l’environnement et de la santé ainsi que celle des mouvements paysans coincés dans l’agriculture intensive dopée aux pesticides.
Logo Collecif Maire Anti-persticide2
Pendant cet hiver les édiles appelés « maires courage » se sont organisés en un « collectif des maires face aux pesticides » défendu par Corinne Lepage qui fut ministre de l’Environnement de 1995 à 1997. Des communes non rurales et des grandes villes ont rejoint le mouvement pour exclure désormais aussi de tous les usages la possibilité d’utiliser les pesticides de synthèse y compris dans les propriétés privées, les cimetières et autres situations non couvertes par la loi Labbé de 2017.
Ce collectif présidé par Daniel Cueff rassemble des maires de toutes tendances (exceptée ceux du front/rassemblement dit national). Corinne Lepage a attaqué devant le conseil d’État le dernier arrêté du ministère de l’Écologie.
Vendredi 14 février, la plus haute juridiction administrative a, sans surprise, rejeté́ la demande de suspension en urgence du décret et de l’arrêté́ qui établissaient des distances minimales en matière d’épandage des pesticides. Mais elle ne s’est pas prononcée sur le fond de ce dossier[4] ! »
En attendant que cet enjeu de santé ne soit abordé d’abord par les ministères de l’Agriculture et de l’Écologie, puis par le Conseil d’État, c’est le déni qui règne en maitre sur ces « décisions ».
Une recherche sans moyens
La Science et l’ANSES – Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail – sont invoquées mais les études ne sont pas financées, les alertes sont ignorées, la dernière sur les fongicides SDHI (Inhibiteurs de la Succinate Déshydrogénase en anglais Succinate DeHydrogenase Inhibitor).
Ansi les tests et les recommandations d’usage de Monsanto servent tout bonnement de références puis de règles. Le jeu des défausses peut se poursuivre.
Comme hier les cigaretiers, les industriels de l’amiante, les fabricants d’opioïdes dangereux ou du Mediator[5] la stratégie pour gagner du temps (et des millions) est toujours la même : d’abord le déni, puis le brouillage en suscitant la publication d’études complaisantes, la mise sous influence d’agences de régulations, l’utilisation de la presse ou des médias sociaux.
Dans un premier temps la science est invoquée (quelle nocivité ?), puis quand elle parvient à démontrer des corrélations, elle est dénoncée. En l’absence de preuves isolables du fait de causalité multifactorielle, le scrupule méthodologique et rigoureux des scientifiques est présenté comme un feu vert par des industriels ou des politiques sans scrupules.
Cette confrontation entre d’un côté ces maires et la majorité de l’opinion, de l’autre le lobby agro-industriel qui souffle sa conduite au gouvernement n’est pas près de cesser.
Les apprentis sorciers de la chimie en sont encore à l’époque où ils croyaient modeler le vivant à leurs besoins, réduire les plantes à des fonctionnalités utiles à l’agro-industrie et condamner le paysan dépendant à une perpétuelle fuite en avant. Ils ignorent l’interdépendance des écosystèmes fragiles (dont les humains font partie). Ils croient pouvoir répéter les mêmes techniques d’année en année et hectares après hectare. Les populations européennes averties des dégâts de ce modèle intensif perdent confiance après tant de signaux des menaces (algues vertes, vache folle, trafics des viandes, pollution des eaux, malbouffe, obésité, déforestation, sucres dangereux).
Le 19 février l’appel de 1700 scientifiques engage le gouvernement à prendre des mesures rapides pour sortir des pesticides[6]. Par ailleurs le nombre de cancers augmente de façon significative en milieu agricole où il était plus faible que la moyenne, en particulier les lymphomes. Aux Antilles le perturbateur endocrinien a pour nom Chlordécone — un insecticide pourtant banni depuis 1993 mais toujours présent dans les sols— est responsable d’une forte augmentation des cancers de la prostate[7].
Le récit d’un maire en phase avec l’évolution de l’opinion
Il sera intéressant et fondamental de lire l’ouvrage que Daniel Cueff vient d’écrire sur la situation d’un maire interpellé par sa population.
Son titre constructif : Paysans, on vous aime Défendez-vous, défendez-nous… contre les pesticides de synthèse illustre bien la nécessité d’intégrer pleinement des paysans nombreux en France et en bonne santé à l’encontre de la FNSEA. Sa bureaucratie grassement payée[8] défend en priorité les grosses exploitations, et amalgame dans l’agribashing[9] des incivilités déplorables face aux agriculteurs et une remise en cause du modèle agricole dominant.
La préface est rédigée par Corinne Lepage. Le maire breton a choisi les éditions Indigène, qui ont diffusé le fameux « Indignez-vous » de Stéphane Hessel à plus d’un million d’exemplaires. L’ouvrage de Daniel Cueff de 64 pages vendu 4,90 € en librairie à partir du 5 mars devrait connaître un large succès.
Notes
[1] Sondage IFOP du 22 août 2019 demandé par l’association Agir pour l’Environnement auprès d’un échantillon de 1 002 personnes représentatif de la population française de 18 ans et plus.
[2] Le mouvement « Nous voulons des coquelicots » a été lancé le 18 septembre 2018 par Fabrice Nicolino. La pétition en ligne contre les pesticides de synthèse a été signé par plus d’un million de personnes.
[3] Dans le Figaro avant le sommet du G7 à Biarritz
[4] Voir le journal La Croix du 14/02/2020
[5] Le mediator des laboratoires Servier dénoncé par Irène Frachon
[6] Le Monde 19 février
[7] Voir le cancer de la prostate aux Antilles françaises : état des lieux
http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2016/39-40/pdf/2016_39-40_6.pdf
[7] Voir chiffres vertigineux publiés dans Challenge qui indiquent une augmentation massive en 2019 alors que les revenus des agriculteurs
[7] Agribashing : littéralement dénigrement des agriculteurs, terme suggéré par des communicants pour éviter tout débat sur les différents modèles d’agriculture. Ou comment emmener des paysans dans une impasse et désigner ceux qui s’y opposent comme responsable du désarroi et des suicides ainsi créés.
Plus
Les communes qui ont pris des décisions de restriction des pesticides ; carte collaborative de Bretagne-creative (réseau de l’innovation sociale et des transitions en Bretagne)
Le site de Daniel Cueff autour du livre
et sur ce blog
Sur d’autres « lanceurs d’alerte » L’amiante, les pesticides : le combat des sentinelles
et Lobbytomie-Comment les lobbies empoisonnent nos vies et la démocratie
Laisser un commentaire