Dans ces moments sombres que nous vivons depuis plusieurs semaines, voilà un film à mettre sous tous les yeux… un film tonique, vivifiant qui exhume du puits de l’oubli près de 15 ans de lutte des suffragettes pour le droit de vote des femmes, film militant aussi qui valorise le rôle (toutefois limité) d’ouvrières engagées auprès de femmes de la bonne société victorienne pour « arracher » ce droit.
Le film relate la prise de conscience dans les années 1905 à 1913, d’une jeune blanchisseuse -remarquable Carey Mulligan- exposée au droit de cuissage du contremaître, à la dangerosité du travail (brûlures, déformation du dos, intoxication) et à la tutelle juridique du mari. Elle se noue d’amitié avec une autre blanchisseuse, membre du Women’s Social and Political Union (mouvement créé en 1867 par Mrs Pankurst, membre du parti travailliste, en réaction à l’immobilisme conservateur (de) du National Union of women’s suffrage society).
Cette prise de conscience conduira à un engagement progressif mais de plus en plus déterminé de cette femme dans les luttes du WSPU : bris de vitrines de magasins de vêtements de mode, coupures de fils télégraphiques, manifestations. Le film, qui ne cède pas au pathos, souligne le prix fort de cette émancipation: licenciement, vie précaire, abandon du foyer, placement de son fils qui sera adopté… et solidarité du WSPU qui assure sa protection.
Enfin, et c’est un point fort du film, on voit aussi le prix collectif de cette lutte: mesures d’intimidation, incarcération de militantes fichées (1000 incarcérations entre 1907 et 1913) grèves de la faim brisées par la torture du gavage nasal, répression policière brutale qui fera deux mortes lors de la manifestation du « black friday » (novembre 2010). Cet affrontement trouvera sa figure symbolique avec la mort d’Emily Davidson, au Derby de 1913, écrasée par le cheval de George V, en voulant y accrocher l’écharpe du WSPU. Le film s’achève sur un document d’archives de l’enterrement d’Emily Davidson qui rassembla à Londres 250 000 personnes. Film engagé, féministe mais un peu trop elliptique sur les débats vifs au sein du WSPU, sur le recours à la violence, sur le nécessaire lien ou pas avec le Labour Party et le mouvement syndical. De ces débats naîtront des scissions avec notamment, la création en 1912 de la Women’s Freedom League qui refuse notamment le recensement par « l’invisibilité des femmes » et appelle, sans succès, à la grève de l’impôt.
Elliptique aussi sur la fin de ce combat en 1914 , quand (où) le WSPU obtint la libération des femmes incarcérées en échange de leur soutien à l’effort de guerre. En 1919, le droit de vote est accordé aux hommes de plus de 21 ans et aux femmes de plus de 30 ans sous certaines conditions. Ce droit deviendra universel en 1928, 16 ans avant la France.
Les Suffragettes est un film de Sarah Gavron avec Carey Mulligan, Helena Bonham Carter. 2015
Carmen, qui n’oublie pas que la République en Espagne s’était battue dans le même sens
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