Calais : 76.000 habitants, port de voyageurs et de marchandises, à 35 kms de Douvres. Une ville pauvre où 40% de la population a, pour niveau de diplôme, un certificat d’études, un brevet ou un C.A.P. et où le revenu fiscal moyen, par foyer, est inférieur de 25% au revenu fiscal national (source INSEE/2012).
Une ville connue en Asie, en Europe, en Afrique pour être le point de passage obligé pour rejoindre l’Angleterre. Une ville, enfin, où se concentrent, depuis septembre dernier, 6 000 migrants d’Érythrée, de Syrie et d’Irak et d’ailleurs, dans le « bidonville des dunes » exposé au vent, à la boue et au froid à 7 kms précisément de Calais. Un camp de toiles, de cabanes de bois, de 18 hectares avec 3 points d’eau, une vingtaine de latrines installées par l’Etat et un repas, un seul repas quotidien. Un camp où la gale, les infections de toute nature, les blessures après les tentatives avortées de passage fragilisent encore ses « habitants » mais un camp où, malgré tout la vie (!!) s’organise. C’est ainsi que se sont construits avec des matériaux de fortune plusieurs églises et mosquées, des cafés, des épiceries et un bordel, oui, un bordel où des femmes érythréennes se prostituent pour financer leur passage. Calais est devenu ce lieu d’attente infâme pour des personnes engagées malgré elles dans l’impasse du monde et ce n’est pas d’aujourd’hui !
L’histoire des camps -mot qui bien sûr réveille en nous une sinistre et barbare histoire- commence vers le milieu des années 1990 avec l’arrivée d’Ukrainiens (déjà !), puis de Kosovars et enfin d’Afghans. Pour répondre à cette situation rendue complexe par la non- appartenance du Royaume-Uni à l’espace Schengen et, plus tard, par l’application du règlement Dublin (2003) les pouvoirs publics acceptent l’ouverture d’un centre d’hébergement et d’accueil d’urgence humanitaire à Sangatte. Ce camp géré « décemment » par la Croix Rouge (couchage, chauffage, nourriture, etc.) accueillera près de 70 000 migrants jusqu’en décembre 2002, date de sa fermeture. Cette décision politique de Nicolas Sarkozy revêt à mon sens, deux finalités : la première, à travers cette mesure « choc » surmédiatisée est de préparer le pays au nationalisme identitaire, avec ses vieux démons et à une xénophobie construite, entretenue jusqu’au plus haut sommet de l’État, le tout en vue des élections présidentielles gagnées de 2007. La deuxième finalité est de rendre invisibles les migrants – et par là le traitement politique de l’immigration – qui s’éparpillent alors dans des campements informels. Les Afghans les appellent la jungle, car les sous-bois, les taillis où ils survivent s’y apparentent pour eux. Ces campements s’étalent entre Calais et Gravelines, à Norrent-Fontes (Omer) où l’association « Terres d’Errance » mènera une bataille ouverte contre Sarkozy pour faire respecter les droits de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Durant cette période, les mairies et les conseils généraux subventionnent les quelque 20 associations locales mais à partir de 2009-2010, une partie des élus locaux durcissent le ton et mettent l’accent (non sans argument comme celui de la difficulté économique des entreprises de fret locales et le stress des ouvriers du port exposés aux agressions) sur la précarité sociale des Calaisiens. La situation évoluera peu jusqu’en 2015 où l’arrivée massive de migrants de Syrie, d’Irak conduit à l’évacuation des squats et à la mise en place d’un camp de regroupement, celui des dunes. Ce camp jouxte le nouveau centre de Jules Ferry (on appréciera l’humour pratiqué pour ceux qui connaissent son ardeur colonialiste célébrée dans son discours de juillet 1885 !!) géré par l’État mais de fait sous-traité à l’entreprise Vie active, centre où se tiennent les permanences d’accueil et de soins.
Reste une question politique : que faire dans un contexte où une partie de la réponse dépend d’autres pays de l’Union européenne, dont en premier lieu, la Grande-Bretagne ? Ali, réfugié syrien, y répond à sa manière[1]: « J’ai juste à attendre 1 million d’années. Avec la dérive des continents, je finirai par passer en Angleterre... »
[1] Source : La Croix 22 octobre 2015
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