On ne saurait trop féliciter Geneviève Brisac de s’être dans ce livre effacée devant sa voisine : Jenny Plocki. Un personnage bien réel, cette Jenny née en 1925 et dont la vie est traversée par tous les espoirs et tragédies du XX° siècle. Ses parents, Juifs venus de Pologne, ouvriers puis très petits commerçants sur le marché d’Aubervilliers, participent aux manifestations du Front populaire et suivent avec effroi les procès de Moscou. Ils sont arrêtés le 16 juillet 1942 et seront déportés. Jenny et son frère plus jeune en réchappent car le temps n’est pas encore venu de déporter les Français (les deux enfants sont nés en France) et, surtout, leurs parents leur expliquent qu’ils doivent partir, ne pas rester avec eux. Jenny et Maurice survivent dans une semi-clandestinité.
A la Libération, Jenny adhère naturellement au PCF, le « parti des fusillés ». Le premier choc est d’y retrouver le flic qui a arrêté ses parents, ensuite, comme elle manifeste des réticences vis-à-vis des discours qui ne font pas la distinction entre allemands et nazis, ça ne traine pas : elle est cataloguée comme trotskiste. Les trotskistes, elle les rencontre mais ils sont trop bolcheviks pour elle et elle adhère au groupe dissident « Socialisme ou barbarie ».
Elle vit ensuite les joies et les peines d’une jeune femme (d’une époque de répression de la contraception et de l’avortement). Elle devient ensuite institutrice, se dépensant sans compter pour ses élèves, utilisant les méthodes actives de l’Éducation nouvelle (école Freinet).
Elle est la compagne de Jean-René Chauvin (1918-2011), survivant d’Auschwitz, déporté politique, qui, après des années de réticence, publiera son témoignage en 2006 dans « Un trotskiste dans l’enfer nazi » (éditions Syllepse). Jean-René est en effet trotskiste depuis les années 30 (presque jusqu’au terme de sa vie, il militera activement à la LCR, participant aux réunions et manifestations) : la nature de l’URSS, Cronstadt, … sont une occasion de disputes périodiques entre Jenny et lui.
C’est ensuite l’Algérie et l’engagement contre la guerre coloniale, puis Mai 68… Jenny est de tous ces combats. Puis, enfin, en 1992 à Moscou, la participation à la première réunion organisée par les ex-déportés des camps soviétiques. Jenny continue de vivre et d’espérer, conformément au dernier message que son père a pu écrire à ses enfants du train de déportation et qu’un cheminot a ramassé puis posté : « Vivez et espérez ». Jenny, comme Maurice (notre ami Maurice Rajfus, mais c’est une autre histoire) s’y conforment encore.
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