Quatre décennies après la révolution des œillets du «25 avril», les portugais semblent prêts à s’engager à nouveau dans une construction inédite : l’accord de toutes les forces de gauche sur un programme de gouvernement socialiste pour faire barrage à la succession de mesures régressives contre les couches populaires.
En finir avec l’austérité revancharde
Il faut dire que 5 années de traitement de choc ont fait des dégâts. La médecine appliquée en échange d’un plan de financement[1] du FMI et de l’Europe a coïncidé avec l’agenda conservateur : démantèlement des services sociaux, forte diminution des salaires, attaque du RMI, suspension des conventions collectives. Le chômage et les départs à l’étranger ont explosé.
Le gouvernement de droite dirigé par Pedro Passos Coelho (PSD – CDS) depuis 2011 mettait en vente méthodiquement tout ce que le Portugal peut vendre : monuments, ports, aéroports, télécoms.
Il ne faisait pas de développement. Il revendait « les actifs ».
A l’inverse de la Grèce, le Portugal est présenté comme un bon élève, ingérant docilement la médecine de l’austérité. Ses représentants vantent la qualité du pays, la modération de sa population et présentent aux investisseurs un catalogue de plages, équipements, compagnies discrètement mises en vente.
L’équivalent du RMI a été remplacé par les « cantines sociales » infligeant aux familles en difficultés l’obligation de se rendre dans ces nouveaux espaces caritatifs. A des droits, ils substituent des mécanismes d’assistance ou pire la charité. C’est la vieille figure du peuple oisif et paresseux qui est agitée par les idéologues conservateurs.
Revers pour ceux-ci, le conseil constitutionnel avait rejeté des lois votées par le gouvernement remettant en cause les salaires et les pensions de retraites actuelles.
Une nouvelle donne après les élections
Mais surtout à la suite des élections du 4 octobre, le gouvernement de la coalition de droite a perdu sa majorité et un grand espoir est né forçant chaque acteur à reconsidérer ses positions antérieures.
Les résultats d’abord. Le scrutin de liste est proportionnel. L’alliance des deux partis de droite (le plus important est le PSP, au Portugal le parti social-démocrate est un parti de centre droit non affilié à l’internationale socialiste) obtient 38,6 % des voix, (contre 50,4 % en 2011) et donc 104 députés (sur 230) devant le parti socialiste qui obtient 32,4 % des voix et 86 sièges. Donc dans la logique traditionnelle où les partis à la gauche du PS restent hostiles à une alliance à gauche la situation est claire, la droite gouverne pour la législature.
Deux éléments nouveaux modifient la donne sous pression de l’urgence sociale : le parti communiste est devancé par le bloc de gauche et celui-ci a fait au cours de la campagne électorale une offre de soutien à un gouvernement de gauche unie sur trois conditions. Le bloc de gauche créé en 1999 est constitué d’une addition de groupes démocratiques ou radicaux comparable à Syriza, la coalition grecque des 13 forces qui s’étaient unies sous la direction d’Alexis Tsipras en Grèce. Ce bloc de gauche a obtenu 10,2%[2] et 19 députés.
Un soutien conditionnel
Les trois conditions posées concernaient la fin de la suspension des conventions collectives, une modification des règles d’évolution des cotisations des salariés sur un échéancier de 5 ans et une décision sur l’évolution des salaires des fonctionnaires d’État rétablissant par des exemptions de cotisations sociales un peu de leur pouvoir d’achat perdu. Elles visent donc à relancer la consommation et à freiner les effets désastreux de l’austérité.
Ces conditions ont été acceptées et intégrées par Antonio Costa, secrétaire général du PS, ancien maire populaire de Lisbonne, surnommé le Gandhi de Lisbonne en raison d’une ascendance partiellement indienne (de Goa). Il avait gagné haut la main une primaire socialiste à 68 % en novembre 2014.
Le Parti Communiste et « ses écologistes » lui a obtenu 8,3% et 17 députés. La dynamique de cette élection, l’importance de la régression en cours, les menaces sur les situations sociales, son implication dans les luttes sociales –en particulier au sein de la CGTP- le contraignent à changer d’attitude vis-à-vis du PS et de rejoindre le reste de la gauche dans une majorité plurielle.
Dès le lendemain des élections, Costa s’est attelé à la mise au point d’un accord inédit de gouvernement socialiste soutenu par le Bloc de Gauche et le Parti Communiste autour d’une liste de mesures précises.
Cet accord de gouvernement pour une législature a été entériné par chacune des trois composantes. Ce qui a signifié une certaine confrontation au sein du Parti Socialiste dont l’aile droitière n’était pas opposée à une alliance avec les conservateurs. De même au sein du bloc de gauche le courant UDP[3] exprime quelques réserves.
Sont exclues les questions identitaires qui fâchent en particulier du côté du PC, comme l’appartenance à l’OTAN, à l’Union Européenne ou à l’Euro.
Un parlement qui joue son rôle
Cet accord – majoritaire au parlement- ouvre de grands espoirs pour une alternance d’un type nouveau.
Le 9 novembre le gouvernement de Pedro Passos Coelho (PSP) temporairement reconduit après les élections s’est donc présenté au parlement dans une pièce de théâtre écrite à l’avance, et … n’a pas obtenu la confiance de l’assemblée.
Le président de la république Anibal Cavaco Silva (PSD) est un vieux routier de la droite portugaise, ministre des finances puis premier ministre de 1985 à 1995. C’est à lui de trouver un gouvernement pour le pays dans ces conditions. S’il est tenté par des manœuvres dilatoires (gouvernement de « techniciens »), il se heurte très vite au refus de la majorité d’y succomber. Il ne peut appeler à de nouvelles élections dans les 6 derniers mois de son mandat.
Le 24 novembre il n’a finalement pas d’autre choix que de demander au responsable socialiste Antonio Costa de former un gouvernement.
Un nouvel cycle pour le Portugal … et pour l’Europe ?
La campagne pour l’élection présidentielle prévue le 26 janvier 2016 est elle aussi déjà largement entamée à coup d‘émissions de télévision et de grands panneaux électoraux. Une personnalité indépendante, António de Sampaio da Nóvoa, l’ancien recteur de l’université de Lisbonne, véritable autorité morale, soutenu par de larges pans du PS, est en campagne contre une droite qui a trouvé son candidat : un présentateur de télévision qui se présente comme représentant la gauche de la droite, Marcelo Rebelo De Sousa, ancien président du PSD.
Nos amis portugais ressortent les chansons du 25 avril (la douce et déterminée Grândola Vila Morena de José Afonso) et ceux qui l’ont vécu sont à nouveau portés par l’espoir d’un nouveau cycle politique qui mette fin à la régression en cours et consolident une démocratie fragile. Les élections espagnoles approchent également (décembre 2015) qui pourraient aussi mettre fin au gouvernement conservateur du Parti Populaire.
La nomination d’un gouvernement portugais de gauche unie refusant l’austérité néo-libérale est assurément un signe d’espoir et d’évolution pour l’ensemble de l’Europe.
Elle met à l’ordre du jour une politique de l’Euro favorable au développement pour le Sud comme pour le Nord.
Obrigado, les amis !
[1] 78 Milliards d’€
[2] En large progression par rapport aux 5,2 % en 2011
[3] L’Union démocratique populaire (UDP) est un ancien parti politique portugais gauchiste (le plus important) fondé en décembre 1974, peu avant la Révolution des œillets.
Photo : Carlos Ribeiro
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